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voye, à Paris & à Padoüe, & avoit pris un grand afcendant fur fon efprit.

Le Bienheureux lui a toujours porté un grand refpect, l'appellant & fon Pere & fon Maître; & quand il fut Evêque, il le fit Chanoine en fon Egli fe, & le pourvut honorablement, lui donnant outre cela & fa maifon & fa table.

Ce bon Eccléfiaftique avoit de fon côté un tel zele de l'honneur de fon Difciple, qu'il n'eût pu Tupporter qu'aucun en eût dit en fa préfence une feule parole défavantageufe, fans fe mettre auffi-tôt en mauvaise humeur.

Le bon Evêque lui repréfentoit quelquefois qu'il n'étoit pas raisonnable qu'il fût fi fenfible fur la réputation de fon Disciple. Quoi, lui difoit-il, fuis-je tout parfait ? fuis-je Saint?

Je vous defire tel, difoit le bon Eccléfiaftique.

Et quand je le ferois, difoit le Difciple, les Saints n'ont-ils pas eu des cenfeurs & des mocqueurs? Ontils été exemts du fleau de la perfécution, & de la contradiction des langues ? Que n'a-t-on pas dit de Notre-Seigneur S. Paul n'a-t-il pas repris S. Pierre, & lui-même n'a-t-il pas été réputé fou, à caufe de fa grande fcience?

Le bon Monfieur ne fe payoit pas de ces raifons, il le reprenoit de fes moindres défauts, ou qui lui fembloient tels, avec une liberté qui eût mis à bout toute autre patience, & qui ne pouvoit être excufée que par le zele ardent du Maître, & la douceur inCroyable du Difciple.

Au commencement de fon Epifcopat, auquel il fut promu environ à l'âge de trente-fix ans, donnant libre accès à tout le monde indifféremment, pour être le fel & la lumiere de tous, puifque Dieu l'avoit mis fur le chandelier, ce bon Précepteur difoit que

cela n'étoit pas féant à la gravité Epifcopale; furtour il ne pouvoit fouffrir que les femmes l'abordaffent, & lui parlaffent fi long-tems. Le faint Prélat, qui fe reconnoiffoit redevable à tous, ne rebutoit perfonne.

Une fois qu'il le preffoit là deffus, & le conjuroit de fe défaire de tant d'importunités, d'épargner fon tems, qu'il employeroit à de meilleures occupa tions; & fur-tout d'éviter les mauvais bruits, à quoi cela pourroit donner occafion.

Il lui dit, Monfieur d'Aage, que voulez-vous, la charge des ames n'eft pas de porter les forts, mais de fupporter les foibles. Il ne faut point fe mêler de ce travail, ou il s'y faut donner tout-à-fait. Dieu hair les tiedes, & veut être fervi fans mesure : Faime certes la prudence du ferpent, mais incomparable ment plus la fimplicité de la colombe. Dieu, qui eft la charité même, m'ayant attaché à cet emploi de sharité, fçait qu'en tout cela je ne regarde que fon amour. Tant que je me tiendrai à lui, il ne m'aban→ donnera pas. Il ne délaiffe jamais ceux qui le cher chent & qui le recherchent de tout leur cœur. Ayons bon courage, il nous aidera, & ne permettra que nous tombions pour nous bleffer. Il nous foutiendra de fa main, il eft un aide puiffant, ceux qui font en fa main ne peuvent périr. Il nous peut retirer des abîmes de la terre, combien plus ailément nous em pêcher d'y defcendre. Il mortifie, il vivifie. Il mene aux enfers & en retire, Avec lui nous ne devons pas craindre les milliers de combattans, & avec lui nous fommes affez forts pour furmonter toute forte d'ob Atacle.

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CHAPITRE XXV.

De la Perfection.

E n'entens parler que de perfection, difoit quel

J quefois notre Bienheureux, & je vois fort peu de

perfonnes qui la pratiquent. Chacun en fait une à fa mode, les uns la mettent en l'aufterité des habits, d'autres en celle du manger, d'autres en l'aumône, d'autres en la fréquentation des Sacremens, d'autres en l'Oraifon, d'autres en certaine forte de contemplation paffive & fur-éminente, d'autres en ces graces extraordinaires, que l'on appelle gratuitement données ; & tous ceux-là fe trompent, prenant les moyens ou les effets pour la caufe.

Pour moi je ne fçai, ni ne connois point d'autre perfection que d'aimer Dieu de tout fon cœur, & fon prochain comme foi-même. Toute autre perfection fans celle-ci, eft une fauffe perfection. La charité eft le feul lien de perfection entre les Chrétiens, & la feule vertu qui nous unit à Dieu & au prochain comme il faut, en quoi confifte notre fin, & confommation derniere. C'eft-là la fin de toute confommation, & le confommation de toute fin. Ceuxlà nous trompent, qui nous forgent d'autres per

fections.

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Toutes les vertus qui femblent les plus grandes •. Cor. 13. & les plus excellentes, ne font du tout rien fans la charité, ni la foi même, quand elle tranfporteroit les montagnes, & qu'elle penetreroit les myfteres; ni la prophetie, ni le langage des hommes & des Anges, ni l'aumône de tous fes biens, ni même le martyre, fût-il du feu, tout cela ne fert de rien 1. Jean, 2.14. fans la charité. Quiconque n'eft point en la charité,

eft dans la mort ; & toutes les œuvres, quelque bonréapparente qu'elles ayent, font des œuvres mortes, & de nul prix pour l'Eternité.

Je fçai que les aufterités, l'oraifon & les autres exercices de vertu, font de fort bons moyens pour avancer en la perfection, pourvû qu'ils foient pratiqués en charité, & par le motif de la charité. Il ne faut pourtant pas mettre la perfection dans les moyens, mais dans la fin où ces moyens conduifent ; autrement ce feroit s'arrêter dans le chemin & au milieu de la courfe, au lieu d'arriver au but.

CHAPITRE XXVI.
Suite du même fujet.

OMME je lui demandois ce qu'il falloit faire
pour arriver à cette perfection:

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Il faut, reprit-il, aimer Dieu de tout fon cœur, & fon prochain comme foi-même.

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Je ne vous demande pas ce que c'eft: que la perfection, lui repartis-je, je demande le chemin qu'il faut tenir pour y arriver.

La charité, me dit-il, eft une vertu admirable, a elle eft & moyen & fin tout enfemble; elle est le « chemin & le terme, elle eft la voye pour aller à « elle-même ; c'est-à-dire, pour faire progrès en la perfection. Je veux vous montrer une voye en- « core plus excellente, dit S. Paul, & auffi-tôt il fait 1.Cor. 12. 2 une ample defcription de la charité.

Toute vertu eft morte fans elle, pour cela elle est la vie. Nul n'arrive fans elle à la derniere & fouveraine fin qui eft Dieu, pour cela elle est la voye. Sans elle il n'y a point de vraie vertu, pour cela elle eft la verité. Elle est la vie de l'ame, car c'est par elle

que nous fommes transferés de la mort du péché à la vie de la grace. C'est elle qui rend la foi, l'efperance & toutes les autres vertus vives & animées. Comme l'ame eft la vie du corps, auffi la charité eft la vie & la perfection de l'ame.

Je fçai tout cela, lui dis-je, mais je defire fçavoir comment il faut faire pour aimer Dieu de tout fon cœur, & fon prochain comme foi-même,

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Il me repartit; Il faut aimer Dieu de tout fon ceur, & fon prochain comme foi-même.

Me voilà, repris-je, auffi fçavant que j'étois ; je fouhaite un moyen propre pour apprendre à aimer Dieu de tout fon cœur, & le prochain comme foi

même.

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» Le moyen le plus propre, le plus aifé, le plus » court, le plus utile pour aimer Dieu de tout son cœur... c'eft d'aimer Dieu de tout fon cœur Il prenoit ainfi plaifir à me tenir en fufpens.

A la fin il s'expliqua & me dit : Plufieurs auffibien que vous, me demandent des méthodes, des moyens, des fecrets de perfection, & je leur répons, que je ne fçai point de plus grande fineffe, que d'air mer Dieu de tout fon cœur...& tout le fecret d'arriver à cet amour, c'eft d'aimer; car comme on apprend à étudier en étudiant, à parler en parlant, à courir en courant, à travailler en travaillant, auffi apprend-on à aimer Dieu & le prochain en l'aimant; & ceux qui prennent une autre méthode fe trompent.

Le bon moyen done d'aimer Dieu, c'eft de l'air mer toujours plus avancez fans ceffe, & ne vous amufez point à regarder en arriere. Que les apprentifs commencent, & à force d'aimer, ils y deviendront maîtres. Que les plus avancés avancent tou jours plus avant, fans penfer être arrivés au but;

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