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Jeux Olympiques! On crut entendre les Mufes elles-mêmes s'exprimer par fa bouche; & le plaifir qu'il caufa fut fi général & fi vif, qu'on donna à chacun des neuf livres qui compofoient cette histoire, le nom d'une des Neuf Mufes.

On n'accufera pas fans doute Hérodote d'avoir mendié les glorieux fuffrages qu'il obtint dans cette brillante journée. La Grèce n'avoit point de cercles établis, de protecteurs déclarés, de prôneurs en titre, de caillettes-philofophes & beaux efprits, décidant fouverainement de la bonté & de la destinée d'un ouvrage, du mérite & de la réputation d'un Auteur. Ce fut donc à lui feul, à l'excellence de fon ouvrage, qu'Hérodote dut fon triomphe; mais il eft important de remarquer ici qu'Homère avoit grande part à ce triomphe. Hérodote l'avoit pris pour modèle; & il étoit difficile qu'un peuple le plus fpirituel, le plus délicat, le plus fensible aux vraies beautés, le feul digne d'apprécier & de couronner le génie, ne s'apperçût

pas des moyens que l'Hiftorien avoit employés pour le charmer.

En effet, à la simplicité de l'expofition, à la précision & à la clarté des faits, à la rapidité de la narration, au choix & à la beauté des images, Hérodote joint une douceur, une harmonie de style, une élégance, une noblesse & une pureté d'expreffion qu'il avoit puifées dans Homère. Il est à cet égard le plus parfait des Historiens, & doit être leur modèle. On lui reproche 'd'avoir mêlé beaucoup de fables aux vérités hiftoriques. Mais ces fables les a-t-il inventées à plaisir, ou les a-t-il trouvées 'établies? Avoit-il befoin de recourir au merveilleux, quand il poffédoit d'ailleurs au plus haut degré l'art d'intéreffer & de plaire? On doit donc préfumer que ces fables étoient des traditions accréditées & reçues chez les différentes Nations dont il donne l'hiftoire, & qu'il les y avoit inférées, non en Hiftorien impofteur qui veut fe jouer de la crédulité de fes Lecteurs; mais en narrateur fidèle des opinions

universellement adoptées. Il n'a pas cru devoir les paffer fous filence, parce qu'elles lui étoient abfolument néceffaires, pour mieux peindre le caractère, & l'efprit des Peuples dont il avoit observé les mœurs. Tel étoit le but de fes voyages. L'Art de la critique , pour affurer la fidélité des faits, n'étoit pas encore né, & Hérodote accoutumé aux Traditions fabuleufes de la Grèce même, ne devoit pas être révolté de celles des Étrangers. Loin donc de nous plaindre de ces fables, plaignonsnous au contraire de n'en avoir pas davantage; nous en connoîtrions mieux les premières fociétés, & la route de l'efprit humain dans fes progrès.

Eh! quel eft après tout le danger de ces fables, fi l'Hiftorien les raconte avec cette candeur & cette naïveté qui charment le Lecteur, fans donner atteinte à fes mœurs, à fon goût & à fon jugement? Qu'Hérodote dife que Xerxès a fait percer le Mont Athos; qu'il a couvert la terre de plufieurs millions de fes foldats; qu'il fit,

un jour fouetter la mer & qu'il l'enchaîna, ces faits font fans doute exagérés; mais en quoi nuifent-ils à la vérité? Réduisez-les à leur jufte valeur; il en résultera toujours que la puiffance de Xerxès étoit formidable; que ce Prince, enivré de l'encens de fes flatteurs, fe croyoit un Dieu, & que fon orgueilleufe folie, non contente de commander aux hommes, vouloit encore commander aux élémens. Qui fait même fi ce n'eft pas auffi une adreffe de l'Hiftorien lorsqu'il peint Xerxès plus redoutable qu'il ne l'étoit, & cela pour flatter l'amourpropre des Grecs, relever la fupériorité de leur courage, & augmenter le prix glorieux de leurs victoires?

Quoi qu'il en foit, fi l'on blâme le Père de l'Hiftoire d'avoir exagéré les faits, & même d'en avoir rapporté qui foient hors de vraisemblance & entiérement fabuleux, lui a-t-on jamais reproché d'avoir altéré les vérités purement hiftoriques? D'avoir fait un roman de l'Hiftoire, & de ne l'avoir écrite que dans l'intention formelle

de fronder les loix & les ufages de fon pays ou des peuples qu'il avoit vifités? De fe moquer des Dieux qu'ils adoroient? D'avoir effayé d'anéantir leur Culte? De s'être attaché à combattre, à détruire tous les préjugés utiles? A fouffler l'esprit d'indépendance & d'orgueil fous le masque hypocrite de la Philofophie? L'a-t-on accufé d'avoir, comme quelques-uns de nos Hiftoriens récents, insulté à l'autorité légitime des Puiffances, & foulevé contre elles tous les Peuples, fous le prétexte abfurde d'une égalité, d'une liberté abfolue, dont l'homme, de quelque état, de quelque condition qu'il foit, quelque pays qu'il habite, n'eft pas même fufceptible? A-t-on jamais pu lui reprocher encore d'avoir, en style lâche, rampant, diffus & bourfoufflé, raifonné l'Hiftoire; c'est-àdire, de l'avoir noyée dans un fatras de réflexions inutiles, triviales, dangereuses, prétendues philofophiques; ou dans de froides & affommantes digreffions capables de rebuter ou de faire mourir d'ennui le

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