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fupériorité qu'il avoit acquifes dans ce grand Art; mais c'eft en homme de génie qu'il en a profité. Il n'a pas fervilement marché fur leurs traces; il les a fuivi d'un pas égal; & c'est à ce mouvement libre & majeftueux qu'on reconnoît le génie. Cet Orateur qui avoit fans ceffe devant les yeux Démosthène eft devenu par un travail opiniâtre, par de longues veilles, par la méditation continuelle des bons Auteurs Grecs, le plus parfait des Orateurs Latins, & un modèle accompli d'éloquence; on ne fauroit donc trop exhorter la jeuneffe à faire fa principale étude & sa méditation particulière des écrits de cet admirable Orateur, fur-tout quand on peut dire aujourd'hui de l'Éloquence, ce qu'il en difoit à la mort d'Hortenfius, qu'elle eft orpheline, & qu'elle a plus befoin que jamais (1) d'être protégée & défendue contre les efforts de

(1) Nos autem, Brute, quoniam poft Hortenfii, clariffimi Oratoris mortem orba eloquentia quafi

tant de prétendans, fans mérite & pleins d'audace; & qu'il eft néceffaire de veiller fur elle, comme fur une jeune vierge, pour la garantir des outrages de ces hommes qui paroiffent brûler pour elle, & qui ne cherchent qu'à la corrompre & à la deshonorer.

Parmi le grand nombre d'excellens Orateurs qui occupèrent la Tribune en mêmetemps que Cicéron, un feul peut-être eût pu lui difputer le premier rang, rang, Jules Céfar. Mais dévoré d'ambition, il préféra d'envahir le pouvoir suprême d'éteindre dans le fang la liberté Romaine. Doué de tous les talens du génie, de toutes les grâces de la figure, de toutes les qualités qui font le grand Orateur, il eût vaincu fes rivaux dans la Tribune, avec la

&

tutores relicti fumus, domi teneamus eam feptam liberali cuftodia: & hos ignotos atque impudentés procos repudiemus, tueamurque, ut adultam Virginem, caftè & ab amatorum impetu, quantum poffumus, prohibeamus. Id. Ibid. no 96.

même

même facilité qu'il vainquit fes ennemis dans les champs de Pharfale.

Mais tandis que l'éloquence jouissoit déja depuis long-temps de toute fa gloire, le Génie de la Poéfie dormoit encore; ou s'il étoit forti quelquefois de fon engourdiffement, il n'avoit fait entendre que des fons rauques & durs. Indigné, à fon réveil, des vices de toute efpèce qui régnoient dans Rome, il arma le premier la vérité, comme s'exprime Boileau, du vers de la Satire (1): cruelle, & fouvent impuissante reffource contre les moeurs corrompues! Borné à quelques autres genres particuliers, il n'avoit encore enfanté rien de grand & d'élevé, lorfque, tentant un vol plus hardi, il voulut depuis embellir la Philofophie de fes brillantes couleurs. Malheureux d'avoir ofé, dans fon délire, interroger LA NATURE, que la Providence divine qu'il combattoit, rendit fourde à

(1) G. Lucilius eft l'inventeur de la SATIRE, inconnue chez les Grecs:

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fa voix! L'importance & la nouveauté du fujet, de grandes beautés de détail, un nombre de vers heureux une touche dure, mais vigoureuse, un style affez pur, une imagination élevée & féconde, en un mot la hardieffe du fyftême & la difficulté vaincue, ont, à la vérité, rendu l'ouvrage de Lucrèce célébre, mais n'ont pu le faire regarder comme un Poëme du grand genre. C'est un Traité philosophique revêtu des grâces de la Poésie.

Si Rome n'avoit jamais eu que Lucrèce à oppofer aux Grecs, Homère reftoit fans rival, & la Grèce n'étoit qu'à demi-vaincue, puifqu'elle confervoit encore, fans partage, l'empire de la Poésie. La liberté, l'ame & le foutien de l'éloquence, avoit appris aux Romains, moins frivoles que les Grecs, à cultiver de préférence l'art de la parole, fi utile & fi nécessaire à des Républicains. Ils fe glorifioient déja depuis long-temps de compter parmi eux beaucoup d'Orateurs parfaits, tandis que les grands

Poëtes étoient encore à naître. Mais on

remarquera avec étonnement, que ce fut au moment où la liberté étoit attaquée de toutes parts, où des troubles affreux agitoient l'État, où des flots de fang couloient, où l'horreur des profcriptions étoit à fon comble; enfin, au milieu des cris des Citoyens expirans fous le fer des bourreaux, que la Muse Latine, infpirée par lá reconnoiffance, fit entendre fes premiers accens, foutenus par les accords fimples & touchans de la flûte champêtre.

Tout gémiffoit fous le joug oppreffeur des ambitieux Triumvirs, quand Octave, après avoir entièrement défait l'armée de Brutus & de Caffius, de retour à Rome, pour la diftribution des terres promises aux foldats vétérans, leur abandonna celles du Mantouan. Un habitant des environs de Mantoue, chaffé, comme tant d'autres, de l'héritage de fes pères, a feul le bonheur d'obtenir, du Triumvir même, la reftitution de fon patrimoine. Dès qu'il y eft rentré, il fait retentir fes bois & fes vergers des accens de fa reconnoissance:

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