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copies. Par ce moyen ils étoient entre les mains de tout le monde. On les lifoit on les chantoit on les apprenoit par cœur & chacun pouvoit les comparer

cours

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& les juger. Les Orateurs, au contraire, pouvoient bien, à la vérité, préparer, méditer, écrire leurs harangues, avant que de parler en public: mais à peine les avoient-ils prononcées, à peine étoient-ils defcendus de la Tribune, qu'il n'en reftoit que le plaifir de les avoir entendus. Il paroît qu'ils n'écrivoient pas leurs difpuifque leurs contemporains, & les Écrivains, qui depuis ont recueilli foigneufement les précieux restes de l'antiquité, n'en ont pas même rapporté quelques fragmens. L'Eloquence n'avoit done point de modèles à offrir aux Orateurs qui devoient briller après ceux qui les avoient précédés. Elle avoit, à la vérité, de la force & de la véhémence; mais l'art étoit dénué de grâces & d'ornemens. Il falloit les Athéniens endormis au fein des plaisirs & du repos, & qui ne reffem

que

par

bloient plus alors aux héros de Marathon, de Salamine & de Platée, fuffent réveillés des fecouffes violentes & un danger bien preffant, pour qu'il parût un homme 'doué d'un génie extraordinaire, animé de l'amour du bien public, brûlant d'un zèle incorruptible pour fa patrie, prévoyant les malheurs prêts à fondre fur fon pays, & capable par fon éloquence de relever le courage abattu de fes Concitoyens. C'eft au moment où Philippe, après avoir trompé la République par de vaines & flatteuses promeffes, tente de fubjuguer la Grèce, & de s'emparer d'Athènes, que Démofthène se montre, & qu'il s'oppose aux entreprises de l'ennemi c'eft à cette époque, que la Tribune aux harangues fervit, pour la première fois, à déployer tous les refforts de l'art admirable de la parole. Jamais elle n'avoit retenti pour des intérêts aussi grands; & jamais elle n'avoit été occupée par un auffi grand Orateur que Démosthène. Mais combien de peines & de travaux ne lui en coûta

t-il pas, pour devenir le plus parfait des Orateurs? Comme il n'exiftoit aucun modèle qui pût lui fervir de guide, après avoir pris fous Ifée des leçons d'éloquence, il fe forma fur les harangues de Thucydide, dont il avoit copié huit fois l'histoire, & fur les écrits de Platon, dont il fit une étude particulière. Telle eft la différence 'du génie & du Bel-Efprit celui-ci a l'orgueil de penfer qu'il peut fe fuffire à lui-même; le génie, au contraire, avide d'apprendre & de favoir, fe croit toujours inférieur à lui-même, & penfe qu'il n'est jamais affez inftruit.

:

Démosthène eut à vaincre les obftacles que la Nature fembloit avoir voulu lui oppofer exprès, pour qu'il eût le courage de les furmonter. Peu s'en fallut néanmoins qu'il ne fe dégoûtât, par le mauvais succès que lui firent effuyer, lors de fes premiers plaidoyers, la foibleffe de fa voix, fa refpiration courte & gênée, & fa prononciation embarraffée, fur-tout lorfqu'il fe préfentoit certains mots, qu'il ne pouvoit

prononcer qu'en bégayant. Tout le monde fait les moyens qu'il employa, avec une patience opiniâtre, pour parvenir à corriger entiérement ces défauts naturels. Une belle prononciation eft (1) la première qualité que doit avoir quiconque fe difpose à parler en public; elle fait fouvent le fuccès de l'Orateur, quelque médiocre qu'il foit. Rien au contraire ne nuit davantage à fa réputation, & ne détruit plus l'effet des meilleures chofes qu'il pourroit dire, qu'une prononciation vicieuse, & Démosthène l'avoit éprouvé. Mais dès qu'il eut réparé, par des efforts incroyables, les torts de la Nature, il ne fongea plus qu'à porter fon art au plus haut point de perfection.

Quoi de plus capable, en effet, d'embrâfer fon génie, & d'allumer le zèle de cet Orateur citoyen, que l'état déplorable

(1) Actio in dicendo una dominatur. Sine hac fummus orator effe in numero nullo poteft: mediocris, hac inftructus, fummos fæpe fuperare. Cic. de Orat. Lib. III, n. 56,

où fe trouvoit fa Patrie & les malheurs qui la menaçoient! Qu'on fe figure un peuple uniquement occupé de jeux, de fêtes & de fpectacles; indigne, pour ainsi 'dire, de defcendre des héros de Marathon; hors d'état de fe défendre & de foutenir la guerre; également épuifé de forces & d'argent; livré à des confeils perfides & à des Orateurs corrompus, qui le flattoient fans ceffe & l'entretenoient dans une fécurité fatale; enfin l'ennemi déja maître des Thermopyles, qui lui ouvroient l'entrée de tous les Etats de la Grèce, & prêt à fondre sur Athènes, dont il vouloit faire fa première conquête; on jugera, par ce tableau, de quelle importance étoient les objets qui s'offroient à l'éloquence de Démosthène.

Ce n'est plus pour défendre les droits. & les prérogatives d'une ville de la Grèce, ou pour émouvoir & perfuader de fimples Juges, en faveur d'un Client malheureux, qu'il monte dans la Tribune; c'eft pour le falut de fa Patrie. Il brûle de la fouftraire

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