Imágenes de páginas
PDF
EPUB

qu'il devoit bientôt déclarer au Génie. L'Empire des Lettres a auffi fes révolutions; & c'est toujours le Bel-Esprit qui le trouble & l'ébranle. Dès les beaux jours de la Littérature Latine, Pollion n'écrivit -il pas contre l'éloquence de Cicéron? Le Bel-Esprit Ovide ne donnat-il pas la première atteinte au bon goût, & ne prépara-t-il pas le triomphe de Sénèque & de Lucain? Le Bel - Esprit FONTENELLE, bien au-deffous d'Ovide pour le talent, l'imagination, les grâces, le ftyle & l'invention; mais né avec une portion de philosophie, à la vérité légère & peu profonde, ne s'eft-il pas mis à la tête des troupes du Bel-Efprit contre le Génie ? Les Lettres ont donc éprouvé le même fort, & fous Augufte & fous Louis XIV. Le Bel-Efprit a été dans tous les temps le précurfeur de la fauffe philosophie; & nous ne tarderons pas à démontrer combien leur alliance a été funefte aux Lettres, au goût & aux mœurs.

Le premier orage s'éleva donc contre

[ocr errors]

Racine; mais ce grand Homme, après l'avoir diffipé, ne marcha que plus glorieusement au Temple de Mémoire. Il couronna fa carrière tragique par Athalie, Tragédie immortelle dont la poésie fublime, le ftyle divin, le coloris inimitable, les beautés fans nombre, l'intérêt & la fimplicité d'action feront toujours pâlir l'envie, & regarder Racine, jusques chez nos derniers neveux, comme le Dieu de la poésie dramatique. Il fut redevable de fa gloire aux anciens, & à BOILEAU fon maître & fon ami.

Ce Législateur du Parnaffe, que le génie & le goût ont vu naître, pour les venger, manque à notre fiécle. Il fut un des plus beaux ornemens du fien, & marcha l'égal des grands Hommes fes contemporains. Grand Poëte, plein de verve & de génie, il fut être à la fois Horace Perfe & Juvenal. Fléau des Chapelain, des Cottin, des Pradon, il configna leurs noms à la poftérité, en les couvrant de ridicule. Combien il en auroit eu à choisir parmi

[ocr errors]

les Dictateurs de notre Littérature, s'il eût vécu de nos jours! Ses Satires feules lui auroient fait un nom, qu'on achète fouvent bien cher, quelque jufte & fondée que foit la critique. Mais fon génie ne se bornant pas à ce dangereux genre, s'éleva jufqu'à l'Épopée. Son Lurrin, quoiqu'un badinage, eft le Poëme épique le plus parfait qui foit forti du cerveau des Poëtes, depuis Homère & Virgile jusqu'à nous. Ses Epîtres, où l'on admire également la beauté des vers, la justesse de l'expreffion, la nobleffe des pensées, & la force de la raifon, prouvent qu'il favoit difpenfer la louange & la fatiré, avec autant de juftice que de vérité. Mais où il fe montre digne d'être Légiflateur, c'est dans fon Art poétique. C'est-là qu'il donne réellement des leçons de goût & de perfection c'eft-là que, du haut du Pinde, il dicte fes loix en Souverain. Heureux qui ne fuivra jamais que ce guide habile & fidèle !

Toujours inquiet & jaloux, toujours

avantageux & fuperbe, le Bel-Esprit recommença ses hoftilités, & porta tout-à-coup

la

guerre, non-feulement chez fes contemporains, mais jusques chez les Anciens, Malheureusement il ne connoiffoit l'Antiquité, que fur de fauffes relations & des defcriptions infidèles : il n'avoit jamais été en état d'y pénétrer: fes chefs en ignoroient entièrement la langue. Ils n'avoient jamais fu lire, dans le texte, Homère & les autres excellens Auteurs Grecs. Boileau, ce formidable ennemi du BelEfprit, terraffa Perrault (1). Eh! qui connoiffoit mieux les Anciens, que le Juvenal françois ? Qui pouvoit mieux juger leurs beautés & leurs défauts? Qui les avoit plus étudiés, plus approfondis? Une femme, l'illuftre & favante Madame DACIER, fe joignit à Boileau. Elle attaqua un nouvel adverfaire des Anciens (2), la

(1) Voyez les Remarques fur LONGIN.

(2) Voyez des Caufes de la corruption du Goût, par Madame DACIER.

Motte non avec les grâces & l'aménité de fon fexc, non avec l'arme légère du ridicule, la feule qu'elle auroit dû employer, mais avec les armes trop pesantes de la raifon. La Motte avoit ofé, fans le fecours de l'original, traduire l'Iliade, & prétendoit non-feulement avoir fait difparoître de ce Poëme les défauts innombrables qu'il y avoit trouvés, mais même y avoir ajouté des beautés. Il feroit aisé de juger aujourd'hui de fang-froid, cette querelle, fi l'on avoit le courage de fupporter la lecture de l'Iliade de la Motte; mais il y a si long-temps qu'elle eft tombée dans le plus profond oubli, qu'il eft impoffible de l'en tirer. Cet Écrivain cependant mit tant de politeffe & de douceur dans fa réponse à Madame Dacier, qu'il se fit quelques partifans de plus; on lit peu ouvrages aujourd'hui. Il écrivoit purement & froidement: son style eft fans couleur; fa poéfie inanimée; on y trouve plus de philofophie que de verve; & la philofophie eft le poison lent de l'imagination:

fes

« AnteriorContinuar »