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furnaturel, dont il foit obligé de rendre compte, foit parce qu'une tradition non interrompue les a confacrés, foit parce qu'ils n'ont point été conteftés dans les temps où ils font arrivés, ni depuis ; il doit alors les raconter tels que la tradition les a tranfmis à la poftérité. Manquent-ils à fes yeux de vraisemblance ou de vérité? Il peut y porter le flambeau de la critique, mais avec une fageffe & une retenue qui lui gagnent la confiance des gens de bonne foi, & qui éclairent les doutes des Savans & des gens inftruits. Il est même de l'art de l'Hiftorien, de laiffer à l'amour-propre du Lecteur, le plaifir fecret de croire, que c'eft lui qui approfondit, qui difcute & qui juge au lieu qu'il le révolte, en voulant le fubjuguer. On doit, en effet, fe méfier de tout Hiftorien qui prétend raisonner (1) l'Hiftoire, parce que, livré

(1) C'est M. Gaillard qui a dit le premier dans la Préface de fon Hiftoire de Charlemagne (pag. 7) que l'Hiftoire devoit non-feulement être racontée, mais

tout entier à fon propre fentiment, à fon opinion particulière, à fes préjugés, il ne fe fait pas un fcrupule d'altérer, de ren

raifonnée.... Que l'Hiftorien ne doit point s'en rapporter à la fagacité du Lecteur, qu'il doit le provoquer, qu'il doit l'aider par des réflexions. J'en demande pardon à M. Gaillard; mais je fuis de l'avis de ceux qui lui ont répondu (pag. 8). Racontez-nous les faits, &laiffez-nous juger. Il faut en effet avoir un furieux fonds d'amour-propre, pour croire être une lumière fupérieure: pour penfer que fes réflexions fixeront celles du Lecteur le plus attentif (pag. 9): pour s'imaginer enfin qu'il n'y a que foi feul capable de raisonner. J'avouerai que les formules de la Philosophie nouvelle, ont à la vérité changé toutes les idées reçues, en fait de Poéfie, d'Hiftoire, d'Éloquence & de Morale. Je fais que les Philofophes de nos jours difent: Jeune homme, prends & lis: J'ai vécu. Ce ton impératif en impofe à qui? Je le demande à M. Gaillard ? Il eft vrai que cet Écrivain ne se sert pas tout-à-fait de ce ton imposant: mais au fond on s'apperçoit qu'il veut être le tyran de fon Lecteur; il veut qu'il ne voie que par qu'il n'ait d'autre efprit que le fien; qu'il ne pense & ne raisonne que d'après lui. Mais fi l'Historien raifonne gauchement, pesamment, longuement; s'il differte à perte de vue; s'il provoque l'affoupif

fes

yeux;

verfer les faits, pour les faire cadrer avec fa façon de voir & de penser.

Les bons Hiftoriens de l'Antiquité,

fement; fi pour faire étalage d'érudition, il cite à tout propos, & vers & profe; quel Lecteur pourra fupporter tant d'ennui? Est-ce ainfi que les excellens Hiftoriens Grecs & Latins écrivoient l'Hiftoire? M. Gaillard le prétend & l'affirme (pag. 7). Qu'il ouvre Quintilien (Lib. X, Cap. I) & qu'il life l'éloge que ce Reftaurateur du bon goût fait d'Hérodote, de Thucydide, de Xénophon, de Sallufte, de Tite-Live & de Tacite; y trouvera-t-il un mot qui faffe foupçonner que ces grands Historiens ont raifonné l'Hittoire, à la manière & comme l'entend M. Gaillard? Il prétend encore (pag. 12) qu'il faut réfuter les mauvais jugemens de l'Hiftoire; & fi on lui objecte que cette réfutation (pag. 13) eft plus d'un Avocat que d'un Hiftorien; que c'eft plaider plus qu'écrire l'Hiftoire: il s'échauffe & s'écrie: Oui, oui c'eft plaider LA CAUSE DE L'HUMANITÉ contre les Oppreffeurs & les Efclaves. Les Avocats de l'humanité doivent être bien occupés; car ils ne voient partout que des Tyrans, des Oppreffeurs & des Efclaves, comme Don-Quichotte ne voyoit dans des moulins-à-vent, que des Géans à combattre. Comment M. Gaillard avec autant d'efprit, d'érudition, de connoiffances, de mémoire & de talent

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Grecs & Latins, ne connoiffoient point cette méthode, que le Bel-Esprit de nos jours s'efforce d'accréditer. Ils différoient entr'eux, il eft vrai, dans la manière d'écrire; mais ils fe réuniffoient tous en un point: la fidélité. Celui qui mérite à cet égard, après Tite-Live, la plus haute eftime, c'est Tacite. Jamais Historien n'a porté plus loin l'amour de la vérité, n'a mieux peint les hommes, n'a pénétré plus avant dans les replis du cœur, n'a parlé de la vertu avec plus de chaleur & de fentiment. Il laiffe dans l'ame du Lecteur, une impression vive & profonde, qui ne peut s'effacer fon ftyle eft ferré & concis: il dit moins, pour laiffer davantage à penfer. Ennemi des digreffions &

qu'il en montre dans tous les écrits, peut-il plaider pour une chimère? Car quels font ces Oppreffeurs, ces Esclaves ? Où font-ils? Sous quel ciel habitent-ils? En vérité les Philofophes devroient bien s'expliquer plus clairement; mais ils n'ofent. Ils veulent qu'on les devine. Que leur répondre? DAVUS SUM, NON

'des épisodes, il est tout entier à son sujet, qu'il ne laisse jamais perdre de vue, & il` a mieux aimé imiter l'ingénieufe briéveté 'de Sallufte, que l'abondance de Tite-Live. Le plus beau, le plus précieux ouvrage qui nous refte complet de Tacite, eft la vie d'Agricola, son beau-père. En vain l'Empereur Tacite, qui fe faifoit honneur de defcendre de la famille de l'Hiftorien, l'on fit tous les ans, avoit-il ordonné que aux dépens du tréfor public, dix copies les muldes ouvrages de Tacite, afin tipliant ainfi, ils fuffent plus à l'abri des ravages temps; cette fage précaution ne les a pas garantis des outrages & du temps & de l'ignorance, & ils ne nous font parvenus que mutilés & imparfaits. Nous devons cependant aujourd'hui, en regrétant la perte de ceux qui nous manquent, nous eftimer trop heureux qu'un Savant (1), digne des plus beaux jours

du

que

(1) M. l'Abbé BROTIER, de l'Académie Royale des Infcriptions & Belles-Lettres, Savant plein d'érudition & de goût, dont la modestie est auffi'

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