Imágenes de páginas
PDF
EPUB

C'est

Le tyran difparoît à fes yeux; il ne voit plus, dans Octave, qu'un DIEU bienfaisant, auteur de fon repos & de fon bonheur (1). par ces vers enchanteurs & par ces louanges flatteufes, que Virgile fe fit connoître à la Cour. Il y trouva des Protecteurs puiffans, & ce qui eft bien plus rare, des Protecteurs éclairés, inftruits, bons juges du vrai mérite & des talens. Sa Muse y conserva toujours fon air modeste & fa fublime fimplicité. Elle continua de chanter les amusemens des bergers, & les travaux de la campagne. Jamais la Poéfie n'employa de couleurs plus naturelles & plus féduifantes, que celles dont brille le tableau que ce Poëte fait des plaifirs de la vie champêtre (2): jamais le génie n'imagina un plus beau Temple (3) que celui qu'il élève à Céfar. Que son pinceau eft admirable dans la description de la peste

(1) O Melibae, Deus nobis hæc otia fecit. VIRG. Eclo. 1.

(2) Georg. Lib. II, vers 458. (3) Idem. Lib. III, vers 13.

des animaux (1)! Qu'il eft intéreffant, qu'il eft tendre, dans la fable charmante d'Ariftée (2)! Ces morceaux de la plus haute. Poésie, répandus dans les Géorgiques, n'étoient que le prélude des chants divins, qui devoient bientôt immortaliser & Céfar & Virgile.

Le gain de la bataille d'Actium décida enfin du fort de Rome, & la mort d'Antoine laiffa Octave l'arbitre fouverain de l'Empire. Au comble de fes vœux, fans concurrens & fans rivaux, le Sénat à fes pieds lui offrant la couronne, il lui étoit aifé de montrer de la modération, & d'affecter de la clémence. Le fang ceffa de couler, des jours fereins & paisibles fuccédèrent aux jours affreux qui avoient éclairé les cruautés des profcriptions, & le nom d'AUGUSTE & de PÈRE DE LA PATRIE, fut prodigué à celui qui naguères en étoit le tyran. Le Temple de Janus étoit fermé ;

(1) Georg. Lib. III, vers 478.

(2) Idem. Lib. IV, vers 317.

la paix & l'abondance régnoient dans tout l'Empire chaque jour de nouveaux jeux. & de nouveaux fpectacles fembloient ramener l'Age d'or, & le fiécle fortuné de Saturne & de Rhée. AUGUSTE au milieu de la Cour la plus brillante & la plus fpirituelle, entouré de Mécène, de Pollion, de Varius, de Tucca, de Tibulle, d'Ovide, de Gallus, de Virgile & d'Horace, entendoit, recevoit les vœux d'un peuple fatisfait de l'avoir pour Maître, & respiroit l'encens des Mufes qui lui élevoient des autels, & le plaçoient de fon vivant au rang des Dieux.

Cette espèce d'ivreffe, dans laquelle la félicité publique jetoit tous les efprits, fut le moment que choifit Virgile, pour enfanter l'Enéide, chef-d'oeuvre de l'efprit humain, où se trouvent réunies à la fois les beautés de l'Iliade & de l'Odyffée. Homère jufqu'alors avoit régné feul fur le Parnaffe; il étoit le créateur de l'Epopée: Virgile a partagé fon fceptre. Il doit fans doute fa gloire à Homère; car fans le Poëme divin

'du Chantre d'Achille, peut-être n'aurionsnous pas le Poëme immortel du Chantre d'Enée. Mais fans le feu de fon génie, auroit-il pu s'élever jufqu'à la hauteur de fon modèle, l'égaler, le furpaffer même quelquefois? Rien n'affervit le génie; il imite en maître, il crée même lorsqu'il copie, & fa touche libre & vigoureuse est toujours originale. Qu'on examine avec attention tous les morceaux que Virgile a empruntés d'Homère; il n'en eft aucun qu'il n'ait paré de grâces nouvelles, & qu'il n'ait embelli.

Homère, du côté de l'imagination, l'emportera toujours fur Virgile. L'Auteur de l'Iliade vivoit dans un temps plus voisin du berceau du monde. La nature, fimple encore, offroit à fa vafte & brillante imagination, des tableaux d'une étonnante & merveilleufe variété, que perfonne avant lui n'avoit entrepris de deffiner & de peindre. Il les a faifis le premier, & fous fes crayons divins, ils ont confervé leur couleur franche & pure, leurs beautés

naturelles, toute leur vigueur & toute leur vérité. Les mœurs qu'il a peintes, toutes groffières qu'elles paroiffent aux yeux de la fauffe délicateffe de nos jours, attestent du moins, malgré les paffions inféparables de l'humanité, l'aimable fimplicité de ces temps héroïques.

Né près de mille ans après Homère, Virgile ne pouvoit plus que l'imiter. Tout étoit changé alors. La nature n'avoit plus fa fraîcheur : les paffions développées, accrues, multipliées, avoient altéré fa première innocence, & défiguré fes traits, La folle ambition, la foif de l'or, le luxe, te fafte, les plaisirs régnoient dans Rome, lorfque Virgile commença fon Enéïde. Ainfi, quoiqu'il eût choifi des héros auffi anciens que ceux d'Homère, comme c'étoit à fa Patrie & à une Monarchie naiffante qu'il confacroit fes chants, il falloit bien qu'il s'éloignât des moeurs antiques, pour fe rapprocher de celles qui dominoient alors. Il eft vrai qu'Homère lui a fourni la fable, le plan, les beautés poétiques

« AnteriorContinuar »