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SUR LA MANIERE

DE LIRE LES POËTES.

gens pour les

EST-IL vrai, mon cher Sedatus, que Goût nateles poiffons & les viandes qui tiennent rel des jeunesle moins de leur efpece refpective (t), ouvrages de foient auffi, comme le veut le Poëte fiction. Philoxene (2), les plus agréables au goût? C'est un problême que nous laiflerons

(1) Mot à mot: S'il eft vrai . . . que celles des viandes qui ne font pas viandes, & ceux des poiffons qui ne font pas poiffons. Ce qui ne peut s'entendre que du goût de ces viandes & de ces poiffons.

:

(2) Le Poëte Philoxene eft connu par fa réponse à Denis le tyran qu'on me remene aux carrieres. On lui attribue auffi ce trait de plaifanterie qu'il fit à la table du même Denis, & que la Fontaine a mis en récit sous ce titre Le rieur & les poiffons, Le mot que Plutarque cite de lui, & plufieurs traits qu'Athenée nous a confervés, prouvent qu'il aimoit la bonne chere, & qu'il s'y connoifloit.

D

L. 5. C. 86.

réfoudre à ceux qui, felon la penfée de
Caton, ont le palais plus fenfible que le
cœur. Un point plus important, & que
nous ne mettrons pas même en question;
c'eft que
dans les matieres philofophiques,
les jeunes-gens adoptent plus volontiers ce
qu'il y a de moins philofophique & de
moins férieux. Ils lifent avec une forte
d'enthoufiafme, non-feulement les fables
d'Efope & les ouvrages remplis de fic-
tions poétiques, tels que l'Abaris d'Hé-
raclide, & le Lycon d'Arifton (1); mais

(1) Diogene Laerce compte jufqu'à quatorze Philofophes de ce nom. Le plus fameux eft Héraclide de Pont, Auteur de plufieurs Ouvrages dont cet Hiftorien donne la lifte. Il n'y comprend pas celui dont il eft ici quefTh. Ling. tion, & qui, felon Henri-Etienne, traitoit Gr. App. v. de l'immortalité de l'ame. Peut-être étoit-il d'un autre Héraclide.

Entre plufieurs Philofophes qui porterent le nom d'Arifton, les plus connus font Ariston de Chio, difciple de Zénon, & Arifton de Diog. Laer. Céos, qui le fut d'Ariftote. On peut, avec L. 7. C. 160, quelque fondement, attribuer au premier l'Oa&c. vrage cité par Plutarque, à en juger par le caractere que Cicéron donne à ce Philofophe, & qui convient affez au goût qu'il avoit pour les fictions poëtiques. « Arifton, dit-il, eft élégant & orné; mais il n'a pas cette dignité qu'on attend d'un grand Philofophe. Ses écrits qui font nombreux, ont de

De fia. bon. & mal,, L. 5,

C. 4.

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encore les écrits des Philofophes fur la nature & les attributs de l'ame, lorfqu'ils font égayés par les ornemens de la fable.

repas.

leurs lectures.

Il ne fuffit donc pas de leur faire ob- Il faut veiller ferver une exacte tempérance dans leurs avec foin fur Il faut auffi veiller fur leurs lectures, les accoutumer à ufer avec modération des affaifonnemens agréables qu'elles leur offrent, & à faire, de ce qu'ils y trouvent d'utile & de folide, le fonds de leur nourriture. Inutilement fermeroit-on les portes d'une ville, fi on en laiffoit une feule ouverte, par où l'ennemi put la furprendre. De même la vigilance la plus exacte fur tous les autres fens ne préfervera pas un jeune homme de la corruption, fi celui de l'ouie livre à l'ennemi l'entrée de fon cœur. Plus cet organe eft voifin du fiege de l'ame & de la raifon, plus il eft dangereux de le laiffer

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l'agrément & de la fineffe: mais ils man"quent de ce poids & de cette autorité qui perfuadent ».

Lycon étoit de la fecte Péripatéticienne. On conjecture qu'Arifton lui avoit dédié un de fes Ouvrages, ou qu'il en étoit un des interlocuteurs, & qu'à caufe de cela, il l'avoit intitulé de fon nom : ufage affez commun chez les anciens, comme les Dialogues de Platon, & les ouvrages Philofophiques de Cicéron en font foi.

corrompre. Il n'eft guere poffible fans doute, ni peut-être avantageux, d'interdire les écrits des Poëtes, à des jeunesgens de l'âge de votre fils & du mien (1). Mais veillons du moins avec attention fur des lectures, qui exigent, encore plus que leurs actions, un guide sûr & éclairé. C'eft ce qui m'engage à vous envoyer cet écrit, que j'ai compofé depuis peu, fur la maniere de lire les Poëtes. Parcourez-le donc, & fi vous trouvez qu'il puiffe avoir pour cet objet la même vertu que ces fimples, ou ces pierres précieufes dont on fe fert contre l'ivreffe (2), faites-le lire à votre fils Cléandre: il fera, pour cet éfprit vif & pénétrant, un préfervatif contre les charmes dangereux de la poéfie.

La tête du Polype a du bon, du mauvais (3), a dit un Poëte. Elle eft en effet

(I) Mot à mot de votre fils Cléandre & du mien Soclarus.

(2) Le grec dit feulement dusurlar. C'étoient ou des fimples ou des pierres précieuses, auxquelles on attribuoit le pouvoir de préferver de l'ivreffe. J'ai joint l'un & l'autre dans la traduction.

(3) Les Polypes marins, dont il s'agit dans ce paffage, font de deux fortes, les grands & les petits. Les plus grands font, entre autres, le Calmar, la Seche, le Lievre marin. Ce font les petits Polypes qui conftruifent les coraux,

très-agréable au goût; mais on lui reproche de caufer un fommeil inquiet &

&c.

les éponges, & d'autres fubftances qu'on pre-
noit autrefois pour des plantes. Les grands Po
lypes étoient fort du goût des anciens. Ils les
mangeoient, après les avoir mortifiés à coups
de baton. La tête étoit ce qu'ils trouvoient de
plus délicat. On peut voir plufieurs détails af
fez curieux fur ces animaux dans Pline l'Hif- L. 9. C. 29,
torien, & dans le Manuel du Naturalifte. Sa
coquille, qui eft fort curieufe, fervoit à l'or-
nement des jeunes filles, qui, lorfqu'elles fe
marioient, la confacroient à Vénus, comme
les autres amusemens de leur enfance. Athe-
née nous a confervé une épigramme de Cal-
limaque, fur une de ces confécrations faite
par Sélena, fille de Clinias, née à Smyrne,
& qui enfuite, s'étant mariée en Egypte,
avoit offert un nautile dans le Temple de
Zéphyrium, bâti en l'honneur d'Arfinoé,
femme de Ptolemée Philadelphe, qu'on y ho-
noroit fous le nom de Vénus. Elle eft fi agréa-
ble, qu'on me pardonnera de l'inférer ici.
J'y joins le texte grec, en faveur des amateurs
de la langue grecque, afin qu'ils ne perdent
rien de la délicatefle & des graces de l'origi-
nal, que je ne me flatte pas d'avoir rendu
dans ma traduction. C'eft le nautile qui parle.

Κόγχος έγω, Ζεφυρίτι, παλαίτερος, άλλα σύ νῦν
Κύπρι, Σεληναίης ἄνθεμα πρῶτον ἔχεις
ναυτιλον· ἐς πελάγεσσιν ἐπέπλεον, εἰ μὲν ἀῆται
τείνας οικείων λαϊφος ἀπὸ προτόνων

Athen. L. 6. p. 318.

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