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l'amande d'un coco, qu'il mâcha, et l'ayant enveloppée d'un morceau d'étoffe rouge, il en frotta le visage, le derrière de la tête, les mains, les bras et les épaules du capitaine. L'ava fut ensuite servie à la ronde ; et lorsque nous en eûmes goûté, Koah et Paria divisèrent la chair du cochon en petits morceaux, qu'ils nous mirent dans la bouche. Je n'avais point de répugnance à souffrir que Paria, qui était très-propre, me donnât à me donnât à manger; mais le capitaine, à qui Koah rendait le même office, se souvenant du cochon pourri, ne put avaler un seul morceau. Le vieillard, voulant redoubler de politesse, essaya de lui donner des morceaux tout mâchés, et l'on imagine bien que le dégoût de notre commandant ne fit. que s'accroître.

« Après cette cérémonie, à laquelle le capitaine mit fin dès qu'il put le faire décemment, nous quittâmes le moraï. Nous ne manquâmes pas de distribuer parmi les insulaires quelques morceaux de fer et d'autres bagatelles dont ils furent enchantés. Les hommes qui portaient des baguettes nous reconduisirent à nos canots, en répétant les phrases et les mots qu'ils avaient débités lors de notre débarquement. Le peuple se retira, et le petit nombre de ceux qui ne s'en allerent pas se prosterna la face contre terre à mesure que nous côtoyâmes le rivage. Nous nous rendîmes sur-le-champ à bord, l'esprit tout occupé de ce que nous avions vu, et extrêmement satisfaits des dispositions amicales des

habitans. Je ne pourrais donner que des conjectures très-incertaines et très-inexactes, sur le but des diverses cérémonies que leur nouveauté et leur singularité m'ont engagé à décrire en détail; il paraît clair toutefois qu'elles annonçaient un grand respect de la part des insulaires, et nous jugeâmes qu'elles étaient bien voisines d'une adoration religieuse envers notre commandant. J'allai à terre le lendemain avec une garde de huit soldats de marine, y compris le caporal et le lieutenant. Le capitaine m'avait ordonné d'établir l'observatoire à l'endroit qui me semblerait le plus commode pour surveiller et protéger ceux de nos gens chargés de remplir les futailles, ainsi que les autres détachemens de travailleurs qu'on enverrait dans l'île. Tandis que j'examinais au milieu de la bourgade un emplacement qui me paraissait convenir à l'usage que nous voulions en faire, Paria, toujours disposé à montrer son pouvoir et sa bonne volonté, proposa d'abattre quelques cabanes qui auraient gêné nos observations. Je ne crus pas devoir accepter son offre, et je choisis un champ de patates voisin du moraï. On nous l'accorda volontiers, et les prêtres, afin d'en écarter les insulaires, le consacrèrent en établissant des baguettes autour de la muraille qui l'enfermait.

« Ils donnent à cette espèce d'interdit religieux le nom de tabou, mot que nous entendîmes répéter souvent durant notre séjour ici. Nous reconnûmes

qu'il a des effets très-puissans et très-étendus. J'en parlerai d'une manière détaillée dans la description générale de ces îles, lorsque je traiterai de la religion des insulaires; il suffit d'observer maintenant que l'opération du tabou nous procura une tranquillité plus grande que nous ne l'aurions pu dé sirer. Les pirogues du pays ne s'avisèrent jamais de débarquer près de nous; les naturels s'assirent sur la muraille, mais aucun d'eux n'osa pénétrer dans l'espace consacré, sans en avoir obtenu notre permission. Les hommes se rendirent à nos prières, et ils consentirent à traverser avec des provisions le terrain sur lequel nous étions établis; mais nous essayâmes vainement de déterminer les femmes à nous approcher. Nous leur offrîmes en vain des présens; Paria et Koali, qui joignirent leurs sollicitations aux nôtres, ne réussirent pas davantage. Elles nous répondirent constamment qu'elles seraient tuées par l'eatoua et par Terriobou (c'est le nom de leur roi). Elles ne craignaient cependant point d'approcher de ceux de nos camarades qui se trouvaient à bord. Une foule d'insulaires, et de femmes en particulier, arrivaient sans cesse aux vaisseaux; on était obligé de les chasser presque à toutes les heures, afin de laisser aux équipages la place nécessaire pour le service. Deux ou trois cents femmes alors se jetaient souvent à la mer toutes à la fois ; elles continuaient à nager et à se jouer au milieu des vagnes, en attendant qu'elles

pussent remonter sur la Résolution ou la Découverte; elles nous procuraient ainsi un spectacle très-amusant.

« Il n'arriva rien d'important à bord depuis le 19 jusqu'au 24, époque à laquelle Paria et Koah nous quittèrent pour se rendre auprès de Terriobou qui venait de débarquer sur une autre partie de l'île. Les calfats travaillèrent aux côtés des vaisseaux : on examina soigneusement et on répara les agrès. Le capitaine s'occupait surtout et constamment de la salaison des cochons que nous voulions embarquer.

« Nous étions établis à l'observatoire depuis peu de temps, lorsque nous découvrîmes dans notre voisinage une société de prêtres, dont le service régulier au moraï avait excité notre curiosité. Leurs cabanes étaient autour d'un étang, environnées d'un bocage de cocotiers qui les séparait de la grève et du reste du village, et qui donnait à ce lieu un air de retraite religieuse. Le capitaine, que j'instruisis de ces détails, résolut d'aller les voir.

« Dès qu'il fut sur la grève, on le conduisit à un édifice sacré, appelé Harre nouoono, ou la maison de l'Orono; on lui dit de s'asseoir à l'entrée, au pied d'une idole de bois, pareille à celles que nous avions vues au moraï. On me chargea de nouveau de soutenir un de ses bras: on l'emmaillota une seconde fois dans une étoffe rouge, et Kairikia, accompagné de douze prêtres, lui présenta un cochon,

en observant le cérémonial accoutumé. On étrangla ensuite le cochon; on alluma du feu, et on jeta l'animal dans des cendres chaudes; lorsqu'on en eut enlevé les soies, on vint le présenter de nouveau à notre commandant, avec les chants, l'appareil et la pompe de la première offrande. On le tint quelques momens sous son nez, on le déposa ensuite à ses pieds, ainsi qu'un coco, et les acteurs de la cérémonie s'assirent. On fit de l'ava, et on distribua cette boisson à la ronde : on apporta alors un cochon gras, bien cuit, et on nous en mit des morceaux dans la bouche, ainsi que les insulaires l'avaient déjà fait à notre premier débarquement.

Depuis cette époque, toutes les fois que le capitaine descendit à terre, il fut accompagné de l'un des prêtres, qui marchait devant lui, qui avertissait qu'Orono avait débarqué, et il ordonnait au peuple de se prosterner la face contre terre. L'un d'eux ne manqua jamais non plus de l'accompagner sur son canot ; il se ten ait à l'arrière, une baguette à la main, et il avertissait de l'approche de notre commandant les insulaires qui se trouvaient dans leurs pirogues les rameurs abandonnaient à l'instant leurs pagaies, et ils se couchaient jusqu'à ce qu'il eût passé. S'il s'arrêtait à l'observatiore, Kaïrikia et ses confrères arrivaient tout de suite avec des cochons, des cocos, du fruit à pain, etc., qu'ils lui offraient en observant le cérémonial ordinaire. Ce fut dans ces occasions que des chefs inférieurs

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