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le goût de l'antique éloquence. Plus jaloux de plaire que d'émouvoir, il préféra les grâces à la force. Il ne fongeoit qu'à frap→ per agréablement l'oreille: il enchantoit l'efprit, mais il n'excitoit dans l'ame aucun de ces mouvemens fubits, involontaires que produit la véritable éloquence, & qui vous laiffent un long & agréable fouvenir de ce que vous avez entendu. Comme il avoit de l'efprit, il varioit à fon gré les ornemens légers & frivoles qu'il répandoit dans fes difcours; & comme il furpaffoit, en élégance, tous ceux de fon temps, il devint le modèle des Orateurs de fon fiécle. Ses nombreux imitateurs achevèrent de perdre l'éloquence.

Hic primus inflexit orationem, & eam mollem, teneramque reddidit: & fuavis, ficut fuit, videri maluit quàm gravis, fed fuavitate ea, qua perfun→ deret animos, non qua perfringeret: & tantùm ut memoriam concinnitatis fuæ, non (quemadmodum de Pericle fcripfit Eupolis) cum delectatione aculeos etiam relinqueret in animis eorum, à quibus effet auditus. Cic. de Claris Oratoribus, n. 9.

Il eft auffi dangereux en littérature, qu'en morale, de changer ou d'altérer les principes reçus. Le goût ne fe conferve pur, qu'autant qu'il eft entretenu & nourri par l'étude des bons modèles. Pour peu qu'on les néglige ou qu'on les abandonne, les écarts fe multiplient, & l'on marche à grands pas vers la corruption. Malheu reufement la nouveauté entraîne la multitude, parce que les Novateurs affectent ordinairement une hardieffe qui impose, & ont une tournure d'efprit qui éblouit & leur fait des Sectateurs. Le mauvais goût s'accroît alors avec une rapidité incroyable, en raifon du nombre des mauvais Copiftes, lefquels, bien inférieurs à leurs modèles, en talent & en efprit, les furpassent en défauts & en ridicules, & n'en deviennent pas moins à leur tour des modèles pour leurs fucceffeurs qui achèvent la révolu tion. La raifon de cette étonnante & rapide décadence, eft bien fimple; c'est qu'on n'imite guères que ceux auxquels on reffemble, & qu'il eft plus aifé de se

paffer des règles ou de les enfreindre, que de les obferver. Or les règles févères du goût, prescrivent une imitation parfaite de la Nature: les équivalents ne la fup pléent point: tout ce qui n'eft pas elle, eft faux. Voyez ces lumières rassemblées en faisceaux, & difpofées avec tout l'art imaginable, pour éclairer un lieu vafte & obfcur; elles y laiffent encore des ombres qu'elles ne peuvent diffiper, parce qu'elles ne peuvent rendre ni les feux étincelans, ni la beauté du jour de même tous les efforts les plus brillans de l'efprit n'imiteront & n'égaleront jamais le folide éclat des feux du génie.

Le feul moyen de tendre à la perfec tion, eft donc de ne prendre pour guide que le vrai. Qu'on examine de fang-froid & fans prévention, les beautés réelles & fans nombre, répandues dans l'Iliade & l'Odyffée, on fentira qu'elles y font placées avec autant de fageffe que de goût. Ces Poëmes font en effet des copies fidèles, ou plutôt des Tableaux vivans de

la Nature. C'est en quoi fur-tout Homère eft admirable, indépendamment de fes grands caractères, fur lefquels fe font formés les Poëtes, les Orateurs, les Hiftoriens & les Philofophes, qui ont fait après lui, la gloire de la Grèce, dans les beaux jours de la République d'Athènes.

Cette fplendeur littéraire avoit disparu depuis les conquêtes de Philippe, & le règne des ambitieux fucceffeurs d'Alexandre. La Grèce entière en proie à toutes les horreurs de la guerre, fut enfin forcée de fubir le joug des vainqueurs; Athènes fur-tout, jadis fi floriffante, n'étant plus qu'une ombre de République opprimée de toutes parts, contrainte de livrer fes éloquents défenfeurs, à la vengeance de fes tyrans; la Tribune aux harangues fermée; l'Académie & le Lycée déferts, abandonnés ou livrés à de pitoyables Sophiftes; le Théâtre détruit; ces Monumens fuperbes, merveilles de l'art & du génie, abattus, brifés, prefqu'entiérement anéantis; les Muses éplorées, tremblantes,

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fans voix, fans afyles & fans appui; tel eft l'état déplorable, où, après tant de fiécles de gloire, Athènes fut réduite. Les Sciences & les Arts chaffés de leur Patrie, fe réfugièrent chez les Romains, où leur règne ne fut pas moins brillant moins chéri que chez les Grecs.

Occupée à jeter les fondemens de fa grandeur future, Rome n'avoit encore été que guerrière. Toujours les armes la main, & méditant fans ceffe de nouvelles conquêtes, rien n'étoit plus étranger à fes mœurs dures & auftères, que les 'Arts & les Sciences. Mais la politique, fage & éclairée, qui lui avoit fait une loi de traiter avec douceur & modération les vaincus; d'admettre, fuivant les circonf tances, fes Alliés & les Peuples qu'elle avoit foumis, au rang de fes Citoyens ; d'adopter de leur Religion, de leurs Coutumes & de leurs Ufages, ce qu'elle y trouvoit d'utile & d'avantageux, préparoit infenfiblement une révolution favo rable aux Lettres. Carthage enfin ensevelie

fous

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