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CHAPITRE IX.

Combien il étoit ennemi des louanges.

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AINT Gregoire a très-bien dit, que quand on Sapiens dum SAL loue un homme fage en fa préfence, on affligere, flagellatur fes oreilles, & on bleffe fon cœur. Notre Bienheu-in aure reux étoit ainfi. Celui qui embraffoit fi amoureufe-ciatur in man ment ceux qui lui difoient des injures, auroit volontiers dit des injures à ceux qui lui donnoient la moindre louange.

Un jour prêchant devant lui à Anneffy, me fouvenant de ces paroles que lui dit dans une occafion M. l'Evêque de Saluces: Tufal es, ego verò neque fal neque lux, il m'échapa de faire une petite allufion fur fon nom, & de dire qu'il étoit le fel (fal es) dont toute la maffe de ce peuple étoit affaisonnée; il fut tellement mal édifié de cet éloge, qu'au retour il m'en reprit avec un ton & un accent qui eût été de rigueur, s'il eût été capable de parler ainfi.

te.

Vous alliez fi droit, me dit-il, vous couriez fi Galas. g. 76 bien, qui eft-ce qui vous a fait faire cette incartade? Sçavez-vous bien que vous avez tout gâté, & que ce feul mot peut faire perdre le crédit à tout votre Sermon. N'est-ce pas mêlanger le pur or de la parole de Dieu, que d'y introduire la parole des hommes ? & n'est-ce pas la parole des hommes, que Eccli. 11.30 la louange des vivans ? N'eft-il pas écrit, ne louez aucun homme avant fa mort.

Je fuis un beau fel, un fel affadi & gâté, qui n'eft bon qu'à être jetté en la rue, & foulé aux pieds des paffans. Je plains tant de bonne femence fuffoquée avec une poignée d'yvraïe. Certes fi vous avez dit pour me confondre, vous avez trouvé le vrai

cela

fecret.

CHAPITRE X.

Son humilité.

L ne pouvoit ignorer la grande eftime que nonfeulement fon peuple, mais que tout le monde faifoit de fa piété. Souvent il s'en confondoit devant Dieu, & plufieurs fois il en a rougi devant les hom→ mes, lorfqu'il voyoit ou entendoit qu'on le tenoit pour un faint homme & un fidele ferviteur de Dieu.

Ce n'étoit pas fa coutume de dire des paroles d'humilité parlant de foi, il les fuyoit comme des écueils où l'humilité faifoit naufrage. Il étoit exact jufques-là, de ne parler de lui que comme à vive force, foit en bien, foit en mal, même dans les choLes indifférentes. Il difoit quelquefois, que parler de foi étoit une chofe non moins difficile que de marcher fur la corde, & qu'il faut avoir de grands contre-poids pour ne tomber pas, & de merveilleufes circonfpections pour ne point faillir.

Voyez-vous, difoit-il, ces bonnes gens, avec toutes leurs louanges & leurs eftimes, me feront recueillir enfin un fruit bien amer de leur amitié. C'eft qu'ils me feront languir en Purgatoire, faute de prier Dieu pour ma pauvre ame,quand je ferai mort; s'imaginant qu'elle fera allée tout droit en Paradis. Voilà tout ce que me profitera cette réputation.

J'aimerois mieux trouver en eux le fruit des bonnes œuvres, & l'huile de la miféricorde, que les feuilles de tant de vains aplaudiffemens & de vaines louanges. Une once d'operation vaut plufieurs livres de difcours. On parle de l'eau-bénite de Cour, & j'appelle ceci de l'eau-bénite du monde. Ge font de

douces

douces bénédictions fuivies de dures dérélictions.

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Des Ecrivains hatifs.

'AI commencé fort jeune à écrire, & trop-tôt à imprimer ; & comme je m'accufois un jour à notre Bienheureux de cette précipitation, il me répondit que l'on pouvoir fonder fur cela deux jugemens contraires, & tous deux appuyés de bonnes raifons.

La plus commune opinion, me dit-il, eft qu'il faut écrire tard & parler tôt. Un jeune Religieux qui étoit Prêtre & Prédicateur, ayant fait un livre qu'il defiroit mettre au jour, il le porta à fon Superieur pour en avoir la permiffion, qui lui dit ce petit mot, en prenant fon livre, & lui promettant de le lire à fon loifir & de lui en dire fon jugement: Mon Pere n'avez-vous plus rien à apprendre? & le laiffa là-deffus....comme s'il lui eût dit, ce n'eft pas en étudiant qu'il faut faire des livres, mais après avoir beaucoup étudié.

Notre Bienheureux eftimoit que les fruits de cette forte n'étoient mûrs qu'en l'arriere-saison ; c'est-àdire, fur la fin de l'Automne. Pour ceux de la Prédication, lear verdeur est agréable, & ils font plus fleuriffans au Printems & dans les chaleurs de l'Eté. Il faut plus de plomb pour écrire; plus de mercure pour parler.

D'un autre côté, quelques-uns eftiment que c'est bien fait d'écrire & de publier de bonne-heure, d'autant qu'on a le moyen de fe corriger dans les fecondes éditions. On examine le vent du bureau & on fe retire de bonne heure fi l'on n'y réuffit pas;

E

,

Ajoutez que l'on jouit du fruit de fon travail, comme ceux qui bâtiffent ou plantent en leur jeunesse.

L'opinion des premiers eft un peu fevere, & celle des feconds eft plus indulgente; & l'une & l'autre importe peu, pourvû que Dieu foit regardé en tout cela comme la fin derniere du travail.

Ceux qui rejettent la publication de leurs ouvrages après leur mort, pour éviter la vanité des applaudiffemens & des louanges ne font pas mal,pourvû que ce foit là véritablement leur motif; mais fi c'eft pour éviter le déplaifir des cenfures & des répréhenfions, c'eft fuir une vanité pour se jetter dans

une autre.

En toutes chofes la médiocrité eft excellente, & d'écrire entre deux âges, à qui a ce talent, est un confeil fort prudent, parce qu'on a encore affez de vie pour fe corriger ; & d'enfouir ce talent quand Dieu l'a donné, c'eft un compte que l'on aura à rendre à Dieu; & de redouter les divers jugemens, c'est craindre de voyager en Eté de peur des mouches.

Q

CHAPITRE XII.
Du fouvenir des Trépassés.

UAND il mouroit quelqu'un de fes amis, ou de fa connoiffance, il étoit infatiable à en dire du bien & à les recommander aux prieres d'un

chacun.

Son mot ordinaire étoit, nous ne nous fouvenons pas affez de nos morts, de nos chers Trépasses; & la preuve eft que nous n'en parlons pas affez. Nous nous détournons de ce difcours comme d'un propos funefte; nous laiffons les morts enfevelir les marts,

leur mémoire périt chez nous avec le fon des cloches, fans penfer que l'amitié qui peut finir même par la mort, ne fut jamais véritable; l'Ecriture même nous difant que le vrai amour eft plus fort que la Cant. 8. 6.

mort.

Alors les louanges ne font plus fufpectes de flaterie; & comme c'eft une efpece d'impiété de déchirer la réputation des morts, & faire comme ces bêtes féroces qui déterrent les corps pour les dévorer; auffi eft-ce une marque de piété de faire récit de leurs bonnes qualités, parce que cela nous provoque à

leur imitation.

J'ajoute qu'il avoit coutume de dire, qu'en cette feule œuvre de miféricorde, les treize autres s'y rencontroient.

N'eft-ce pas, difoit-il, en quelque façon visiter les malades, que d'obtenir par nos prieres le foulagement des pauvres ames qui font dans le Purgatoire. N'eft-ce pas donner à boire à ceux qui ont i grand foif de la vifion de Dieu, & qui font parmi ces du res flâmes, que de leur donner part à la rosée de nos oraifons.

N'eft-ce

pas nourrir des affamés, que d'aider à leur délivrance par les moyens que la foi nous fuggere.

N'eft-ce pas vraiment racheter des prifonniers. N'eft-ce pas vêtir les nuds, que de leur procurer un vêtement de lumiere, & de lumiere de gloire. N'est-ce pas une infigne hofpitalité, que de procurer leur introduction dans la célefte Jerufalem, & les rendre citoyens des Saints, & des Domestiques de Dieu dans l'éternelle Sion.

N'est-ce pas un plus grand fervice de mettre des ames au Ciel, que d'enfevelir des corps & les met

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