rer fur les terres du grand Seigneur. Le trajet étoit long, & les chemins prefque inpraticables. Il fallut traverfer un vafte defert, & effuyer toutes les incommoditez de la faim : mais à quoi ne s'expofe pas un Prince qui a un grand cœur, & qui auroit preferé la mort au malheur de tomber entre les mains d'un ennemi fier & enflé de fa victoire? Le Roy de Suede & ceux qui partageoient avec lui fa mauvaise fortune furent plus de trois jours fans manger. Ce qu'il y avoit même de fâcheux étoit de passer à la nage une riviere fort large & fort rapide. Cependant, malgré· cette inanition, & le mal que lui faifoit fa bleffure, il la traverfa, & ceux qui étoient bien montez le fuivirent; les Mofcovites de leur côté firent un détachement de trente mil hommes, pour prendre le refte de l'armée,& principalement le Roy; mais n'étant arrivez à la même hauteur de la riviere que de deux lieuës plus bas,-ils trouverent dix mille hommes qu'ils firent prifonniers de guerre. L'affection que lui por te le Grand Seigneur l'eftime particuliere qu'il en fait, les riches prefens qu'il lui envoye de tems en tems, les grands fecours d'argent & de vivres qu'il lui fait tenir, ont quelque chofe de fin Il lui fournit depuis qu'il eft à Bender, cinq cens Piaftres par jour, des oques de viandes en quantité,& des rations de fourages. Quoiqu'il foit parmi les Turcs, il a une entiere liberté d'aller où bon lui femble, & il va prefque toujours en des endroits écartez, & fort éloignez de Bender. Ces peuples l'aiment, le reverent l'admirent, & croyent en cela faire plaifir au grand Seigneur Leur maître. H Dès le premier jour que le Kam des Tartares eut vû le Roy de Suede, il en conçut une estime toute particuliere. Ce Kam eft de fa taille un petit homme,qui a beau coup d'efprit, de vivacité, d'inclination & d'ardeur pour la guerre. Il eft campé à quatre lieues de Bender fur une hauteur de l'autre côté de la riviere, & il paroît si attaché aux interefts du Roy de Suede, que pour le mettre bien dans l'ef |