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qui eft une espece de martyre; mais fouvenez-vous que dans cette amertume très-amere vous trouverez Philip. 4. 7. la paix de votre ame, paix de Dieu au-deffus de tout fentiment. Que fi vous la quittez pour chercher le repos, poffible Dieu permettra que votre prétenduë tranquillité fera troublée de tant de perfécutions & de traverfes, que vous ferez comme ce bon Frere Léonice, qui étoit fouvent vifité des confolations céleftes dans le tracas du ménage en fon Monaftere, defquelles il fut privé quand il eut par importunité obtenu de fon Superieur la retraite en facellule, pour vaquer plus utilement, difoit-il, à la contemplation. Scachez, (ô que ce mot m'eft demeuré profondément gravé dans le fouvenir !) que Dieu hait la paix de ceux qu'il a destinés à la guerre. Il est le » Dieu des armées & des batailles, auffi-bien que » le Dieu de paix.

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Quoiqu'il m'eût facré Evêque à l'âge de vingt-cinq ans, par difpenfe du S. Siege, il vouloit néanmoins que je me miffe à toutes les fonctions Paftorales. Il vouloit que je célebraffe la Meffe tous les jours, que j'adminiftraffe toute forte de Sacremens, que je vi fitaffe, prêchaffe, catéchifaffe ; en un mot que je 2. Tim. 4. 5. fuffe à tout fans aucune exception pour accomplir mon miniftere.

Un jour, las & accablé de tant de fatigues, comme je m'en plaignois à lui, il me répondit que je me Jean. 16. 21. fouvinffe de ce qui eft écrit: que la femme qui enfante a beaucoup de trifteffe, mais qu'elle a de la joye auffi-tôt qu'elle a mis un homme au monde.

Quel honneur pour vous, que Dieu daigne s'en fervir pour délier tant de pauvres ames, les retirer de la mort du péché, & les ramener à la vie de la grace! Il en eft comme des vendangeurs & des moiffonneurs, qui ne font jamais fi contens & fi joyeux

que quand ils plient fous leurs faix. Qui les a jamais oui fe plaindre de l'excès de la moiffon ou de la vendange?

Je vois bien pourtant que vous voulez que je vous plaigne un peu, & que je fouffle fur votre agréable mal: Hé bien ainfi foit-il. Je vous avoue donc que comme on appelle Martyrs ceux qui confeffent Dieu devant les hommes, il n'y auroit pas grand danger d'appeller encore Martyrs en quelque maniere,ceux qui confeffent les hommes devant Dieu, même Confeffeurs & Martyrs tout ensemble; m'encourageant à demeurer en cette croix, & d'y perseverer jufqu'à la fin.

Il faudra donc, lui dis-je, appeller plus que Martyrs, ceux qui confeffent les fcrupuleux & les fcrupuleufes.

O vraiment, reprit-il, vous avez raison ; & vaudroit autant expofer un vifage frotté de miel à une ruche d'abeilles.

CHAPITRE XIX.

M. de Belley veut imiter le Bienheureux dans fa maniere de prêcher.

E l'avois en une fi haute eftime, que toutes fes façons de faire me raviffoient. Il me vint en l'efprit de l'imiter dans fa maniere de prêcher. Ne vous imaginez pas, néanmoins, que je vouluffe l'imiter en la hauteur de fes pensées, en la profondeur de fa doctrine, en la force de fes raifonnemens, en la bonté de fon jugement, en la douceur de fes paroles, en l'ordre & la liaison fi jufte de fes difcours & en cette douceur incomparable qui arrachoit les

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rochers de leurs places. Tout cela étoit hors de ma portée.

Je fis comme ces mouches, qui ne pouvant fe prendre au poli de la glace d'un miroir, s'arrêtent fur la bordure. Je m'amusai, & comme vous allez entendre, je m'abusai, en me voulant conformer à fon action exterieure, à fes geftes, à fa prononciation, tout cela en lui étoit lent & pofé. La mienne étant toute autre, je fis une métamorphofe fi étrange, que je n'étois plus reconnoiffable, ce n'étoit plus moi. J'avois gâté mon propre original, pour faire une fort mauvaife copie de celui que je voulois

imiter.

Notre Bienheureux fut averti de tout ce myftere, lequel me dit un jour, après avoir bien tournoyé ; à propos de Sermons, mais il y a bien des nouvelles ; on m'a dit qu'il vous a pris envie de contrefaire l'Evêque de Geneve en prêchant. Je repoussai cet affaut en lui difant: Hé bien ! eft-ce un fi mauvais exemplaire; à votre avis, ne prêche-t-il pas mieux que

moi ?

Ha! certes, repliqua-t-il, voilà une attaque de réputation, ô non, à la verité il ne prêche pas fi mal; mais le pis eft, que l'on m'a dit que vous l'imitiez fi mal, que l'on n'y connoît rien, finon un effai fi imparfait, qu'en gâtant l'Evêque de Belley, vous ne représentez nullement celui de Geneve; de forte qu'il feroit befoin d'imiter ce mauvais peintre, qui écrivoit le nom de ce qu'il vouloit peindre, fur les figures qu'il barboüilloit.

Laiffez-le faire, repris-je, & vous verrez que petit à petit, d'apprentif il deviendra maître, & que Les copies à la fin pafferont pour des originaux.

Joyeufeté à part, reprit-il, vous vous gâtez, & vous démoliffez un beau bâtiment, pour en refaire

un contre toutes les regles de la nature & de l'art; & puis en l'âge où vous êtes, quand vous aurez, comme le camelot, pris un mauvais pli, il ne fera pas aifé de le changer.

O Dieu! fi les naturels pouvoient s'échanger, que ne donnerois-je pas de retour pour le vôtre. Je fais ce que je puis pour m'ébranler, je me pique pour me hâter, & plus je me preffe, moins j'avance. J'ai de la peine à trouver mes mots, plus encore à les prononcer. Je fuis plus lourd qu'une fouche ; je ne puis ni m'émouvoir, ni émouvoir les autres, & fi je fue beaucoup, & n'avance guéres ; vous allez à pleines voiles, & moi à la rame; vous volez, & je rampe, ou je me traîne comme une tortuë; vous avez plus de feu au bout du doigt, que je n'en ai en tout mon corps; une promptitude prodigieufe, & une vivacité semblable à celle des oiseaux; & maintenant on dit que vous pefez vos mots, que vous comptez vos periodes, que vous traînez l'aîle, que Vous languiffez, & faites languir vos Auditeurs.

Je vous dirai que cette médecine fut fi efficace, qu'elle me purgea de cette douce erreur, & me fit reprendre mon premier train.

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De la Charité de la Chafteté, & de la Chafteté de la Charité.

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OM ME on parloit devant lui d'une fille de bonne maifon, qui étoit tombée en une faute fort fcandaleufe, il dit : C'eft grand cas que cha- «< cun a tant de zele & de charité pour la chafteté, & peu en ont pour la chasteté de la charité «.

Il s'expliqua ainfi : Tous ont du zele pour la con→ fervation de la chafteté, jufques-là que ceux qui ne l'aiment pas, la louent, & que ceux qui ne l'obfervent pas la font obferver aux perfonnes qui dépendent d'eux, en quoi ils font loüables; car on ne peut conferver avec trop de diligence un fi riche tréfor; vû même que la bienféance publique y eft intereffée avec l'honneur des familles.

Mais plût à Dieu que nous euffions autant de zele pour la chafteré de la charité. J'appelle chafteté de la charité, la pureté & integrité de cette vertu, la mere, la reine & l'ame de toutes les autres, & fans laquelle ou elles ne font pas vraies vertus, ou elles font mortes & fans mérite devant Dieu. Or il y a tant de charité impure & feinte, & par conféquent qui n'eft pas chafte & entiere, que c'eft une grande pitié. Telle eft celle par laquelle on offense la vraie charité de Dieu & du prochain, fous le prétexte de la charité même, ce qui eft une trahison nompareille, puifqu'elle trahit le traître même qui l'embraffe. J'ai coutume de dire que le zele est une vertu dangereuse, , parce qu'il y a peu de gens qui la fçachent pratiquer comme il convient. Plufieurs font comme ces mauvais couvreurs, qui gâtent plus de thuiles qu'ils n'en remettent. C'est en ne regardant que Dieu en toutes chofes, & toutes chofes en Dieu, que nous arrivons à la chafteté & virginité de la cha2. Cor. 11. 2. rité; de laquelle fi peu de gens font jaloux de la jaloufie de Dieu qui brûloit le grand Apôtre.

Par cette prudente diverfion il écarta bien loin le propos offenfant qui bleffoit fes oreilles, parce que Dieu y étoit deshonoré par la médifance que l'on faifoit du prochain.

CHAP.

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