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nous demandèrent souvent la permission de présenter une offrande à l'Orono : lorsque nous le leur permettions, ils offraient un cochon d'un air qui annonçait la timidité et la frayeur: sur ces entrefaites, Kaïrikia et les prêtres chantaient leurs hymnes.

Les politesses de cette société de prêtres ne se bornèrent pas cependant à de pures cérémonies et à de vaines parades; ils donnèrent chaque jour des cochons et des végétaux à ceux d'entre nous qui se trouvaient à terre, et ils envoyaient avec la même exactitude diverses pirogues chargées de provisions. Ils ne demandèrent jamais rien en retour, et jamais ils n'insinuèrent d'une façon indirecte qu'ils désiraient quelques présens de notre part. La régularité des leurs annonçait plutôt l'accomplissement d'un devoir religieux que la simple libéralité; et lorsque nous voulûmes savoir quel était l'individu ou le corps qui nous traitait avec tant de magnificence, on nous répondit qu'un grand personnage, appelé Kaou, chef des prêtres, et aïeul de Kaïrikia, qui voyageait avec le roi, faisait tous ces frais.

<< L'affreux malheur qui nous arriva dans cette fle, devant inspirer beaucoup d'intérêt au lecteur sur tout ce qui est relatif au caractère et à la conduite de ce peuple, il est à propos de dire que nous n'avions pas lieu d'être aussi contens des chefs guerriers ou des éris, que des prêtres. Dans toutes

les occasions, nous reconnûmes que les premiers s'occupaient de leurs propres intérêts, et outre les vols habituels qu'ils se permettaient, et qu'on peut excuser en quelque sorte, vu l'universalité de ce défaut parmi les insulaires du grand Océan, nous les trouvâmes coupables de quelques artifices aussi déshonorans. Je ne citerai qu'un délit, dont notre ami Koah était le principal complice. Comme les chefs qui nous apportaient des présens de cochons, s'en retournaient toujours avec une récompense honnête, nous en recevions pour l'ordinaire une quantité plus considérable que celle que nous pouvions consommer. Koah, qui alors ne manquait jamais d'arriver près de nous, avait coutume de demander des choses dont nous n'avions pas besoin, et il était sûr de les obtenir. Un homme qu'il nous présenta comme un chef qui voulait nous rendre ses devoirs, nous offrit un jour un petit cochon; nous reconnûmes que ce cochon avait été donné à Koah un moment auparavant. Cette observation nous donnait lieu de soupçonner du manége; nous sûmes, après quelques recherches, que ce prétendu chef était un homme du peuple, et ce fait, rapproché de plusieurs autres pareils, nous donna lieu de penser que nous avions déjà été trompés de la même manière.

« Nos affaires demeurèrent jusqu'au 24 dans la même position: nous fûmes très surpris, ce jourlà, de voir qu'on ne permettait à aucune embar

cation de partir de la côte, et que les naturels se tenaient près de leurs cabanes. Après quelques heures d'attente nous apprîmes que l'arrivée de Terriobou avait fait tabouer la baie, et défendre toute espèce de communication avec nous. Nous n'avions pas prévu les incidens de cette espèce, et les équipages de la Résolution et de la Découverte n'eurent pas ce jour-là les végétaux qu'on leur servait ordinairement. Nos gens employèrent le lendemain les menaces et les promesses afin de déterminer les naturels à venir le long des vaisseaux : quelques-uns eurent enfin la hardiesse de se mettre en route; mais nous aperçûmes un chef qui s'y opposa. Ne voulant pas qu'il exécutât son projet, nous tirâmes tout de suite un coup de fusil qui produisit l'effet que nous en espérions, et bientôt après nous pûmes acheter des rafraîchissemens. Nous reçûmes l'après-midi la visite de Terriobou; il n'avait avec lui qu'une pirogue dans laquelle se trouvait sa femme et ses enfans. Il demeura à bord jusqu'à près de dix heures, et il retourna au village de

Kaouroua.

« Le 26, à midi, le roi s'embarqua sur une grande pirogue, et étant parti du village avec deux autres de sa suite, il prit en pompe la route des vaisseaux. Son cortége avait de la grandeur et une sorte de magnificence. La première embarcation était montée par Terriobou et ses chefs, revêtus de leurs casques et de leurs riches manteaux de

XXIV.

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qu'il a des effets très-puissans et très-étendus. J'en parlerai d'une manière détaillée dans la description générale de ces îles, lorsque je traiterai de la religion des insulaires; il suffit d'observer maintenant que l'opération du tabou nous procura une tranquillité plus grande que nous ne l'aurions pu désirer. Les pirogues du pays ne s'avisèrent jamais de débarquer près de nous; les naturels s'assirent sur la muraille, mais aucun d'eux n'osa pénétrer dans l'espace consacré, sans en avoir obtenu notre permission. Les hommes se rendirent à nos prières, et ils consentirent à traverser avec des provisions le terrain sur lequel nous étions établis; mais nous essayâmes vainement de déterminer les femmes à nous approcher. Nous leur offrîmes en vain des présens; Paria et Koali, qui joignirent leurs sollicitations aux nôtres, ne réussirent pas davantage. Elles nous répondirent constamment qu'elles seraient tuées par l'eatoua et par Terriobou (c'est le nom de leur roi). Elles ne craignaient cependant point d'approcher de ceux de nos camarades qui se trouvaient à bord. Une foule d'insulaires, et de femmes en particulier, arrivaient sans cesse aux vaisseaux ; on était obligé de les chasser presque à toutes les heures, afin de laisser aux équipages la place nécessaire pour le service. Deux ou trois cents femmes alors se jetaient souvent à la mer toutes à la fois; elles continuaient à nager et à se jouer au milieu des vagues, en attendant qu'elles

pussent remonter sur la Résolution ou la Découverte; elles nous procuraient ainsi un spectacle très-amusant.

<< Il n'arriva rien d'important à bord depuis le 19 jusqu'au 24, époque à laquelle Paria et Koah nous quittèrent pour se rendre auprès de Terriobou qui venait de débarquer sur une autre partie de l'île. Les calfats travaillèrent aux côtés des vaisseaux : on examina soigneusement et on répara les agrès. Le capitaine s'occupait surtout et constamment de la salaison des cochons que nous voulions embarquer.

« Nous étions établis à l'observatoire depuis peu de temps, lorsque nous découvrîmes dans notre voisinage une société de prêtres, dont le service régulier au moraï avait excité notre curiosité. Leurs cabanes étaient autour d'un étang, environnées d'un bocage de cocotiers qui les séparait de la grève et du reste du village, et qui donnait à ce lieu un air de retraite religieuse. Le capitaine, que j'instruisis de ces détails, résolut d'aller les voir.

« Dès qu'il fut sur la grève, on le conduisit à un édifice sacré, appelé Harre nouoono, ou la maison de l'Orono; on lui dit de s'asseoir à l'entrée, au pied d'une idole de bois, pareille à celles que nous avions vues au moraï. On me chargea de nouveau de soutenir un de ses bras: on l'emmaillota une seconde fois dans une étoffe roage, et Kaïrikia, accompagné de douze prêtres, lui présenta un cochon,

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