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trouvera que Plaute pofféde plus la force comique que Térence: que fes perfonnages parlent moins qu'ils n'agiffent; que fes caractères font foutenus, & que par la variété des incidens, il fait toujours ménager une furprise agréable. Ces qualités manquent à Térence. Mais il eft admirable & bien fupérieur à Plaute dans la peinture des mœurs, qu'il rend avec affez de vérité, pour perfuader que c'eft le langage de la nature. Il n'excite pas, il eft vrai, ce rire éclatant, qui n'eft qu'un mouvement convulfif; mais ce rire délicat & doux de la raison, qui procure à l'ame une fenfation délicieufe. Plus on lit ses Comédies, plus on veut les lire & l'on y revient encore avec un plaifir toujours nouveau. La morale en eft fi pure, les maximes dont elles font remplies, conviennent fi bien à toutes les actions de la vie, qu'elles peuvent être mifes entre les mains de toutes fortes de perfonnes. Elles font un modèle achevé de style; c'est-là que la jeuneffe peut puifer

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fans danger le goût de la belle Latinité. Toutes les Pièces des Poëtes que nous venons de nommer étoient moins leur

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propre ouvrage, qu'une copie de celles du Théâtre Grec. Aucun d'eux, excepté Plaute qui eft original dans quelques-unes de fes Comédies, n'a le mérite de l'invention. Afranius eft le feul qui n'ait rien emprunté des Grecs. Il fut l'inventeur de la Comédie purement Latine. Il s'attacha particulièrement à peindre les mœurs des Romains, leurs ufages & leurs coutumes. Il fit quitter à fes Acteurs le costume Grec, dont s'étoient fervi les Poëtes avant lui, & leur donna l'habillement ordinaire des Citoyens de Rome, d'où cette Comédie fut nommée Togata. Il y excella; mais fes pièces fe reffentirent trop (1) de la corruption de fes mœurs. Il eft heureux que le temps ait anéanti ces ouvrages obscènes,

(1) Togatis excellit Afranius. Utinam non inquinaffet argumenta puerorum fœdis amoribus, mores fuos fallus. QUINTIL. Inft. Orat. Lib, X, Cap, I, pag. 750.

quelque mérite qu'ils euffent, foit du côté de l'invention, foit du côté de l'agrément du ftyle (1).

Quoique la Tragédie Latine ait eu la même origine que la Comédie, qu'elle ait pris naiffance en même-temps, & que fes Auteurs aient puifé aux mêmes fources, elle ne paroît pas avoir fait de grands progrès. Il est même étonnant que le fiécle d'Augufte, fi brillant pour la Littérature, n'ait pas produit un génie digne de le difputer aux Eschyle, aux Sophocle & aux Euripide. Quintilien ne parle (2) de la Médée d'Ovide, que pour montrer jufqu'où ce Poëte'eût porté fon talent, s'il fe fût moins livré à l'envie de faire briller fon efprit. Cet excellent Juge rappele

(1) L. Afranius Poeta, homo perargutus, in fabulis quidem etiam, ut fcitis, difertus. Cic. de Clar. Orat.

n° 45.

(2) Ovidii Medea videtur mihi oftendere quantum vir ille præftare potuerit, fi ingenio fuo temperare quam indulgere maluiffet. QUINTIL. Inft. Orat. L. X, Cap. I, pag. 749.

encore avec éloge les Tragédies de Pomponius fecundus (1), que les vieillards d'alors ne trouvoient pas affez tragique, & qu'ils eftimoient néanmoins par la grande connoiffance qu'il avoit de l'Antiquité, & par l'agrément de fa compofition. Mais comme de tous les Tragiques Latins, il ne nous refte qu'un très-petit nombre de pièces attribuées communément à Sénèque le Philofophe, il est aifé de juger, en les lifant, que l'art étoit peu formé, ou que ce Philofophe en connoiffoit peu le génie. Toujours occupé du foin de fe montrer, il transforme tous fes personnages, hommes & femmes indiftin&tement, en Philofophes: il leur prête fon langage & fes pensées, fouvent contraires, & à ce qu'ils doivent dire, & à la passion qui les agite : il fatigue par une foule de maximes & de fentences, qu'il entaffe les unes fur les autres: fon

(1) Eorum quos viderim longe princeps Pomponius fecundus, quem fenes parum tragicum putabant, eruditione ac nitore præftare confitebantur. Id. Ibid.

langage, quoique ferme & précis, n'est jamais naturel, parce que c'est toujours le Bel-Esprit qui parle: il cherche plutôt à éblouir qu'à intéresser: en un mot, pour cacher la foibleffe de fa fable, il emploie toute la pompe de la Poéfie, étale les sentimens les plus élevés, mais il ignore le fecret d'aller au cœur. Voilà les défauts réels qu'on reproche généralement, & avec raison, à Sénèque. Cependant, en le condamnant comme un mauvais modèle, nous devons lui rendre justice sur la beauté des fentimens, la fageffe des maximes la folidité des réflexions politiques, fur la pureté même de la morale, qui brillent dans toutes fes Tragédies. Quoiqu'il ait affecté d'y faire dominer le ton philofophique, il n'en abuse jamais, pour y jeter à deffein ces maximes audacieuses, dont le but eft d'opérer une révolution fubite ou infenfible dans les efprits. Citoyen autant que Philofophe, on voit qu'il chérit sa Patrie, qu'il en fuit les Loix, & qu'il respecte les Dieux qu'elle révère : par-tout

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