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Sciences qui fleuriffoient à Athènes, & y 'établit une École d'éloquence, qui fut long-temps célèbre. Elle ne conferva pas cependant la pureté du goût Attique; le goût du pays s'y mêla, comme le remarque Quintilien, & elle éprouva le fort des plantes, qui dégénèrent toujours, dès qu'elles font portées dans un terroir & dans un climat étrangers. Efschine commença fes premières leçons, par les deux harangues qui avoient caufé ses malheurs. On donna les plus grands éloges à la fienne; mais celle de Démosthène fit fur les Auditeurs une telle impreffion, & les acclamations & les applaudiffemens redoublèrent, avec tant de force & de vivacité, qu'Efchine entraîné comme malgré lui: Que feroit-ce donc, leur dit-il, fi vous l'aviez entendu lui-même ? Quel éloge! & qu'il eft beau dans la bouche d'un ennemi, & fur-tout d'un rival!

Ne foyons point furpris fi les Rhodiens prodiguèrent leurs applaudiffemens, avec une espèce d'enthousiasme, à la harangue

de Démosthène. Comment n'auroient-ils pas été frappés de la nobleffe des fenti mens dont elle est pleine, de ce beau fimple qui y règne, de cette vérité franche qui la caractérise? On y voit à découvert l'ame toute entière de l'Orateur; & plus fon ame eft élevée, plus fes pensées, fon ftyle, les images qu'il emploie, ont de force, de grandeur & de majefté. Voilà, fi je ne me trompe, la vraie éloquence, celle qui doit enlever tous les fuffrages, & la feule digne d'être admirée. Ainsi Démosthène, de l'aveu même de fes rivaux & de toute l'Antiquité, eft parvenu au plus haut degré de perfection, où le génie puiffe atteindre. Il eft le Prince des Ora teurs, comme Homère eft le Prince des Poëtes. L'un & l'autre font deux modèles achevés, qu'on ne doit jamais fe laffer d'étudier & de méditer, pour peu qu'on foit jaloux de la gloire. D'ailleurs la Nature nous en offre bien rarement de pareils ; & c'eft une raison de plus pour ne pas les négliger,

Il femble, en effet, que la Providence Te plaise à favorifer certains fiécles, par le foin qu'elle prend d'y placer, en nombre, ces génies rares & privilégiés, deftinés à éclairer le monde; & qu'elle laiffe écouler enfuite un intervalle immenfe de temps, jufqu'à ce qu'elle daigne répandre de nouveau fes bienfaits fur une autre généra tion. On diroit même qu'elle eft avare, fi j'ose m'exprimer ainfi, de ces brillantes époques, puifque nous en comptons fi peu jufqu'à nos jours.

Le temps qui s'écoula depuis Homère, jufqu'à la fin de la guerre du Péloponèse, vit naître une multitude de Poëtes célèbres. Les derniers âges de cette époque furent féconds en grands Philofophes, en grands Historiens & en grands Capitaines. Le fiécle fur-tout de Périclès étonne, par les merveilles qu'il enfanta dans tous les genres. Mais la véritable éloquence ne commença de briller qu'au temps de Démofthène. C'étoit à lui qu'il étoit réservé de créer, pour ainfi dire, l'art de la parole,

& de se couvrir d'une gloire immortelle, au milieu d'une foule d'excellens Orateurs, faits pour occuper dignement la Tribune aux harangues, & pour se difputer à l'envi le premier rang, fi Démosthène ne l'eût pas obtenu de droit. Ils avoient été prefque tous Difciples d'Ifocrate. Cet illuftre (1) Rhéteur, dont le genre d'éloquence est orné & fleuri, étoit plus propre à enfeigner l'art de combattre, qu'à combattre luimême. Peu jaloux de paroître dans les exercices du Barreau, il ne cherchoit qu'à briller au milieu d'une nombreuse École, par les grâces & la délicateffe de fon ftyle. Ses Élèves avoient, comme leur Maître, un genre d'éloquence qui leur étoit propre, & s'ils différoient tous entr'eux, par le genre & par le ftyle (2); ils étoient tous

(1) Ifocrates in diverfo genere dicendi nitidus & comptus, & palæftræ quam pugnæ magis accommodatus, omnes dicendi veneres fectatus eft: nec immerito: Auditoriis enim fe, non judiciis comparat. QUINTIL. Lib. X, Cap. I, pag. 744.

(2) Demofthenes, Hyperides, Lycurgus, Æfchines,

réunis dans le même goût du vrai & du beau fimple, Ce goût fe conferva dans sa pureté, tant qu'on s'appliqua à les étudier & à les imiter: mais après leur mort, on en perdit infenfiblement le fouvenir; & dès qu'ils furent entièrement oubliés, on vit régner un genre d'éloquence molle & efféminée, qui fit difparoître pour toujours les traces de l'ancienne éloquence.

Les fucceffeurs des Démosthène, des Hypéride, des Eschine, se frayèrent donc une route nouvelle qui les égara bientôt. Démétrius de Phalère (1) altéra le premier

Dinarchus, aliique complures, etfi inter fe pares non fuerunt, tamen funt omnes in eodem veritatis imitandæ genere verfati, quorum quamdiu manfit imitatio, tamdiu genus illud dicendi, ftudiumque yixit. Pofteaquam, extinctis his, omnis eorum memoria fenfim obfcurata eft & evanuit; alia quædam dicendi molliora ac remiffiora genera viguerunt, Cic. de Oratore, Lib. II, n. 23.

(1) Phalereus enim fucceffit eis fenibus adolefcens, eruditiffimus ille quidem horum omnium, fed non tam armis inftitutus, quàm palæftrâ. Itaque delectabat magis Athenienfes, quàm inflammabat,..

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