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idées grandes, fortes & profondes : s'il s'élève, c'est avec majesté qu'il est fublime; s'il s'abaiffe, c'est avec nobleffe qu'il eft fimple & naturel: enfin rien ne fort imparfait de fa main; tout ce qu'il enfante eft neuf, & porte, en naiffant, le sceau de l'immortalité.

Nous n'avons tant infifté fur les défauts

de la Pharfale , que pour prémunir la Jeuneffe contre les éloges que quelques Écrivains de ce temps ont donnés à ce Poëme. On ne fauroit être trop attentif à n'offrir à l'âge tendre, que des modèles dignes de le former. Il en eft à cet âge de l'efprit comme du cœur : leur développement eft le même, & dépend beaucoup des premières impreffions qui font toujours vives, & fouvent ineffaçables. Ce font elles qui font éclore le germe du bien & du mal, & qui nous entraînent vers l'un ou l'autre fans effort, ainsi que fans retour. I importe donc beaucoup d'apprendre de bonne heure à la Jeuneffe à discerner le vrai du faux, de lui former

le jugement, de préparer fon goût, & de saisir le moment, où, telle qu'une cire molle, elle est fufceptible de toutes les impressions, afin qu'elle puiffe n'en prendre que de bonnes.

Lucain étincelle d'efprit (1); eft plein de feu, abonde en pensées brillantes, (& voilà ce qui le rend dangereux pour les jeunes gens): mais il eft plus Orateur que Poëte. Ce fut moins par l'inspiration des Muses, que par fa paffion excessive pour la liberté, qu'il entreprit de chanter la guerre de Céfar & de Pompée. Il eut la noble audace de difputer, avec Néron, le prix de la Poéfie, & le dangereux honneur de le remporter. Le farouche Tyran le lui fit acheter cher. Jaloux de régner fur le Parnaffe comme il régnoit dans Rome, il ne ceffa depuis de le perfécuter, & de chercher l'occafion de le

(1) Lucanus ardens & concitatus, & fententiis clariffimus, & ut dicam quod fentio, magis Oratoribus quàm Poëtis annumerandus. QUINTIL. Inft. Orat. Lib. X, Cap. I, pag. 747•

perdre. Il lui défendit de réciter ses vers, & il s'applaudiffoit de ce filence forcé (1). L'orgueil de fon jeune rival en fut irrité. Lucain haïffoit depuis long-temps fon perfécuteur: il gémissoit en fecret de l'indigne oppreffion à laquelle Rome étoit réduite. Ce que l'amour de la liberté n'avoit encore ofé entreprendre, l'amour-propre offensé le tenta, & acheva d'allumer dans le cœur du Poëte le feu de la vengeance. Lucain entra dans la conjuration de Pison, & eut le fort des autres conjurés. Néron le fit mourir en lui laiffant le choix de fon fupplice. Il fe fit ouvrir les veines dans un bain chaud. A mefure que fon fang s'écouloit, il s'apperçut que le froid avoit déja gagné les extrémités de fon corps, & qu'il amenoit la mort par degrés (2),

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(1) Lucanum propriæ caufæ accendebant, quòd famam carminum ejus premebat Nero, prohibueratque oftentare, vanus adfimulatione. TACIT. Annal. Lib. XV, Tom. II, pag. 235. Edit. in-4°. Gabrielis Brotier.

(2) Is (Lucanus) profluente fanguine, ubi frigescere

Mais fon cœur confervant encore toute fa chaleur, & fa tête toute fa liberté, il fe rappela un endroit de fon Poëme, où il peint un foldat bleffé & mourant de la même mort. Il récita ces vers, & ce furent fes dernières paroles. Telie fut la fin tragique de Lucain, qu'une vaine dispute, pour un laurier ftérile, avança (1); car peut-être n'eût-il jamais confpiré contre Néron, si le Tyran n'eût pas eu la folie de joindre à fes autres fureurs, celle de vouloir être bel-efprit. Mais ce qui doit étonner, c'eft que les Juges, malgré la terreur & la crainte qu'il infpiroit, aient

pedes manufque, & paullatim ab extremis cedere fpiritum, fervido adhuc & compote mentis pectore, intelligit, recordatus carmen à fe compofitum, quo vulneratum militem, per ejufmodi mortis imaginem obiiffe, tradiderat, verfus ipfos retulit; eaque illi fuprema vox fuit. TACIT. Annal. Lib. XV, pag. 250.

(1) Marcus-Annaus Lucanus. Il étoit neveu de Sénèque le Philofophe. Il avoit environ vingt-fept ans quand il mourut de la même mort que fon oncle, également enveloppé dans la conjuration de Pifon contre Néron.

eu le courage de déclarer mauvais fes vers, en couronnant ceux de fon rival infortuné.

Le torrent du mauvais goût groffit après la mort de Sénèque & de Lucain, de manière à ne pouvoir plus lui opposer de digues affez fortes pour l'arrêter. Déja Tacite, dans fon excellent Dialogue fur les Orateurs, avoit attaqué le nouveau genre d'Éloquence de fon temps. Mais les partisans de ce nouveau genre, malheureusement en trop grand nombre, combattoient fon fentiment. Ils prétendoient juftifier leur goût, en difant que le genre qu'ils adoptoient, différoit de l'ancien, comme l'éloquence de Cicéron différoit de celle des fiécles qui l'avoient précédé; que ce qui avoit pu plaire autrefois, étoit paffé de mode; qu'il falloit se conformer au goût de fon fiécle; enfin que, par un vice (1) de malignité, naturel

(1) Vitio autem malignitatis humanæ vetera femper in laude, præfentia in faftidio esse. Dial. de Orat. n° 18.

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