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cet intervalle immenfe de temps, n'eft l'Esclave de Xanthus (1); encore ses Apologues furent-ils revêtus par Socrate, des couleurs de la Poéfie. Tel étoit l'empire qu'elle exerçoit fur tous les efprits; mais il faut l'avouer, les Poëtes alors, Peintres fidèles de la Nature, que nos vices accumulés n'avoient point encore défigurée, étoient fimples & fublimes comme elle. Confommés dans la connoiffance du cœur humain, inftruits à fond de fa Religion, des Loix, des Mœurs, & des Ufages des Nations & des Pays qu'ils parcouroient en fages, pour venir enfuite enrichir leur Patrie des tréfors qu'ils avoient amaffés dans leurs favans voyages, ils paroiffoient des hommes inspirés. Leur raison pleine d'enthousiasme avoit quelque chofe de divin, & les rendoit refpectables aux yeux du peuple qui les regardoit, les

(1) Efope compofa fes Fables en profe. Il eft le plus ancien Fabuliste, après Héfiode, inventeur de l'Apologue.

écoutoit, les confultoit comme les interprètes & les favoris des Dieux. Ils étoient en un mot les Sages de leur fiécle. C'est d'après cette opinion publique & générale, que Solon ayant terminé fes voyages, de retour à Athènes qu'il trouva déchirée par la guerre civile, fut déclaré fouverain Légiflateur, & qu'il publia fes Loix, qui font encore aujourd'hui regardées, après celles de Lycurgue, comme un des beaux monumens de la fageffe humaine.

La Grèce a donc été le véritable berceau des Mufes. C'eft-là qu'elles prirent naissance, & qu'elles fixèrent leur demeure chérie. C'est au fein de cette terre fortunée qu'elles germèrent, fe développèrent, & qu'elles firent enfuite entendre leurs premiers concerts, lorsqu'elles inspirèrent les Homère, les Héfiode, les Archiloque, les Tyrtée, les Simonide, les Pindare, & tous ces Poëtes divins, dont les accens auront à jamais des charmes, pour tous les peuples inftruits & jaloux de conserver le goût de la fimple & belle nature.

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Le long & conftant usage de la Poésie fixa donc pour toujours le fort de la Langue Grecqué; & comme il n'exiftoit point de plus parfait modèle que les Ouvrages d'Homère, qui renferment tous les genres de beautés, que la raison, le goût & l'imagination pouvoient desirer, chacun à l'envi s'efforça de les imiter. Il falloit qu'Homère poffédât fupérieurement fa langue, foit qu'elle eut acquis toute fa perfection lorfqu'il commença d'écrire, foit que ce fut lui-même qui l'eût perfectionnée, pour que fes écrits n'aient point fouffert des changemens & des variations auxquels communément le temps, la néceffité, le caprice & la fauffe délicateffe foumettent impérieusement toutes les langues vivantes. Ce qu'il y a de certain, c'eft que la Langue Grecque eft la feule qui n'a éprouvé ni altération, ni variation depuis Homère. Peutêtre ne dut-elle cet avantage qu'à la Poésie, dont l'art ne confifte pas moins dans le choix des mots & la pureté du

langage, que dans l'élévation des pensées.

Quoi qu'il en foit, la Langue vulgaire s'enrichit des beautés de la Langue poétique. Elle acquit insensiblement plus de force & de grâce, plus de juftesse & de folidité, plus d'abondance & de noblesse, plus de correction & de pureté, en forte qu'on fe trouva pourvu d'une affez grande abondance de mots nobles & de belles expreffions, pour traiter, en profe, toutes fortes de fujets. Dès-lors la Philofophie, l'Eloquence, l'Hiftoire, les Arts & les Sciences devinrent fon partage.

Sans autre guide que fon génie, Hérodote créa l'Hiftoire (1), & l'écrivit d'un ftyle qui charme & entraîne le Lecteur.

(1) Hérodote eft appellé le Père de l'Histoire, parce qu'il eft le premier qui l'ait écrite avec art: Qui Princeps genus hoc ornavit; dit Cicéron, de Oratore, Lib. 2, n° 13. Cependant il a été précédé par des Hiftoriens célèbres, dont il n'existe plus que la mémoire. Les principaux font Aristée de Proconnèse; Hécatée, de Milet; Hellanicus, de Lesbos; Phérécyde, de Léros; & Charon, de

Quel triomphe pour lui, que ces applaudiffemens univerfels dont fut fuivie la lecture qu'il fit de ses histoires (1), en préfence de toute la Grèce affemblée aux

Lampfaque. Quelques-uns de ces Historiens, suivant l'usage de toute l'Antiquité, avoient écrit en vers. On ne peut affez regretter la perte de la Phoronide d'Hellanicus, dont les Grammairiens & les Critiques nous ont confervé quelques fragmens. Ses vers ont la facilité, l'élégance & le nombre de ceux d'Homère. Cet Ouvrage comprenoit les origines du Péloponnèfe, & étoit intitulé du nom de Phoronée le premier habitant, & par conféquent le premier Roi d'Argos. Hécatée, de Milet, paffe pour être le premier qui ait écrit l'Hiftoire en profe. Hérodote, fuivant le témoignage des Anciens, a beaucoup profité de fes ouvrages. On comprend à quel point ils ont dû lui être utiles, quand on fait qu'Hécatée avoit écrit une hiftoire générale de l'Afie & de l'Europe, fous le titre de Defcription géographique de ces deux parties de la terre.

(1) Hérodote a écrit l'hiftoire de la guerre des Perfes contre les Grecs, depuis le régne de Cyrus jufqu'à celui de Xerxès, & l'hiftoire générale de prefque tous les Peuples chez lefquels il avoit voyagé.

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