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& bien difcuter une cause: il mit à profit fes vaftes connoiffances dans l'Hiftoire qui fournit au besoin, à l'Orateur une multitude de faits à l'appui de ceux qu'il avance, & une foule de témoins ou d'arbitres qu'il peut interroger du fond de leurs tombeaux. On fe contentoit avant lui d'attaquer, de combattre, de preffer fon adverfaire par la force ou par la fubtilité du raisonnement; mais aucun Orateur n'avoit encore eu l'adreffe d'égayer l'austérité des Juges, & de dérider leur front févère, par des railleries fines & délicates; aucun n'avoit connu l'art de généralifer une caufe particulière & du moment, & de la rendre également intéreffante pour tous les temps, & pour tout le monde. Il avoit encore le talent unique, de délaffer, par des digreffions agréables (& fans trop s'écarter de fon fujet) l'atten

tion de fes Auditeurs en un mot, peronne n'avoit connu jufqu'à lui, le talent propre à l'Orateur, le grand art de captiver les efprits, & d'exciter à fon gré

la colère, l'indignation, les larmes & la pitié des Juges (1).

C'eft par ce fonds immenfe de richeffes que Cicéron s'eft affuré l'empire de l'Éloquence Latine. Son génie, avide de favoir,

(1) Nihil de me dicam, dicam de cæteris, quorum nemo erat, qui videretur exquifitiùs, quàm vulgus hominum, ftuduiffe literis, quibus fons perfectæ eloquentiæ continetur: nemo, qui philofophiam complexus effet, matrem omnium bene factorum, benèque dictorum; nemo, qui jus civile didiciffet, rem ad privatas caufas, & ad oratoris prudentiam maximè neceffariam: nemo, qui memoriam rerum Romanarum teneret, ex quâ, fi quando opus effet, ab inferis locupletiffimos teftes excitaret: nemo, qui breviter, argutèque, inclufo adverfario, laxaret judi cum animos, atque à feveritate paulifper ad hilari¬ tatem, rifumque traduceret: nemo, qui dilatare poffet , atque à propria ac definita difputatione hominis, ac temporis, ad communem quæftionem univerfi generis orationem traduceret: nemo, qui delectandi gratiâ digredi parumper à caufa: nemo, qui ad iracundiam magnopere judicem, nemo, qui ad fletum poffet adducere; nemo, qui animum ejus (quod unum eft Oratoris maximè proprium) quocunque res poftularet, impelleret, Cic. de Clar, Orat. n° 93:

avoit embraffé, dès fa jeuneffe, l'étude de toutes les Sciences qui pouvoient contribuer à perfectionner fon talent; & l'on remarque aifément dans fes harangues & dans fes plaidoyers, l'ufage heureux qu'il en a fait. Par-tout on y voit briller la force & la véhémence de Démosthène (1), la merveilleufe fécondité de Platon, la douceur & les grâces d'Ifocrate : il s'étoit formé fur ces grands modèles, & paroît n'avoir point eu d'autres Maîtres. Oferonsnous le dire? Il leur eft fupérieur par les beautés naturelles dont il brille, & par la délicateffe & la riche abondance des penfées. Mais combien cet illuftre Orateur n'a-t-il pas ajouté à fa gloire par les admirables traités qu'il nous a laiffés? Que fa Philofophie eft douce & confolante! Tout y refpire l'honnêteté, la candeur & la

(1) Nam mihi videtur M. Tullius cum fe totum ad imitationem Græcorum contuliffet, effinxiffe vim Demofthenis, copiam Platonis, jucunditatem Ifocratis. QUINTIL. Inft. Orat. Lib. X, Cap. I, pag. 751

Tenfibilité d'une belle ame. Eft-il un fyftême de morale naturelle plus parfait, que fon admirable (1) Traité des Offices, où il trace à l'homme & au citoyen, avec toute la force de la raison & toutes les -lumières de la fageffe, la manière de remplir les devoirs de la vie civile ? Où trouver une réfutation plus folide & plus intéressante de la doctrine d'Epicure, de Zénon & des Stoïciens, que dans fes Entretiens (2) fur le fouverain bien & fur les vrais maux? Avec quelle réserve, avec quel respect il parle de la Divinité (3)! Quelle force il donne aux nœuds de l'amitié (4), qui ne peut être ni fincère ni durable, fi la vertu ne les a pas formés! Quelle fublime confolation il (5) offre à la vieilleffe! comme il affoiblit ses regrets, par l'efpérance d'une autre vie! Si de la

(1) De Officiis.

(2) De Finibus bonorum & malorum.
(3) De Naturâ Deorum.

(4) Lælius, five de Amicitiâ.

(5) Cato major, five de Senectute.

Philofophie & de la Morale, il paffe à la Littérature, à qui convient-il mieux qu'à lui de donner des préceptes, & d'inftruire les Orateurs? Où puifer un goût plus fin, plus délicat, plus sûr, des leçons plus excellentes & plus folides pour conduire à la véritable éloquence, que dans fon Traité de l'Orateur? En un mot tous les ouvrages de ce grand Homme font mar qués au coin du vrai & du beau. Ils font écrits avec une élégance foutenue, une pureté de ftyle & d'expreffion, & une harmonie qu'on chercheroit vainement dans les autres Écrivains. Il est vrai, (& Cicéron en convient lui-même, quand il dit (1), qu'il s'exerçoit particuliérement à compo fer en Grec, parce que cette langue lui fourniffoit des beautés dont il enrichiffoit la fienne), il eft vrai, dis-je, qu'il doit aux Grecs toute la perfection, toute la

(1) Idque faciebam multùm etiam Latinè, fed Græcè fæpius: vel quod Græca oratio plura ornamenta fuppeditans, confuetudinem fimiliter Latinè dicendi afferebat. Cic. de Clar. Orat. n° 90.

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