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» veut point paroître tel, mais l'être. L'humilité eft » fidélicate qu'elle a peur de fon ombre, & ne peut » oüir nommer fon propre nom, fans courir le rif» que de fe perdre.

Celui qui fe blâme va indirectement à la loüange, & fait comme celui qui rame, lequel tourne le dos au lieu où il tend de toutes fes forces.

Il feroit bien fâché que l'on crût le mal qu'il dit de lui, & c'est par orgueil, qu'il veut être eftimé humble.

CHAPITRE XII.

Sentimens de défiance du Bienheureux.

U par

N jour le Bienheureux fut obligé de paffer par la Ville de Geneve, pour aller conferer des affaires de la Religion avec M. le Baron de Lux, Chevalier de l'Ordre, & Lieutenant de Roi en Bourgogne, venu exprès par ordre de Sa Majesté. Le Bienheureux en ce paffage s'expofa beaucoup ; & comme je lui en parlai une fois en bonne compagnie, où chacun difoit fon jugement là-deffus, il s'accufa lui-même d'imprudence, fans s'excufer fur gens qui, en effet, l'avoient conduit à ce dange reux pas, s'affurant qu'on n'eût ofé l'attaquer, ni

fes

lui faire du mal.

Il m'arriva de lui dire : Hé bien, mon Pere, le pis allé eût été votre mieux ; quand ce Peuple vous eût affommé, d'un Confeffeur, ils euffent fait un Martyr.

Que fçavez-vous, me dit-il, fi Dieu m'eût fait cette grace, & m'eût donné la conftance néceffaire pour arriver à une telle couronne ?

Je répondis que ma conjecture étoit bien fondée,

depenfer qu'il eût mieux aimé fouffrir mille morts, que de renoncer à la foi.

Je fçai bien, reprit-il, ce que j'euffe dû faire, c'eft cela même que vous dites; mais fuis-je Prophete, pour deviner ce que j'euffe fait ? S. Pierre, Patron de l'Eglife de Geneve, étoit bien auffi résolu que moi, vous fçavez néanmoins ce qu'il fit à la fimple voix d'une fervante. Bienheureux celui qui est toujours Prov. 18: 14 en crainte, & en défiance de fa propte foibleffe, & qui ne s'appuie point fur lui-même, mettant toute

fa confiance en Dieu. Nous pouvons tout, quand il Philip. 4. 13× nous fortifie; fans lui, rien.

CHAPITRE XIII.

De l'obéiffance des Superieurs:

Mi
ON Pere, lui dis-je un jour, comment est- «
il poffible que ceux qui font en fuperiorité,
puiffent pratiquer la vertu d'obéiffance?

Il me répondit: Ils le peuvent beaucoup mieux & plus héroïquement que ceux qui font en fujettion. Cette réplique m'étonna, & le priant de me la déveloper, il me l'expliqua de cette façon.

Ceux qui font obligés à l'obéiffance, ne font fujets pour l'ordinaire qu'à un Superieur, le comman dement duquel ils doivent tellement préferer à tout autre, que même ils ne peuvent pas obéir à un autre fans la permiffion, ou l'agrément de ceux ausquels ils font fujets.

Mais ceux qui font en fuperiorité ont leurs coudées plus franches, pour obéir plus amplement, & obéir même en commandant ; parce que s'ils confiderent que c'est Dieu qui les a mis fur la tête des au

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tres, & qui leur commande de leur commander, s'ils ne commandent que pour obéir au commandement de Dieu, qui ne voit que même leur comman

dement est un'acte d'obéiffance?

Cette espece d'obéiffance peut même être pratiquée par les Souverains, qui n'ont que Dieu audeffus d'eux, & qui n'ont que Dieu à qui ils doivent rendre compte de leurs actions.

Ajoutez, qu'il n'y a puiffance fi fublime qui ne reconnoiffe même en terre quelque forte de fuperiorité; au moins quant au fpirituel, à la conduite -de fon ame & à la direction de fa confcience. Mais voici un degré bien plus haut d'obéiffance, auquel fe peuvent élever tous Superieurs ; c'eft celui que confeille l'Apôtre S. Pierre, quand il dit : 1. Pet. 2. 13. Soyez foumis à toute créature pour Jefus-Chrift. C'est par cette obéiffance univerfelle à toute créa1. Cor. 9. 22. ture, que nous nous faifons tout à tous, pour

les ga

gner tous à Jefus-Chrift. C'est par elle que nous regardons comme fuperieurs toutes perfonnes, nous 2. Cor. 4. 5. rendant ferviteurs de tous pour Notre-Seigneur.

Auffi ai-je pris garde que quand quelqu'un l'abordoit, jufqu'aux plus petits, qu'il prenoit la contenance d'un inferieur devant fon fuperieur, ne congediant perfonne, ne refufant point de converfer, ni de parler, ni d'écouter, & ne donnant le moindre figne d'ennui, d'impatience, ni d'inquiétude, quelqu'importunité qu'on lui fit, & quelque tems qu'on lui fit perdre.

Son grand mot étoit : » Dieu me veut ainsi, il » veut cela de moi, que me faut-il plus? tandis que je fais cette action, je ne fuis pas obligé d'en faire "une autre. Notre centre eft la très-fainte volonté » de Dieu : hors de-là, ce n'eft que trouble & empreffement.

"

CHAPITRE XIV.

Son attachement à la justice, & fon mépris des chofes temporelles.

U

NE perfonne de diftinction s'adreffa à notre Saint pour en obtenir un Monitoire. N'en ayant pas jugé la cause juste, il tâcha par les plus douces paroles & les meilleures raifons, de perfuader à cette perfonne de fe défifter de fa demande.

L'autre piqué de ce refus, crioit tout haut à l'in juftice, fans que le Saint lui repliquât autre chofe finon qu'il étoit mari que fa confcience ne lui. mît pas de lui donner fatisfaction.

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Je ne fuis ami, ajouta-t-il, que jufqu'à l'Autel, & jufqu'où le fervice de Dieu & la liberté de ma « confcience ne font point offenfés. Demandez-moi « ce qui eft jufte, & vous ferez écouté. «

Le demandeur plus irrité que devant, fe pourvoit au Sénat de Chamberry, obtient le pouvoir de fe pourvoir par Monitoire, & le lui fait fignifier. A cela l'homme de Dieu fe comporta comme un rocher parmi les vagues. Le Bienheureux.ne fir autre réponse, finon qu'il avoit fon ame à fauver, & fa confcience à garder, & qu'il étoit prêt de rendre raifon de fon déni. L'affaire alla fi loin, que l'on fut fur le point de faifir fon temporel.

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Cet orage étant calmé, comme on lui en parloit, il répondit doucement: S'ils m'euffent ôté mon « temporel, ils m'euffent fait le plus grand bien qui me pût jamais arriver; car ils m'euffent rendu tout « fpirituel, & en ce cas, je les cuffe jugés;car n'est-«

pas dit, que l'homme fpirituel juge tout, & n'eft jugé de perfonne.

1. Cor. 2. 15, 22 il

22

L'entretenant une autre fois fur ce fujet, il me dit que ces faififfeurs lui avoient fait grand tort de ne s'emparer pas de fon temporel; d'autant que Dieu le lui eût rendu au centuple. » Penfez vous, difoit"il, que mes Diocefains m'euffent laiffé mourir de faim? je fuis certain que j'euffe été plus en peine de refufer, que de prendre.

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1

CHAPITRE X V.

Déférence merveillenfe.

E foumettre aux Superieurs, c'eft plûtôt juftice qu'humilité; puifque la raifon veut que nous. les reconnoiffions pour nos maîtres. Se foumettre à fes égaux, c'eft amitié, ou civilité, ou bienséance. Se foumettre à fes inferieurs, c'est le vrai point de l'humilité parce que cette vertu nous faifant connoître que nous ne fommes rien, nous met fous les pieds de tout le monde.

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Notre Bienheureux a pratiqué cette humilité en un degré éminent. Il obéiffoit à fon homme de chambre en ce qui regardoit fon coucher & fon lever, fon habiller & deshabiller, comme s'il eût éré le ferviteur, & l'autre le maître. Quand il veilloit bien avant dans la nuit, foit pour étudier, foit pour écrire des Lettres, il l'invitoit à s'aller coucher, de peur qu'il ne s'ennuyât à attendre.

Une fois en été il fe réveilla de grand matin, & ayant quelque chofe de grande importance dans l'efprit, il l'appella pour le venir habiller. L'autre dormoit fi profondément qu'il n'entendit point fa

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