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queftion de l'Éloquence, dont les admirables refforts & les vrais principes ne furent parfaitement connus que de Démofthène. La raison d'une marche fi différente, chez deux peuples également ingénieux & fpirituels, eft que les Grecs n'eurent de maîtres qu'eux-mêmes, que leur langue étoit naturellement poétique, & qu'elle étoit dans fa plus grande perfection, lorfque Homère écrivit. La Poéfie, cultivée feule de préférence, après avoir parcouru d'un vol fublime plus de trois fiécles dè gloire, répandit enfin fon heureuse & féconde influence fur la Profe, abandonnée pendant ce long intervalle, au feul ufage du langage familier. Elle l'enrichit infenfiblement, lui donna plus de hardieffe & de dignité, plus d'abondance & de force, plus de grâces & de douceur, plus d'élégance & de correction & la rendit propre à traiter tous les fujets qui pouvoient lui appartenir, chacun dans le ftyle & de la manière qui lui convenoit. La Poéfie Latine, dans fes commence

mens obfcurs, étoit loin de jouir de cette précieuse prérogative, parce que sujette elle-même aux vices de fon temps, fa perfection dépendoit abfolument des progrès de la langue, qui ne se forma que lentement & à mesure que les Romains, réduits d'abord à n'être qu'imitateurs, s'inftruifoient & acquéroient des connoiffances, en étudiant les Auteurs Grecs. Or telle eft la différence qu'on doit faire entre celui qui crée, & celui qui ne peut qu'imiter. L'un, maître de ses pinceaux qu'il dirige à fon gré, trace, d'une main libre & sûre, les objets que lui représente fon imagination; il les anime du feu de fon génie, trouve fans peine le ton de la Nature, faifit fes nuances, tantôt fortes & vigoureuses, tantôt douces & fugitives; enfin achève fon tableau avec la même hardieffe qu'il l'avoit conçu. L'autre, au contraire, tenant fes crayons d'une main incertaine & timide; fuit fervilement les traits qu'il n'a pas tracés, cherche en vain à rendre des penfées qu'il n'a pas conçues,

confond les nuances des couleurs, dont la fineffe & la légèreté échappent à sa vue, & n'offre, en finiffant fon ouvrage, qu'une imitation imparfaite & contrainte, fans coloris & fans vie. Telle eft l'histoire des Poëtes des premiers temps de la République. Que d'obftacles, en effet, n'eurentils pas à vaincre? Et s'ils n'ont pas entièrement défiguré leurs modèles, combien ne leur ont-ils pas fait perdre de leur perfection, de leurs beautés, de leur délicateffe, de leur force & de leurs agrémens, avant que d'être en état de les bien entendre, & de pouvoir se servir d'un langage plus parfait, plus riche, plus flexible & plus pur, pour les traduire avec élégance & fidélité ?

Les Romains ne réuffirent donc dans le grand Art d'écrire, qu'en s'attachant conftamment à puifer le goût dans les fources que leur offroient les Grecs & en faifant confifter l'éducation de la jeunesse, principalement dans l'étude de la Langue Grecque, comme la seule clef qui

pût lui ouvrir le tréfor de toutes les Sciences. Cette langue devenue par-là prefqu'auffi familière que la nationale , lui communiqua une grande partie de fes richeffes, & acheva de la polir.

On peut fixer l'époque de la perfection de la Langue Latine, au temps où Térence fe fit connoître. Jufques-là la profe ne s'étoit encore exercée que fur les devoirs & les connoiffances de la vie ruftique. Caton le Cenfeur en avoit écrit les préceptes, avec autant de force que d'élégance mais fon élégance n'étoit pas toujours foutenue. L'Art d'écrire n'eut donc fon degré de perfection que fous Térence. La profe eut alors de la clarté, du nombre & de l'harmonie.Tremellius (1), Varron & d'autres grands Écrivains l'employèrent avec fuccès; & l'on en adopta généralement l'ufage.

(1) Cneius Tremellius Scrofa, un des plus habiles Cultivateurs qu'aient eu les Romains. Il a mérité les éloges de Varron, dans fon excellent Traité, de Re Rufticâ.

Mais ce qui devoit intéresser davantage les Romains, c'étoit l'Hiftoire ; & ils n'avoient encore au temps dont nous parlons, que les grandes Annales des Pontifes, écrites en mauvais vers, & celles de Fabius Pictor, le premier Hiftorien qui ait écrit en profe. Il falloit bien s'en contenter, puifqu'elles étoient les feuls monumens, à confulter, pour avoir la connoiffance des faits & des anciens événemens qui concernoient la République. Le ftyle barbare & groffier de leurs Auteurs les fit abandonner au moment où des plumes plus polies s'emparèrent de l'Hiftoire.

Le premier Hiftorien, dont Rome ait à fe glorifier, eft JULES-CÉSAR. Né avec tous les talens, toutes les qualités, tous les dons du génie qui font les grands Hommes & les grands Écrivains, il ne négligea l'étude d'aucune Science. Ses grands talens s'annoncèrent dès fa plus tendre jeuneffe. Son éloquence l'a fait placer, par Cicéron & Quintilien, au

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