Imágenes de páginas
PDF
EPUB

lunettes paffionnées qui aggrandiffent les objets : mais laiffons cela pour ce qu'il eft. Mon sentiment touchant notre Prince eft bien différent du vôtre : car en cela même que vous dites, je trouve qu'il fait paroître la grandeur de fon jugement, parce qu'outre que je ne vous avoue pas que j'euffe tant de dexterité & de prudence au manîment des affaires de Politique que vous vous le figurez, je vous dirai que les feuls mots de prudence, d'affaires & de Politique me donnent de la frayeur, & que je m'y connois fi peu, que ce peu-là n'eft rien.

Il ajouta: Je vous dirai ce petit mot, mais mot d'ami & à l'oreille, & encore à l'oreille du cœur je ne sçai nullement l'art de mentir, ni de diffimuler, ni de feindre avec dexterité, ce qui est le maître reffort du manîment de la politique, & l'art des arts en matiere de prudence humaine.

Pour tous les Etats de Savoye, de la France, ni de tout l'Empire, je ne porterois pas un faux paquet dans mon fein. J'y vais à l'ancienne gauloife, tout à la bonne foi & tout fimplement. Ce que j'ai fur les levres, c'est justement ce qui fort de ma pensée. Je fal. 11. 3. ne fçaurois parler en un caur & en un cœur. Je hai la. Prov. 12, 12. duplicité comme la mort, fçachant que Dieu a en abomination l'homme trompeur. Peu de perfonnes me connoiffent, qui ne connoiffent auffi-tôt en moi ce caractere :c'est pourquoi on juge fort fagement que je ne fuis nullement propre à ce qui s'appelle politique outre que j'ai toujours adoré comme une célefte, fouveraine & divine maxime, ce grand mot 3. Tim, 2. 4. de l'Apôtre, que celui qui eft confacré à Dieu, ne doit point s'embarrasser dans les affaires féculieres.

1

CHAPITRE XXV.

Grande charité du Bienheureux envers une

mourante.

Utation, après avoir traîné une vie très-languiffante avec une patience fi exemplaire, qu'elle donnoit de l'étonnement à toutes celles qui la voyoient fouffrir, non-feulement avec conftance, mais ce qui eft plus remarquable, avec joie: à la fin elle s'abbattit fous l'effort d'une violente maladie, dont elle

Religieufe de la Congrégation de la Vifi

mourut.

Deux heures ou environ avant qu'elle rendît l'efprit, on fit venir notre Bienheureux pour l'affifter en ce dernier paffage. Le Bienheureux qui connoiffoit cetre ame de longue main, & qui fçavoit que Notre-Seigneur l'avoit conduite par le chemin de la Croix avec une patience fort remarquable, n'eut aucune difficulté de la réfoudre à la mort; au contraire, il eût eu peine à lui ôter le defir, fi elle n'eût été dans une parfaite foumiffion à la volonté de Dieu.

Cette fille étant en un état qui panchoit vers l'agonie, ayant néanmoins le jugement affez bon, après avoir fait tous les actes de foi, d'amour, de contrition, d'humilité, de confiance, de réfignation, de conformité à la volonté de Dieu que le Bienheureux lui fuggéroit doucement, paifiblement & de diftance en diftance, felon fon procedé ordinaire ; cette bonne Religieufe fentant des douleurs très-aiguës, commence à dire au Bienheureux avec un profond foupir mais, mon Pere, ne feroit-ce point mal-fait ? & fe tût.

qu'il y en ait, de cela je vous en affure fur mon ame propre.

Hélas! dit-elle, mon Pere, faut-il que je faffe un acte de lâcheté à la clôture de ma vie.

Quelle lâcheté, dit-il, parlez plus clairement. Hé! n'eft-ce pas une lâcheté infigne, dit-elle, & une grande infidelité envers Notre-Seigneur, de dire que je fens bien du mal.

fon

Le Bienheureux voyant que c'étoit-là tout le poique cette pauvre mourante avoit fur le cœur. s'écria fortement : Non, de la part de Dieu, ma fille, il n'y a là ni lâcheté, ni infidelité quelconque. O! certes, vous venez de me donner la vie n'ya-t-il autre chofe que cela ?

Non, dit-elle, voilà tout, mon Pere: mais n'eftce point pour me raffurer & me confoler en ce détroit, que vous me dites avec tant de véhémence, qu'il n'y a point de péché à cela ?

Nullement, ma fille, je hai les déguisemens, furtout en ce point, où il ne faut parler que du fond du

cœur.

Or, ma fille, après l'exemple que je vous vais dife, il faudra que tous vos ombrages fe diffipent, comme font les ombres de la nuit au lever du foleil.

Le Fils de Dieu, notre Sauveur & notre Maître, étant fur la Croix parmi les extrêmes douleurs de la mort, Matt. 27. 46. ne s'écria-t-il pas à haute voix: Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné ? Conferez ce que vous venez de dire, & voyez fi ce n'eft pas une foible lampe devant le foleil.

Tant s'en faut que ce foit mal-fait de fe plaindre, & même de crier fous l'épreinte des douleurs, qu'au contraire, je crois que la fainte vertu de verité, de candeur & de fimplicité, nous oblige, quand nous fentons du mal, principalement quand il eft pref

fant, de le manifefter à ceux qui peuvent y apporter du remede; car comment penferont-ils à nous foulager, fi nous oublions à nous plaindre & à le leur manifefter.

O! mon pere, dit-elle, j'ai donc bien commis des fautes; car il y a plufieurs années que je fuis toujours malade, & un vrai pillier d'infirmerie, je ne me fouviens gueres d'avoir été fans quelque douleur, & j'en ai fouvent fenti fans me plaindre. Il eft vrai que maintenant que je n'ai plus ni force ni vigueur, je fens les douleurs plus violentes, & je craignois de les dire & de m'en plaindre, eftimant que ce fût tendreffe fur moi-même, lâcheté & infidelité envers Jesus-Chrift, qui en a fouffert bien d'autres pour moi fur la Croix.

Elle defira donc recevoir, & la bénédiction & l'abfolution de ces fautes-là de notre Bienheureux.

Peu après les fens commencerent à défaillir, & après une demie-heure d'agonie fort douce, elle rendit fa belle ame fur le fein & dans le cœur de Jefus-Chrift.

Le Bienheureux, tout baigné de larmes de confolation d'un fi heureux paffage, prit fujet de-là, de remontrer aux Sœurs l'héroïque mortification de cette fainte Religieufe, qui dans les extrêmes horreurs & douleurs de la mort, n'ofoit pas feulement ouvrir la bouche, comme fi fon cœur eût dit avec le Prophete: Je me fuis tuë, & je n'ai pas ouvert la Pfal. 38. 3. bouche, parce que c'eft vous qui m'avez frappé.

Cependant le Bienheureux, qui m'a raconté cette hiftoire, m'a confeffé qu'il ne s'étoit jamais vû fi pre d'angoiffe, & qu'il fortit de là plus trempé de larmes & de fueurs que s'il eût prêché la Paffion trois

heures durant

I

CHAPITRE XXV I.

Eftre court en prêchant.

L approuvoit extrêmement la brieveté en la prédication, & difoit que la longueur étoit le défaut le plus général des Prédicateurs de fon tems.

Appellez-vous cela, lui disois-je, un défaut, & donnez-vous à l'abondance le nom de difette?

Quand la vigne, repliqua-t-il, produit beaucoup de bois, c'eft lorfqu'elle porte moins de fruit. La multitude des paroles n'engendre pas de grands effets.

Voyez toutes les Homélies ou Prédications des Peres, combien elles font courtes:ô combien étoientelles plus efficaces que les nôtres!

Le bon S. François ordonne dans fa Regle aux Prédicateurs de fon Ordre d'être courts, & en donne Rom. 9. 28. cette raison, que Dieu a fait sa parole abregée sur la

terre.

Croyez-moi, difoit-il, c'est par experience, & longue experience que je vous dis ceci; plus vous direz, & moins on retiendra. Moins vous direz plus on profitera : à force de charger la mémoire des auditeurs on la démolit, comme on éteint les lampes quand on y met trop d'huile, & on fuffoque les plantes en les arrofant démefurément.

Quand un difcours eft trop long, la fin fait oublier le milieu, & le milieu le commencement.

Les médiocres Prédicateurs font recevables,pourvû qu'ils foient courts ; & les excellens font à charge quand ils font trop longs. Il n'y a point dans un Prédicateur, de qualité plus odieuse que la longueur.

« AnteriorContinuar »