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car la charité de cette vie peut toujours être aug mentée jufqu'au dernier foupir; & que les plus avancés difent avec David: Voilà maintenant que je Pfal. 76. 11. commence: ou avec le grand S. François, quand commencerons-nous à aimer, & à fervir Dieu de tout notre cœur, & à chérir notre prochain comme nousmêmes ?

CHAPITRE XXVII,
Suite du même fujet

E fçavois bien, lui dis-je, que la perfection chrétienne confifte en la charité, que cette cha rité c'est d'aimer Dieu pour l'amour de lui-même, & le prochain pour l'amour de Dieu. Mais, qu'estce qu'aimer ?

Il me répondit: L'amour est la premiere paffion de notre cœur, qui nous porte à vouloir le bien.

Aimer Dieu & le prochain d'un amour de charité, qui eft un vrai amour d'amitié, c'eft vouloir du bien à Dieu pour lui-même ; & au prochain en Dieu, & pour l'amour de Dieu.

Mais quel bien, repris-je, pouvons-nous vouloir à Dieu, qui eft le bien fouverain & la bonté effentielle?

Nous pouvons, répondit-il, lui vouloir deux fortes de bien: celui qu'il a par complaifance, nous réjouiffant de ce qu'il eft ce qu'il eft, & que rien ne peut être ajouté à la grandeur & à l'infinité de fa perfection interieure: & celui qu'il n'a pas, le lui, vouloir; ou par effet, s'il eft en notre pouvoir de le lui procurer; ou par affection & defir, s'il n'eft pas en notre pouvoir.

Et quel bien n'a point Dieu ? repartis-ję. C'est ce

que j'allois vous dire, repliqua-t-il. C'est celui que l'on appelle exterieur, & qui lui provient de l'horrneur & de la gloire que lui rendent les créatures, principalement celles qui font raifonnables. Si nous aimons véritablement Dieu, nous tâchons de lui

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procurer ce bien-là par nous-mêmes, rapportant fa gloire tout notre être & toutes nos actions, nonfeulement les bonnes, mais les indifférentes; & non contens de cela, nous faifons toutes nos diligences & tous nos efforts, pour effayer de porter le prochain à fon fervice & à fon amour, afin que par-tout & en toutes chofes Dieu foit honoré.

Aimer le prochain en Dieu, c'eft fe réjouir du bien qu'il a, en tant qu'il s'en fert utilement pour la gloire de Dieu; c'eft lui rendre toute l'affiftance poffible, qu'il exige de nous en fon befoin; c'eft avoir le zele du falut de fon ame, & le procurer comme le nôtre. propre, à caufe que Dieu le veut, & y prend plaifir.

C'eft-là avoir la vraie charité, &raimer folidement & fincerement Dieu pour l'amour de lui-même, & le prochain pour l'amour de Dieu.

CHAPITRE XXVIII.

UN

De l'amour des ennemis.

Ne perfonne de confiance lui difant qu'elle ne trouvoit rien de plus difficile dans le Chriftianifme que l'amour des ennemis. » Et moi, lui dit-il, je ne fçai comme j'ai le cœur fait, ou com» me il a plû à Dieu de m'en créer un tout nou»veau, vû que non-feulement je n'ai aucune diffi»culté à pratiquer ce commandement, mais j'y ai » un tel plaifir, & y reffens une fuavité fidélicieufe

&fi particuliere, que fi Dieu m'avoit défendu de les aimer, j'aurois bien de la peine à lui obéïr.

Et ayant été confidérablement outragé par un particulier; après plufieurs bonnes raifons qu'il lui dit avec une douceur incomparable, pour l'appaifer, il finit en lui difant: Après tout, je veux bien que vous fçachiez, que quand vous m'auriez crevé un œil, je vous regarderois de l'autre auffi affectueufement que le meilleur ami que j'aye au monde.

y a

Il est vrai, ajouta-t-il, que dans les fens il quelque petit combat; mais enfin il en faut venir à cette parole de David: Couroucez-vous, ou comme Pfal. 4. M dit une autre Version, trémouffez un peu, mais ne péchez pas. O! non; car, pourquoi ne fupporteronsnous pas ceux que Dieu même fupporte, ayant ce grand exemple devant les yeux, Jefus-Chrift priant en Croix pour les ennemis?

Encore ne nous ont-ils pas crucifiés, encore ne nous ont-ils pas perfecutés jufqu'à la mort, encore n'avons-nous pas réfifté jufqu'au fang. Mais qui ne Heb. 12. 44° l'aimeroit, ce cher ennemi pour qui Jesus-Chrift a prié, pour qui il eft mort; car voyez-vous, il ne prioit pas feulement pour ceux qui le crucifioient, mais encore pour ceux qui nous perfécutent, & qui le perfécutent en nous, ainfi qu'il témoigna à Saul, quand il lui cria: Pourquoi me perfécutes-tu ? cela 48. 9, 47 s'entend, en mes membres.

A dire la verité, nous ne fommes pas obligés d'aimer fon vice, fa haine, ni l'inimitié qu'il nous porte, car elle déplaît à Dieu qui en eft offenfé; mais il nous faut féparer le péché du pécheur, le précieux du vil, fi nous voulons être comme la bouche du Seigneur.

Ce font les menus feux qui s'éteignent par le vent, les gros s'allument davantage. Le meilleur

poiffon fe nourrit dans les eaux falées de la mer & les meilleures amès s'engraiffent de la grace par mi les contradictions, dont les eaux ne peuvent éteindre la charité; elles s'élevent par-là vers Dieu; comme l'Arche de Noé vers le Ciel par les eaux du déluge.

CHAPITRE XXIX.
Du concours aux Bénéfices.

L avoit établi le concours pour les Bénéfices de

Ifon Diocèfe, & il m'a dit plufieurs fois que fans cela la charge Paftorale lui eût été infuportable.

Et afin de couper chemin aux brigues & aux faveurs & fe lier les mains, il avoit formé un confeil compofé de quelques Docteurs, & des plus fçavans & vertueux Ecclefiaftiques de fon Diocèfe, entre lefquels il n'étoit que le Préfident, & n'avoit que fa voix, pour le choix de celui des concurrens qui étoit jugé le plus capable. Saint réglement qu'il feroit à fouhaiter de voir pratiquer en tous les Diocèses!

I

CHAPITRE XXX.

De la mémoire & du jugement.

L fe plaignoit un jour à moi de fon peu de mémoire. Ce défaut, lui dis-je, eft bien récom pensé par le jugement. Celui-ci eft le maître, l'autre n'eft qu'un ferviteur, qui fait affez de bruit, mais peu de fruit, fi le jugement n'accompagne ses démarches,

Il eft vrai, me répondit-il, que les grandes mémoires, & les grands jugemene ne font pas d'ordi

naire leur réfidence en une même maifon, & que ce font comme deux bénéfices incompatibles, & dont on donne peu de difpenfes pour les tenir en femble. Ces deux qualités fubfiftent en une même perfonne en un degré médiocre : mais dans un émi nent & fublime, cela arrive fort rarement.

Je lui nommai pour exemple le grand Cardinal du Peron, ce prodige de mémoire & de fçavoir? lequel auffi abondoit en jugement. Il avoua cet exemple avec un éloge qui témoignoit la grande eftime qu'il faifoit de ce grand Perfonnage.

Et à dire le vrai, ces deux qualités font de tempéramment fi divers, qu'il eft mal-aifé que l'une ne

chaffe l'autre : l'une vient de la vivacité, l'autre ne va qu'à pas de plomb. C'eft pourquoi, lui disois-je, vous n'avez pas à vous plaindre de votre partage, puifque vous avez la très-bonne part, qui eft le jugement. Plut à Dieu que je puffe vous donner de la mémoire, qui m'afflige fouvent de fa facilité ; car elle me remplir de tant d'idées, que j'en suis suffoqué en prêchant, & même en écrivant, & que j'euffe un peu de votre jugement; car de celui-ci, je vous affure que j'en fuis fort court.

A ce mot il fe prit à rire, &'en m'embraffant tendrement: En verité, me dit-il, je connois maintenant que vous y allez tout à la bonne foi. Je n'ai jamais trouvé qu'un homme avec vous, qui m'ait dit qu'il n'avoit gueres de jugement; car c'est une piéce de laquelle ceux qui en manquent davantage, penfent en être les mieux fournis, & je n'en trouve point de plus courts, que ceux qui pensent y abonder.

Se plaindre de fon défaut de mémoire, & même de la malice de fa volonté, c'est une chofe affez commune, peu de gens en font la petite bouche;

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