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mais de cette béatitude de pauvreté d'efprit ou de jugement, perfonne n'en veut tâter, chacun la repouffe comme une infamie. Mais ayez bon courage, l'âge vous en apportera affez, c'eft un des fruits de l'experience & de la vieilleffe.

On ne peut pas dire cela de la mémoire. C'eft un des indubitables défauts des vieillards, c'eft pourquoi j'efpere peu d'amandement de la mienne; mais, pourvû que j'en aye affez pour me fouvenir de Dieu, c'eft affez.

II. PARTIE.

SECONDE PARTIE.

CHAPITRE PREMIER.

De l'Humilité & de la Chaftete.

L difoit-il, deux vertus qu'il faut pratiquer I fans cede, Sc s'il étoit poffible ne les nommer ja

mais, ou fi rarement, que cette rareté pafsât pour fi lence. Ce font les vertus d'humilité & de chafteté. Mon Dieu, lui dis-je, mon Pere, je ne fuis nul lement de votre avis : je voudrois que l'air ne retentît d'autre chofe que de ces deux beaux noms, & qu'ils fuffent gravés fur les écorces de tous les arbres, & écrits en lettres d'or fur tous les marbres.

Maraifon eft, reprit le Saint, qu'on ne peut nom> mer ces deux vertus ni les louer, foit en elles-mêmes, foit en quelqu'un, fans les alterer.

1. Il n'y a point de langue humaine, à mon avis, qui puiffe dignement exprimer leur valeur ; & c'est en quelque façon diminuer leur prix, que de les louer baffement. 2. Louer l'humilité, c'eft la faire defirer par un fecret amour-propre, & y porter les gens par une fauffe porte. 3. Louer l'humilité en quelqu'un, c'eft le tenter de vanité & le flatter dangereufement; car il fera d'autant moins humble, qu'il penfera l'être davantage ; & il penfera l'être, quand il verra qu'on l'eftime tel.

Quant à la chafteré, 1. la louer en elle-même, c'eft laiffer dans les efprits une fecrete & prefque imperceptible imagination du vice contraire, & les expofer à quelque péril de tentation. 2. La louer en quelqu'un, c'eft en quelque façon le difpofer à

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la chûte, & lui mettre devant les pieds une pierre d'achopement, en lui enflant le courage d'un orgueil couvert d'un beau voile qui le porte au précipice. 3. C'eft qu'il ne faut jamais fe fier à la chasteté paffée, mais craindre toujours, d'autant que c'eft Cor. 4. 7. un tréfor que l'on porte en un vafe fragile & de verre. Voilà pourquoi j'eftimerois que c'est un acte de prudence de les nommer peu fouvent. Mais c'en eft encore un plus grand de les pratiquer fans intermiffion; l'une étant une des plus excellentes vertus de l'efprit, & l'autre la belle & blanche vertu du

corps.

Je ne dis pas pourtant qu'il faille être scrupuleux jufqu'à ce point, qu'on n'ofe les nommer aux occafions, même avec éloge: Non, elles ne feront jamais affez louées, prifées, eftimées, cultivées : mais qu'est-ce que tout cela? Toutes ces feuilles de louanges ne valent pas le moindre fruit de la pratique. Ecoutons maintenant vos raisons.

Je n'en ai plus, lui dis-je, après celles-là je les quitte volontiers pour acquiefcer aux vôtres, aufquelles je me veux tenir.

CHAPITRE II.

De la longue vie.

ONSIDERANT fa taille grande & forte, fon

Ceftomach robufte, fa compofition avantageufe

pour une longue vie, fa prudence à ménager fa fanté pour le fervice de Dieu, fa tempérance en fa nourriture, je lui difois qu'il promettoit de vivre longtems. Il avoit alors quarante-deux ou quarante-trois

ans.

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fl me répondit en foupirant, la plus longue vie« n'eft la meilleure, mais celle qui eft la plus pas occupée au service de Dieu; puis il ajouta ces pa- « roles du Prophete: Que je fuis malheureux de ce que Pfal. 189. 5. le tems de mon pélerinage eft fi long! J'ai demeuré avec ceux qui habitent dans les ténebres, mon ame a été longtems étrangere.

Je penfois qu'il fut touché de fe voir hors de fon Siége & de fa chere Geneve; c'eft ainfi qu'il l'appelloit, & je lui dis: Nous nous fommes affis fur le Pfal. 136. iù bord des fleuves de Babylone, & là nous avons pleuré en nous fouvenant de Sion.

O non, me répondit-il, ce n'eft pas cet exil-là « qui me touche; ne fuis-je pas encore trop bien « dans notre Cité de refuge,le cher Anneffy: je par- « le de l'exil de cette vie : tant que nous y fommes, « ne fommes-nous pas exilés de Dieu, & hors de no- « tre patrie! Malheureux que je fuis! qui me délivrera de 2. Cor. 5. 6. ce corps de mort ? ce fera la grace de Dieu par J. C. N. S. Rom. 7. 24. Vous n'avez pas raifon, lui dis-je, de vous déplaire en cette vie, où tout vous rit. Je ne vois fête pour vous vos amis vous refpectent, & les ennemis même de notre Religion vous honorent; vous êtes les délices de tous ceux qui vous fréquentent.

que

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Tout cela, dit-il, eft bien peu de chofe, & fur- « quoi il faut peu compter. Ceux qui chanterent «< Hofanna au Fils de Dieu, trois jours après crie- « rent, Crucifige. D'ailleurs, rien ne m'eft plus cher « que mon ame; & je vous affure que fi quelqu'un venoit m'affurer de vivre autant que j'ai déja fait « fans douleur, fans procès, fans adverfité, fans in- « commodité, mais avec tous les contentemens, « & toutes les profperités qui fe peuvent defirer « en cette vie, que je ferois fort empêché de ma contenance. A qui regarde l'Eternité, que «

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» ce qui eft fujet au tems eft peu de chose !

Ce beau mot du Bienheureux Ignace de Loyola • quam mihi m'a toujours fort agréé: O que la terre me femble abfordet tellus dùm calum •jecte & vile, quand je confidere & contemple le Ciel. afpicio.

CHAPITRE III.

Comment il fe comportoit avec les Malades.

Ous étions allé voir ensemble une Dame de

N qualité de mon Diocèle, qui demeuroit à la

campagne. Elle étoit fort âgée & malade à l'extrêmité, ayant déja reçu Notre-Seigneur.

Nous la trouvâmes fort paifible, & tranquille fur fon interieur, ayant mis ordre à tout. Une feule chofe l'inquiétoit, qui étoit de voir ses enfans fe tourmenter jour & nuit pour lui procurer quelque foulagement.

Notre Bienheureux, pour lui ôter cette peine, lui dit : » Et moi, ma chere mere, je ne fuis jamais fi » aise, quand je fuis malade, que lorfque je vois » mes parens & mes domeftiques avoir bien de la peine autour de moi.

Nous lui en demandâmes la raifon : C'est parce que, répondit-il, je fçai que Dieu les récompenfera largement des affiftances qu'ils me rendent, parce que de telles hofties lui font fort agréables.

A la verité fi ceux qui nous fervent, foit en fanté foit en maladie, n'ont égard qu'à nous & non Dieu, & ne cherchent qu'à nous plaire, ils em ployent bien mal leurs peines, & il eft bien employé qu'ils ayent le mal de refte : mais s'ils nous fervent pour Dieu, ils font plus dignes d'envie que de pitié. Notre Bienheureux fe conduifoit avec les mala

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