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Lecteur le plus intrépide? Cette manière d'écrire l'Hiftoire, loin de mériter à Hérodote les honneurs qu'il reçut, ne lui eut attiré que de juftes mépris.

Convenons néanmoins que cet Hiftorien enchanteur n'apporte pas dans les détails autant d'exactitude que Thucydide. Celuici a l'avantage fur Hérodote, d'avoir été témoin d'une partie des événemens qu'il raconte, comme ayant porté les armes, & même commandé des expéditions dans la guerre du Péloponnèfe. Ces deux Hiftoriens, au jugement de Quintilien (1), font bien fupérieurs à tous ceux qui ont suivi la même carrière. Quoiqu'avec des qualités

(1) Hiftoriam multi fcripfere præclare, fed nemo dubitat duos longè cæteris præferendos, quorum diverfa virtus laudem pene eft parem confecuta. Denfus & brevis & femper inftans fibi Thucydides: dulcis & candidus & fufus Herodotus. Ille concitatis, hic remiffis affectibus melior: ille concionibus; hic fermonibus: ille vi; hic voluptate. QUINTil. Lib. X, Cap. I, pag. 743. Edit. cum variorum notis 1665.

différentes,

différentes, ils fe font acquis une gloire prefqu'égale. Thucydide eft plus ferré, plus concis, fe hâte d'arriver au dénouement: Hérodote eft plus doux, plus simple, plus abondant: le premier peint mieux la violence des paffions; le fecond, la douceur du fentiment: l'un eft parfait dans fes harangues, l'autre dans les entretiens ordinaires; Thucydide entraîne par la force; Hérodote par le plaifir.

Les harangues dont Thucydide a eu l'art (1) d'animer fon hiftoire, en font non-feulement l'ornement mais la base & le foutien. On aime que l'Hiftorien fe faffe oublier, s'oublie lui-même, pour laiffer agir & parler les perfonnages qu'il introduit fur la scène. Il rend par-là fon Lecteur préfent à l'action; il lui abandonnc le plaifir d'obferver, de connoître de

(1) Effayez, dit M. l'Abbé de Mably, de fupprimer les harangues de Thucydide, & vous n'aurez qu'une hiftoire fans ame. Voyez fon Traité de la manière d'écrire l'Hiftoire, premier Entretien, pag. 145.

faifir par lui-même le génie, le caractère des Acteurs; de juger de la paffion qui les anime foit qu'ils parlent, foit qu'ils agissent; de développer les principes & les caufes des événemens ; d'en prévoir les fuites; de découvrir les refforts fecrets de la politique, & de démêler le fil caché des intrigues. Tel eft l'art de réveiller, d'émouvoir & d'intéresser l'amour-propre du Lecteur; & cet art eft celui de Thucydide. Il laiffa en mourant fon histoire imparfaite. Xénophon fe chargea de la continuer, & eut la gloire de l'achever.

Cet excellent Hiftorien, dont l'agréable négligence (1) eft si naturelle, que le travail ne l'imitera jamais, dont les Grâces

(1) Quid ego commemorem Xenophontis jucunditatem illam inaffectatam, fed quam nulla poffit affectatio confequi? Ut ipfæ finxiffe fermonem Gratie videantur; & quod de Pericle veteris Comœdiæ teftimonium eft, in hunc transferri juftiffime poffit, in labris ejus fediffe quandam perfuadendi Deam. QUINTIL. Lib, X, Cap. I, pag. 745 •

elles-mêmes femblent avoir formé le langage, & fur les lèvres duquel repofe la Déeffe de la perfuafion, eft le premier Philofophe qui se soit livré à ce genre de travail. Quand on pense en sage, on écrit en fage. Xénophon, l'un des plus illuftres difciples de Socrate ne fit ufage de la Philofophie que pour infpirer la crainte des Dieux, & pour faire briller davantage l'honneur & la vertu, que fon pinceau religieux & pur fait encore embellir de nouveaux charmes. On voit que c'eft-là fon feul but. Il n'écrit point l'Hiftoire pour s'ériger en réformateur: il n'affecte point d'y donner des leçons aux Rois, ni des préceptes au genre humain : c'eft plus les chofes, que par le coloris enchanteur de fon ftyle, qu'il veut nous attacher : en un mot fidèle & févère obfervateur des devoirs impofés à tout Historien, il ne cherche pas à flatter la malignité des Lecteurs ignorans & fuperficiels, par un cynisme révoltant; mais à contenter & à nourrir les bons esprits, qui préfèrent au

par

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1

clinquant du menfonge le folide éclat de la vérité.

La gloire dont un Hiftorien doit păroître le plus jaloux, eft celle d'être utile & d'inftruire; d'élever ou d'entretenir le courage, par la manière de préfenter les actions héroïques; de faire aimer la vertu, en inspirant l'horreur du vice; d'encourager les bonnes mœurs, comme étant la force & le falut des Empires; de peindre avec énergie la foibleffe & l'aviliffement dans lefquels tombent les Nations dont les mœurs font dépravées; de former des Hommes d'État, des Miniftres, de grands Capitaines, & c'eft fur-tout en quoi Xénophon eft admirable. Scipion l'Africain ne pouvoit fe laffer de lire (1) fes ouvrages; & c'eft dans fon excellente hiftoire de la Retraite des Dix-mille (2), que Lucullus apprit le fecret de vaincre Mithridate.

(1) Semper Africanus Socraticum Xenophontem in manibus habebat. Cic. TUSCUL. 2, n° 25.

(2) Nous avons deux traductions françoises de l'Expédition de Cyrus, ou la Retraite des Dix-mille;

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