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Comme ce Fabuliste est le premier Auteur claffique que l'on mette entre les mains des jeunes Étudians, M. l'Abbé Brotier a suivi l'heureuse idée, qu'il a exécutée dans son Tacite, en raffemblant les morceaux de Corneille & de Racine, qui font imités de cet Hiftorien. Il met de même en parallèle les Fables de la Fontaine, avec celles de l'ancien Fabulifte. Quelle douce & folide fatisfaction le Lecteur ne goûte-t-il pas, par ce rapprochement agréable & inftructif! Il voit le Génie aux prifes avec le Génie, & il peut juger qui doit avoir le prix dans cette lutte ingénieufe. S'il admire dans Phédre fa concifion, s'il trouve qu'il conte avec plus de jufteffe, que fon style eft plus correct & plus pur; il est enchanté de trouver dans l'inimitable la Fontaine, plus de naturel & de fimplicité, plus de ces grâces naïves, qui ne font qu'à lui feul, plus de vivacité, d'enjouement & de délicateffe; enfin aux aimables négligences dont il eft plein, il reconnoît le négligé des Grâces. C'eft en faifant de

pareilles comparaifons (1) que l'efprit fe forme, que le génie s'étend, & que l'ame fe nourrit & s'imbibe des fucs les plus purs du vrai & du beau. Mais quelque fupériorité que la Fontaine ait fur Phédre, il n'en faut pas conclure, que la Fontaine ne doive rien à Phédre, que Corneille & Racine n'aient aucune obligation à Tacite au contraire, c'eft la lecture, la méditation de ces grands modèles, qui ont développé le talent de ces illuftres modernes. Ils ont lutté contre les anciens, & l'ont fouvent emporté fur eux mais avec quelles armes? Celles du génie qu'ils leur avoient dérobées, & dont une étude longue, fuivie & raifonnée, leur avoit rendu l'usage familier. Il est donc important d'exciter l'émulation de la jeuneffe, par ces exemples célébres, & de l'accoutumer, à fe former le goût, en comparant

crefcit

(1) Talibus experimentis mens acuitur, ingenium, puriffimis veri pulchrique fuccis imbuitur. BROTIER, Praf. Fabul. Phadri, pag. 9.

les grands Écrivains de l'Antiquité avec les nôtres, à commencer par Phédre & la Fontaine. Phédre écrivoit fes Fables dans un temps où tous les vices étoient affis fur le Trône, & où Séjan leur infâme Miniftre fe plaifoit à perfécuter les gens vertueux. Phédre en fouffrit, parce que l'éloge qu'il faifoit de la vertu, paroiffsoit être aux yeux du Miniftre, la fatire de fes mours corrompues.

Le temps de la décadence étoit arrivé. Le beau régne de la Littérature Grecque avoit eu la plus longue & la plus heureuse durée, tandis qu'à peine formé, on avoit vu difparoître celui de la Littérature Latine, toute rayonnante encore qu'elle étoit de la fplendeur & de l'éclat que les Cicéron, les Horace & les Virgile avoient répandus fur tous les objets qu'elle embraffe. Cette révolution eut des fuites fâcheufes & durables, parce qu'il eft difficile de rétrograder sur soimême, quand c'eft l'amour-propre qui nous égare. D'ailleurs les régnes odieux

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& les mœurs effrénées des Tyrans fucceffeurs d'Augufte, n'étoient pas faits pour rallumer le génie de l'ancienne Éloquence, entièrement éteint depuis la mort de Cicéron. Plus le mauvais goût faifoit de progrès, plus le nombre des détracteurs frivoles de ce grand Homme groffiffoit. Chacun d'eux le jugeoit à fa mode, fans néanmoins pouvoir s'accorder fur les défauts qu'on s'efforçoit en vain de lui trouver. Ne lui reprochoit-on (1) pas,

(1) Quem tamen & fuorum homines temporum inceffere audebant ut tumidiorem & Afianum & redundantem & in repetitionibus nimium, & in falibus aliquando frigidum, & in compofitione fractum, exultantem, ac penè (quod procul abfit) viro molliorem.... Ille tamen qui jejunus à quibusdam & aridus habetur, non aliter ab ipfis inimicis male audire, quàm nimiis floribus & ingenii affluentia potuit. Falfum utrumque, fed tamen illa mentiendi propior occafio. Præcipue verò prefferunt eum, qui videri Atticorum imitatores concupierant..... Unde nunc quoque aridi, & exucci, & exangues (hi funt enim qui fuæ imbecillitati, fanitatis appellationem, eft maxime contraria, obtentant) quia clariorem

quæ

même de fon vivant, un ftyle ampoulé, asiatique, plein de répétitions, & souvent de mauvaises & froides plaifanteries? Ne l'accufoit-on pas d'aimer trop à égayer sa compofition, qu'on taxoit d'ailleurs d'être lâche, & ce qui eft pis encore, d'être molle & efféminée ? Quelle étrange contradiction d'entendre encore aujourd'hui quel ques-uns de nos beaux Efprits, dire que le style de cet Orateur est sec & maigre; tandis, au contraire, qu'on lui reprochoit alors d'être trop abondant, & de mettre trop d'efprit & de fleurs dans fes écrits! Mais fes plus dangereux ennemis étoient ces Orateurs fecs & arides, fans chaleur & fans vie, qui, ne pouvant foutenir l'éclat de fa brillante & folide éloquence, fe piquoient d'imiter le style Attique, s'en déclaroient hautement les défenfeurs, & s'imaginoient pouvoir, à l'abri d'un fi

vim eloquentiæ, velut folem ferre non poffunt, umbra magni nominis delitefcunt. QUINTIL. Inft. Orat. Lib. XII, Cap. X, pag. 895 & 896.

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