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A BREGÉ

DE LA VIE

DE M. L'EVÊQUE
DE BELLEY.

EAN-PIERRE CAMUS, Evêque de Belley, defcendoit de Nicolas Camus Seigneur de Marcilly, par Jean Camus fon arriere-petit-fils, Seigneur de SaintBonnet, & chef de la branche des Seigneurs de ce nom dans le Lionnois.

Il naquit à Paris en l'année 1582. Son fçavoir & fa vertu le rendirent digne de l'Epifcopat avant l'âge prefcrit par les Canons pour être élevé à cette di gnité. Auffi l'efpérance des grands fervices que rendroit à l'Eglife un Prélat de fon mérite, ne permit pas d'attendre qu'il eût l'âge de vingt-fept ans ; & il n'en avoit pas vingt-fix accomplis, lorfque le Roi Henri IV. le nomma à l'Evêché de Belley. Le Pape En 1608. accorda la difpenfe dont il avoit befoin ; & le 31. Août 1609. il fut facré dans la Cathédrale de cette Ville par les mains de S. François de Sales.

Il remplit auffi-tôt tous fes devoirs avec une exactitude entiere. Il inftruifoit lui-même les peuples, il s'employoit à la converfion des pécheurs & des hérétiques; il étoit attentif à tous les befoins, &

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toujours en action pour les foulager, gouvernant avec une fageffe & une droiture qui lui attiroient l'affection des fiens & l'eftime de tout le monde.

Comme il étoit d'un grand travail & d'une morale très-exacte, la fainéantife & les fentimens relâchés de quelques Religieux irriterent fon zéle; & jamais il ne manqua l'occafion de déclamer & d'écrire contr'eux. Le gros Ouvrage qu'il compofa, & qui eft intitulé Des Moines, fait connoître combien il étoit touché des défordres que caufoit la morale aifée de ces Religieux. Il ne pouvoit fe calmer làdeffus ; & il n'auroit pas ceffé de leur faire la guerre dans fes Sermons comme dans fes Ecrits, fi le Cardinal de Richelieu, preffé par les vives follicitations qu'on lui fit en leur faveur, n'avoit tiré parole du Prélat qu'il les laifferoit en repos. On prétend que le Cardinal, en lui parlant de la véhémence avec laquelle il s'élevoit à tout propos contre ces Réguliers, lui dit que fans ce défaut il feroit un Evêque accompli; ajoutant que s'il étoit Pape il le canoniferoit. Monfeigneur, répondit l'Evêque de Belley, fi cela étoit, nous aurions l'un & l'autre ce que nous fouhaitons.

Il écrivoit avec une facilité merveilleufe; mais il écrivoit trop, pour le faire avec exactitude. Le nombre des Ouvrages de Controverfe, de Morale, de Spiritualité qu'il a compofés, eft étonnant. Son Style, qui étoit dans le goût du tems, plaifoit extrêmement. Il entaffoit pourtant un peu les métaphores les unes fur les autres; mais comme elles étoient hardies, elles faifoient plaifir; & le grand nombre de chofes que préfentoient l'abondance & la variété des Images, occupoit toujours agréablement & utilement le Lecteur.

Du tems de l'Evêque de Belley, on donna beau-`

coup dans les Romans; & ce fut celui qui a pour titre, Aftrée, qui fit naître le grand goût où l'on étoit pour cette forte d'Ouvrage. Les traits de Morale répandus dans la longue fuite de ce Roman, en faifoient comme le corps ; & la délicateffe des paffions exprimées avec un art féduifant, en faifoit toute l'ame.

La maniere intéreffante dont la paffion feinte étoit décrite, rendoit le cœur fufceptible d'une paf

fion réelle. Un attachement immodéré étoit revêtu de toutes les circonftances qui fembloient le rendre légitime; & cet attachement qui avoit la créature pour objet fixe & unique, étoit dès-là même un dé. rangement à détefter. On lifoit des préceptes pour éviter le déreglement du cœur; & la peinture des actions qui occafionnoient les préceptes, caufoit ellemême ce déreglement. En un mot, le dégoût des vérités de l'Evangile & des chofes de Dieu, étoit la fuite néceffaire de l'avidité avec laquelle on fe repaiffoit de ces pernicieufes fictions.

L'Evêque de Belley touché jufqu'au fond du cœur des maux que caufoit une lecture qui engendroit les paffions, qui nourriffoit l'indolence, qui amusoit l'oifiveté, réfolut d'y remédier. Il crut que s'il s'éle voit de front contre les Romans, la prévention que l'agrément qu'on y trouvoit, donnoit en faveur de leur utilité prétendue, ne permettroit feulement pas aux perfonnes qui en étoient entêtées, de lire ce qu'il auroit écrit pour en montrer l'abus : c'est ce qui lui fit former le deffein de faire tomber ces dangereux Ouvrages, fans les attaquer. Pour exécuter ce projet, il profita de la manie même que l'on avoit pour la fiction; & le goût dépravé des malades fut le remede qu'il employa pour les guérir.

Il compofa plufieurs Hiftoires, aufquelles il don

na un air de vraisemblance qui en auroit fait paffer le fujet pour être réel, fi elles n'euffent pas été don nées comme des fictions. Il les fit rouler fur des intrigues ingénieufement concertées & adroitement conduites. Les incidens inopinés furprenoient agréablement le Lecteur, fins lui faire perdre de vûë ceux qui l'avoient déja mis dans l'impatience de voir un dénouement. Mais en peignant la galanterie, qui eft fi expreffément défendue par l'Apôtre S. Paul, il employoit des couleurs qui en infpiroient du mépris & de l'averfion; de forte que les charmes de la fable ne fervant qu'à rendre fenfibles ceux de la vérité, le Lecteur étoit agréablement conduit à quelque chofe de folide & d'utile; & par ce moyen revenoit de l'attachement qu'il avoit à ces lectures vuides, dont il ne pouvoit s'empêcher de convenir que le moindre mal étoit la perte d'un tems, qu'on sçait être le plus précieux de tous les biens.

Les différens caracteres qui font le mérite des Héros de Roman, étoient blâmés en ceux qui faifoient le fujet des Hiftoires qu'avoit compofées le pieux Auteur; & les Maximes Chrétiennes fur lesquelles le blâme étoit appuyé, étoient expofées d'une maniere fimple & convaincante. Les catastrophes qu'il faifoit toujours envifager comme la fuite d'une aveugle paffion, en infpiroient du dégoût & de l'éloignement; & ces catastrophes donnoient occafion de reconnoître la tyrannie d'une paffion, qui faifoit payer bien cher des plaifirs qui n'avoient jamais été goûtés. Enfin, on voyoit les perfonnes défabufées du monde, fe retirer volontairement en des Monafteres, pour y réparer par un dévoûment parfait de leur cœur à Dieu, l'injure qu'ils lui avoient faite en donnant à la créature un attachement qu'ils ne devoient qu'à lui feul.

Ces Livres pafferent dans les mains de tout le monde ; ils furent lûs, ils furent goûtés ; & le fruit que les Lecteurs en retirerent, fut de fe convaincre que Dieu étant le fouverain bien, tout autre amour que celui dont il est l'objet ou la fin, est auffi contraire au bonheur de l'homme, qu'opposé à toutes les loix de la juftice.

L'étendue du zele de ce grand Prélat n'affoibliffoit point fon ardeur; & l'attention qu'il avoit à tout ce qui pouvoit contribuer au falut des Fidéles en général, ne le déroboit point à l'application avec laquelle il travailloit pour le peuple qui étoit particulierement confié à fes foins. Après avoir établi dans fon Diocèfe l'ordre & la paix, qui font le fruit de la connoiffance & de l'observation des devoirs de la Religion; après avoir formé un Clergé, que la science & la piété rendoient floriffant; il crut que pour affermir le bien que Dieu avoit operé par fon miniftere, il devoit établir dans la Ville Epifcopale une Communauté d'hommes Religieux, qui, joignant les travaux de la pénitence à ceux du minifftere Evangélique, & produifant de tems à autre, par leur exemple, les vertus qu'ils pratiquoient dans la retraite, puffent dans le befoin venir au fecours du Clergé & du peuple. Il le fit, en donnant à Belley En 1620. une maison aux Capucins ; & comme il étoit trop lié de cœur avec faint François de Sales, pour n'a

voir

pas avec lui le même efprit; comme il connoiffoit de quelle utilité feroit dans l'Eglife l'Ordre naiffant de la Vifitation, il fonda dans la même Ville un En 1622 Monaftere de cet Ordre.

Quoique l'affiduité avec laquelle il s'employoit pour la fanctification des peuples ne fît aucune diverfion au foin qu'il fe donnoit pour la fienne propre, il crut cependant qu'après avoir rendu à fon

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