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de l'Enéïde. Mais avec quel génie a-t-il fu fe les approprier? Tout ce qui est beau, grand, parfait dans Homère, l'est également dans Virgile, & la copie ne le cède en rien à l'original: fouvent même on y trouve plus de fentiment & de délicateffe, plus de justesse & de pensées, plus d'exactitude & de correction. En cela rien d'étonnant, ni qui puiffe faire tort à la gloire du Père de la Poéfie, fi l'on confidère que, dans l'efpace de près de dix fiécles, la civilifation devoit avoir mis néceffairement plus d'ordre dans les idées, plus de finesse dans le tact, plus de délicatesse dans le goût. Le Poëte Grec étale une richeffe de ftyle, une magnificence d'expreffions dont fa langue feule abonde; Virgile, malgré le peu de moyens que lui fourniffoit la fienne, n'eft ni moins riche en style, ni moins magnifique en expreffions. S'il n'eût été que bel-efprit, lain de concevoir le vaste plan de l'Enéïde, & d'exécuter ce grand & parfait ensemble qui y régne, il n'auroit fait de fon Poëme

qu'un ouvrage découpé chargé de faux brillans, fans plan, fans intérêt & fans unité. Au lieu de l'Episode fi touchant des Amours de Didon, qu'on ne peut lire fans attendriffement, & fans plaindre cette amante infortunée, il auroit avili fon héros, par une aventure indécente de Roman, indigne de l'Epopée. Que feroient devenus fous les crayons de Virgile bel-efprit, cette peinture charmante du tranquille Élysée, & ces tableaux effrayans du Tartare, rendus avec tant de force & de vérité? Qu'aurions-nous à la place de cet admirable entretien, ой Anchife découvre à fon fils fes hautes deftinées & celles de fa Nation, où il lui montre fon illuftre poftérité, & lui nomme, parmi une foule immense d'ames errantes, celles deftinées à animer cette longue fuite de héros qui doivent rendre fon nom immortel, & tous les grands Hommes qui doivent faire un jour l'honneur & la gloire de la République? Ce fuperbe morceau plein d'ame & de vie,

terminé par l'éloge fi noble & fi touchant du jeune Marcellus, n'auroit été qu'une lifte froide & monotone de quelques Héros foiblement efquiffés, & rangés comme pour être vus l'un après l'autre dans un verre magique,

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Ce n'est donc pas le bel-efprit qui fait les Poëtes, mais le génie; l'imagination même, quelque brillante qu'elle foit, égare & déplaît fi elle n'eft accompagnée d'un jugement fain & d'un goût exquis, Virgile ne s'amuse point à peindre fes héros; il les anime, ils parlent, ils agiffent ennemi de l'antithèse (figure favorite du Bel-Esprit, fi fatigante & fi puérile quand on en abuse), il charme, il brille, il éclaire, & n'éblouit pas fon ftyle cft toujours foutenu, toujours éloquent: fes vers font pleins de grâces & d'harmonie ; & chez lui les fons foibles & doucereux de la flûte ne fe mêlent jamais aux tons mâles & fiers de la trompette. A la manière dont il a profité de I'Iliade & de l'Odyffée, on voit, pour

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m'exprimer comme un Critique (1) de nos jours, que ces deux Poëmes n'ont été pour lui qu'une espèce de mine, d'où il a tiré des diamans, auxquels il a fu donner de la vivacité & de l'éclat. Quiconque imite ainfi, eft créateur : le miel, pour être compofé du fuc de toutes les fleurs, n'en est pas moins l'ouvrage de l'abeille. Les Géorgiques, le plus parfait des ouvrages de Virgile, font le feul Poëme où il peut paroître n'avoir pas eu de modèle, tant il a de fupériorité sur Héfiode. Il fe rapproche beaucoup plus de Théocrite dans l'Eglogue. Cependant fi l'on compare ces deux Poëtes, Virgile, en confervant toute la fimplicité de Théocrite, nous paroît avoir encore fur lui un grand avantage, par la douceur & le moëlleux de fon pinceau, par fes grâces naïves, par la délicateffe des fentimens, par la fraîcheur de fon coloris, par le

(1) L'Abbé des Fontaines. Voyez fon Discours fur l'Enéïde, pag. 46.

charme & la vérité de fes tableaux. Jamais Poëte n'a réuni autant de connoiffances que Virgile. Il étoit à la fois Savant & Philosophe profond. Il avoit senti de bonne heure, que le génie eft peu de chofe, & que l'efprit n'eft rien, fans l'étude & fans la méditation des bons modèles précepte qu'on ne fauroit trop fouvent répéter à la jeunesse fur-tout aujourd'hui qu'on s'efforce de la détourner des véritables fources de l'inftruction, parce que l'orgueilleufe ignorance des Novateurs de ce fiécle, les dédaigne fans les connoître.

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Ce n'étoit pas affez pour la Muse latine, de la gloire immortelle qu'elle s'étoit acquife par l'Enéïde. Après avoir tiré de la trompette les fons les plus fiers & les plus éclatans, elle voulut effayer de toucher la lyre de Pindare, & de pincer le luth d'Anacréon. Elle fe mit auffi-tôt à chanter les Dieux, les Héros & les Grâces. Sage & folâtre tour-à-tour, tantôt elle embellit la raifon & la fait aimer; tantôt

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