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voix. Lebienheureux Prélat fe leve penfant qu'il ne fût point en fa garderobe, & y regardant il vit qu'il dormoit de fi bonne grace, qu'il eut peur de nuir à fa fanté, s'il l'éveilloit; il s'habille, & fe met à prier, à étudier, à écrire.

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Ce garçon s'étant éveillé & habillé, entra en la chambre de fon Maître, & le vit qui travailloit. Il lui demanda brusquement, qui l'avoit habillé : moimême, lui dit le faint Prélat, ne fuis-je pas affez grand, & affez fort pour cela? L'autre en gron- « dant : vous couteroit-il tant d'appeller? Je vous « affure, mon enfant, lui dit le bienheureux Fran- « çois, qu'il n'a pas tenu à cela, & j'ai crié plufieurs fois; enfin eftimant que vous fuffiez dehors, je me « fuis levé pour voir où vous étiez, & je vous ai trou- « vé dormant de fi bonne grace, que j'ai fait con- « fcience de vous éveiller ». Vous avez bien meilleure grace, lui dit le lui dit le garçon, de vous mocquer ainfi de moi. O mon ami, reprit le Prélat, je ne l'ai pas « dit par un efprit de mocquerie, mais oui bien cer- « tes en efprit de joyeuseté: allez, je vous promets « que je ne cefferai plus d'appeller que vous ne « foyez réveillé, ou que je ne vous aille faire le- « ver ; & puifque vous le voulez ainfi, je ne m'habillerai plus fans vous “.

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CHAPITRE XVI.

Douceur charmante.

L avoit un domeftique de bonne mine, vertueux, gracieux, & de fort aimable converfation. Plufieurs Bourgeois le defirerent pour gendre. Il en fit parler au Bienheureux, qui lui dit un jour,

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mon cher .j'aime votre ame comme la mienne propre, & il n'y a forte de bien que je ne vous defire, & que je ne vouluffe vous faire, fi j'en avois le moyen, je crois que vous n'en pouvez douter.

Vous êtes jeune, & poffible que votre jeunesse donne dans les yeux de quelques perfonnes qui vous defirent ; mais il m'eft avis que c'eft avec plus d'âge - & de jugement, qu'il faut entrer en ménage; penfez-y bien ; car quand on eft embarqué, il n'est plus ..tems de s'en repentir.

Le mariage eft un certain ordre, où il faut faire la profeffion devant le noviciat ; & s'il y avoit un an de probation comme dans les Cloîtres, il y auroit peu de profés.

Au refte, que vous ai-je fait que vous vouliez me quittera Je fuis âgé, je mourrai bien-tôt, & alors -vous pourrez vous pourvoir comme il vous plaira. Je vous laifferai à mon frere, qui aura foin de vous placer auffi avantageusement que les partis qui se >>préfentent.

A ces paroles le jeune homme fe jetta aux pieds de fon Maître, lui demandant pardon de la pensée qu'il avoit eu de le quitter, & lui faifant de nouvelles >proteftations de fidelité, & de le fervir à la mort & à la vie.

Non, lui difoit-il, mon enfant, je n'entreprens pas fur votre liberté, je la voudrois racheter comme S. Paulin de la perte de la mienne; mais je vous donne un confeil d'ami, & tel que je donnerois à mon propre frere, s'il étoit de votre âge.

C'eft ainfi qu'il traitoit fes domestiques en vrai pere de famille, les regardant non comme fes fervi- curs, mais comme fes propres freres & les enfans.

CHAPITRE XVII.

De la préparation à la fainte Meffe,
& de l'action de Graces.

O N l'avoit averti que j'étois extrêmement long à me préparer avant la fainte Meffe, & que

cela incommodoit beaucoup de monde.

Il voulut me corriger de cela. Il m'étoit venu voir à Belley, felon la coutume de nos vifites annuelles réciproques. Il arriva que durant le tems de fon féjour en notre maifon, il eut un matin quantité de dépêches à faire, qui l'arrêterent fort tard en la chambre; onze heures approchoient, & il n'avoit point encore dit la Meffe, ce qu'il n'omettoit aucun jour, s'il n'étoit malade ou fort incommodé.

Il vient donc à la Chapelle revêtu de fon rochet & camail, & après avoir falué ceux qui étoient là, il fait une affez courte Priere au pied de l'Autel, s'habille & dit la Meffe. L'ayant achevée, il se remet à genoux, & après une Priere affez courte, il nous vint trouver avec un visage si serain, qu'il me paroiffoit comme un Ange, & fut en converfation, jufqu'à ce qu'on nous appellât pour la table, qui fut peu après,

Moi qui étudiois toutes les actions, je me trouvai furpris de l'abrégé de cette préparation, & de cette action de graces. Le foir comme nous fûmes feuls, je lui dis avec la confiance que me donnoit la qualité de fils: mon Pere, il me femble que pour un homme de votre taille, vous allez bien vite. J'ai pris garde ce matin à votre préparation, & à votre action de graces, j'ai trouvé l'une & l'autre fort prompte.

◇ Dieu, ce me dit-il, que vous me faites plaifir,

l'on

de me dire ainfi rondement mes verités : & m'embraffa en difant ceci. Il y a trois ou quatre jours que j'en ai une de pareille étoffe à vous dire, & je ne fçavois par où m'y prendre. Mais que dites-vous vous-même de vos longueurs, qui morfondent tout le monde, chacun s'en plaint & tout haut ; poffible cependant que cela n'eft pas encore venu jusqu'à vous, tant il y a peu de gens qui ofent dire aux Pontifes leurs verités. C'eft fans doute parce qu'il n'y a ici perfonne qui vous aime tant que moi, que m'en a donné la commiffion; ne doutez-point que je ne fois fondé en bonne procuration, fans qu'il foit besoin de vous en montrer les fignatures: un peu de ce que vous avez de trop nous feroit grand bien à tous deux, vous iriez plus promptement, & je n'irois pas fi vite. Mais n'eft-ce-pas une belle chofe que l'Evêque de Belley reprenne celui de Geneve d'aller trop vîte, & celui de Geneve celui de Belley d'aller trop lentement; n'est-ce pas le monde renversé ?

Penfez que ceux qui defirent affifter à votre Meffe ont bien affaire de vos grands agios, & de tant de fuffrages & actes que vous faites dans l'oratoire de votre Sacristie, & encore moins ceux qui attendent que vous ayez dit la Meffe pour vous parler d'affaires.

Mais, mon Pere, lui dis-je, comment faut-il fe difpofer pour la fainte Meffe? Que ne faites-vous, me répondit-il, cette préparation dès le matin en l'exercice de l'oraison, à laquelle je fçai, ou au moins je penfe, que vous ne manquez pas.

Je me leve à quatre heures en été, lui dis-je, & je ne vais à l'Autel qu'à neuf ou dix heures.

Eftimez-vous, reprit-il, que cet intervale de quatre à cinq heures foit fort grand devant celui, aux Pfal. 84. 4 yeux duquel mille ans font comme le jour d'hier, qui est paffe?

Et de l'action de graces, quoi ?

Attendez à la faire en votre exercice du foir, auffibien ne faut-il pas, en examinant votre confcience, que vous pefiez une action fi remarquable, & le remerciment n'eft-il pas un des points de l'examen ? L'une & l'autre fe peut faire & plus à loifir, & plus tranquillement le foir & le matin ; cela n'incommode perfonne, fe fait mieux & plus mûrement, ne traverse en rien les fonctions de votre charge, ne donne aucun ennui au prochain.

Mais ne prendra-t-on point auffi mauvaise édifi cation, ajoutai-je, de voir faire tout cela avec tant de promptitude, puifque Dieu en courant ne veut être adoré ? Nous avons beau courir, reprit-il, Dieu va encore plus vite que nous: c'est un efprit qui fort de l'Orient, & paroît au même inftant à l'Occident. Tout lui eft préfent ; il n'y a ni paffé ni futur pour lui: où pouvons-nous aller devant fon efprit ? J'acquiefçai à cet avis, & depuis m'en fuis bien trouvé.

CHAPITRE XVIII.

Ne point fe rebuter des peines attachées aux fonctions du Miniftere.

G

ARDEZ-VOUS, me dit-il, de la tentation qui vous fait defirer de quitter votre charge & de renoncer à votre Evêché, pour vous retirer en une vie privée & folitaire.

Votre époufe eft fainte (entendant l'Eglife, de laquelle en me facrant il m'avoit donné l'anneau)

& plus capable de vous fanctifier, que la femme fi- 1. Cor. 7. 14 elle dont parle l'Apôtre.

Il eft vrai que la multitude des enfans fpirituels qu'e Pelle met fur vos bras vous donne de la peine

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