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manière qu'aux îles de la Société : ils se nourrissent aussi de volailles qui sont domestiques comme les nôtres, mais qui ne sont ni abondantes ni fort estimées. Le fruit à pain et les ignames étaient peu communs lors de notre première relâche, et on en faisait cas, ainsi qu'on prise les choses rares. Il n'en fut pas de même à l'époque de notre seconde visite; et il est très-probable que ces végétaux croissant pour l'ordinaire dans l'intérieur du pays, la briéveté de notre séjour dans la baie d'Ouimoa ne donna pas aux naturels le temps de nous en apporter. Ils salent leur poisson, et ils le conservent dans des gourdes, non comme nous l'imaginâmes d'abord, pour se ménager des provisions dans le temps de disette, mais parce qu'ils aiment mieux les alimens salés; car nous reconnûmes que les éris eux-mêmes avaient coutume de saler également des morceaux de cochon, et que c'était pour eux une grande friandise.

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«Leur cuisine est précisément de l'espèce de celle qu'on a déjà décrite en parlant des autres îles du grand Océan ; et quoique le capitaine Cook se plaigne de l'aigreur de leur poudding de tarro, on nous en a servi de si bon à la baie de Karakakoua, que je dois par reconnaissance les justifier sur ce reproche général, et déclarer que je n'en ai jamais mangé de meilleur, même aux îles des Amis. Il faut remarquer cependant qu'ils n'avaient pas encore imaginé l'art de conserver le fruit à pain, et

d'en faire, à l'exemple des habitans des îles de la Société, une pâte aigrelette appelée mahié : ce fut un plaisir pour nous de pouvoir leur apprendre cet utile secret, et de leur témoigner ainsi notre reconnaissance des soins hospitaliers et généreux dont ils nous avaient comblés. Ils sont extrêmement propres dans leurs repas, et nous convînmes tous que leur manière d'apprêter les nourritures animales et végétales, est fort supérieure à la nôtre. Les chefs commencent leurs repas par boire une liqueur tirée de la racine de poivre. Les femmes consentirent bien à manger avec nous du cochon ; mais elles craignirent d'être vues, et nous ne pûmes les déterminer à goûter de la tortue ou des espèces de bananes qui leur sont défendues.

« Il Il y a lieu de croire qu'ils passent leur temps d'une manière très-simple et peu variée. Ils se lèvent avec le soleil, et après avoir joui de la fraîcheur du matin, ils vont se reposer quelques heures. La construction des pirogues et des nattes occupe les éris; les femmes fabriquent les étoffes, et les teouteous sont chargés surtout du soin des plantations et de la pêche. Divers amusemens remplissent leurs heures de loisir. Les jeunes garçons et' les femmes aiment passionnément la danse; et les jours d'apparat, ils ont des combats de lutte et de pugilat, bien inférieurs à ceux des îles des Amis, comme on l'a observé plus haut.

«Leurs danses ressemblent beaucoup plus à

celles des habitans de la Nouvelle-Zélande qu'à celles des Taïtiens ou des naturels des îles des Amis : elles sont précédées d'une chanson, d'un ton lent et grave, à laquelle toute la troupe prend part en remuant les jambes, en se frappant doucement la poitrine avec des mouvemens et des attitudes qui ont beaucoup d'aisance et de grâce; ainsi elles se rapprochent en tous les points de celles des îles de la Société. Lorsque ce prélude a duré dix minutes, l'air et les gestes prennent par degrés un mouvement plus vif qui augmente jusqu'à ce que les acteurs ne puissent plus en soutenir la fatigue : cette partie du spectacle se retrouve en entier à la Nouvelle-Zélande; et dans l'une et dans l'autre île, celui qui s'agite le plus et le plus long-temps est réputé le meilleur danseur. Il faut observer néanmoins que les femmes seules figurent cette danse ; que la danse des hommes est à peu près celle des petits groupes d'acteurs que nous vêmes aux îles des Amis, et qu'on l'appellerait peut-être d'une manière plus convenable un accompagnement de la musique formé de mouvemens gracieux du corps, qui s'accordent avec les notes; mais comme nous fùmes spectateurs de plusieurs combats à coups de poings, pareils à ceux qu'on exécute aux îles des Amis, il est probable qu'ils ont aussi leurs grandes danses, exécutées par un par un grand nombre de personnes des

deux sexes.

« Leur musique instrumentale est aussi plus

grossière, car, si j'en excepte des tambours de diverses grandeurs, ils n'ont ni flûtes ni chalumeaux, ni instrumens d'aucune espèce. Mais les airs qu'ils chantent en parties (1), et qu'ils accompagnent d'un

(1) Comme des personnes très-versées dans la musique doutent beaucoup que les naturels des îles Sandwich chantent en parties, et que ce fait serait très-curieux si on le démontrait clairement, je regrette de ne pouvoir en donner des preuves positives.

Le capitaine Burney, et M. Philips, aujourd'hui capitaine des troupes de la marine, qui l'un et l'autre savent assez bien la musique, croient que ces insulaires chantaient en parties, c'est-à-dire que plusieurs d'entre eux chantaient ensemble sur différens tons, qui formaient une harmonie agréable.

Selon le rapport de ces messieurs, les naturels des îles des Amis étudiaient leur rôle avant de le jouer en public; et ils savaient que les tons différens sont utiles à l'harmonie : ils répétaient leurs compositions en particulier, et ils rejetaient les mauvaises voix avant de se donner en spectacle à ceux qu'ils supposaient juges de leurs talens en musique.

Dans leurs concerts réguliers, chaque homme avait un bambou dont il frappait la terre ces bambous étaient de différentes longueurs, et rendaient des tons différens : chacun des acteurs, aidé par le son de cet instrument, répétait le ton de son bambou en y adaptant des paroles, et en le faisant à son gré bref ou long; de cette manière ils chantaient en choeur, non-seulement à l'octave l'un de l'autre, selon la nature de leurs voix, mais en formant des accords qui ne déplaisaient point à l'oreille.

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Il ne sera pas aisé de répondre à ces faits par des raisonnemens: d'un autre côté, il n'est pas vraisemblable qu'un peuple grossier soit arrivé par hasard à un degré de perfection

XXIV.

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mouvement doux des bras, de la même manière que les naturels des îles des Amis, sont d'un effet agréable.

« Les naturels de ces îles jouent beaucoup. Ils ont un jeu qui ressemble singulièrement à notre jeu de dames; mais si l'on peut en juger d'après le nombre de cases, il est bien plus compliqué. Le damier a environ deux pieds de longueur; et il est divisé en deux cent trente-huit cases disposées

dans la musique, auquel nous croyons qu'on ne peut parvenir qu'à force d'étude, et lorsqu'on connait le système et la théorie sur lesquels une composition musicale est fondée. Ce misérable jargon de nos psalmodistes de campagne, qu'on peut regarder avec raison comme le premier degré du contrepoint, ou de l'art de chanter en plusieurs parties, ne peut lui-même, malgré la mauvaise exécution qu'on remarque dans nos églises, s'acquérir qu'après beaucoup de temps et d'usage. On a donc peine à croire qu'une tribu à demi barbare soit arrivée naturellement à des combinaisons dont on n'est pas sûr que les Grecs et les Romains, avec tous les raffinemens en musique, et les Chinois, le peuple de la terre le plus anciennement civilisé, aient fait la découverte.

Si le capitaine Burney, fils de l'homme qui peut-être de ce siècle sait le mieux la théorie de la musique, avait noté les accords que chantent les naturels des îles Sandwich, et si les oreilles des Européens avaient pu supporter ces accords, ilne resterait plus aucun doute sur ce fait; mais dans l'état où en sont les choses, je pense qu'il y aurait de la précipitation à assurer qu'ils connaissent ou ne connaissent pas le contre-point; et j'ai bien peur que la question ne demeurc indécise.

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