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fit dire qu'il voulait absolument attendre: alors nous ne perdîmes plus de temps à notre toilette, et nous nous hâtâmes de le joindre à l'entrée de la ville. Il me sembla que je faisais la révérence avec bien de la maladresse, et j'observai que mes camarades étaient aussi gauches que moi, ayant renoncé à cette habitude depuis deux ans et demi. Le gouverneur nous accueillit de la manière la plus aimable et la plus affectueuse; mais nous fûnes affligés de voir qu'il avait oublié presque entièrement la langue française, et M. Webber, qui parlait l'allemand, sa langue naturelle, eut seul le plaisir de converser avec lui.

« Le major Behm était accompagné du capitaine Schmaleff, son lieutenant, d'un autre officier, et de tout le corps des marchands de la place. Il nous mena chez lui, où sa femme nous reçut avec une extrême politesse; nous y trouvâmes du thé et d'autres rafraîchissemens qu'on nous avait préparés. Après les premiers complimens, nous priâmes M. Webber d'instruire le major de l'objet de notre voyage, de l'avertir que nous avions besoin de munitions navales, de farine, de provisions fraîches, et d'autres choses pour les équipages des deux vaisseaux; de lui dire ensuite que, vu l'état du pays aux environs de la baie d'Avatcha, nous ne nous attendions pas à en tirer beaucoup de secours ; que l'impossibilité de transporter par terre des vivres ou des munitions très-pesantes d'un côté de la pé

ninsule à l'autre, à cette époque de l'année, était malheureusement trop manifeste, d'après les obstacles que nous avions rencontrés en venant à Bolcheretsk; et qu'avant que les chemins devinssent praticables, nous serions obligés de remettre en mer. Le gouverneur, interrompant ici M. Webber, représenta que nous ne savions pas encore ce qu'il pouvait faire pour nous; qu'il désirait seulement connaître les choses dont nous avions besoin, et le temps que nous lui laisserions pour les trouver, et que les difficultés ne l'arrêteraient pas. Lorsque nous lui eûmes témoigné notre vive reconnaissance, nous lui donnâmes l'état des munitions navales des bêtes à cornes, et de la quantité de farine que nous désirions; et nous l'avertîmes que nous nous proposions d'appareiller le 5 juin.

<< La conversation se tourna ensuite sur d'autres objets; et l'on imagine bien que nous essayâmes surtout de savoir quelque chose de ce qui se passait dans notre patrie. Nous courions les mers depuis trois ans ; nous avions compté que le major Behm nous apprendrait des nouvelles intéressantes, il m'est impossible de dire combien nous regrettâmes que ses informations ne fussent pas d'une date plus récente que celle de notre départ d'Angleterre.

« Le gouverneur, jugeant que nous devions. être fatigués, et que nous désirions de prendre un peu de repos, voulut, sur les sept heures du soir,

« prendre qu'à l'extrémité du globe ses états ont « été de quelque utilité à des vaisseaux occupés « d'une expédition aussi importante que la vôtre. « La générosité reconnue de l'impératrice de Russie « ne me permet pas d'accepter vos billets; mais, « pour vous satisfaire, je consens que vous me lais<< siez un certificat des choses que nous pouvons vous « fournir, et j'enverrai ce certificat à Saint-Péters« bourg, comme une preuve que j'ai rempli mon « devoir. Je laisserai aux deux cours, continua-t-il, << le soin de se témoigner leur reconnaissance, mais « je n'accepterai rien de plus. >>

Lorsque cet arrangement préliminaire fut terminé, le major Behm nous demanda la note détaillée des objets dont nous avions besoin ; il nous dit qu'il croirait avoir à se plaindre de nous si nous achetions quelque chose des négocians, ou si nous nous adressions à d'autres qu'à lui.

« Nous ne pouvions guère montrer que par notre admiration et nos remercîmens combien nous étions sensibles à tant de générosité. Heureusement le capitaine Clerke m'avait remis un exemplaire des planches et des cartes du second voyage du capitaine Cook, en me priant de l'offrir en son nom au gouverneur. Le major Behm, qui faisait beaucoup de cas de tout ce qui avait rapport aux découvertes géographiques et nautiques, reçut ce mince présent avec une si grande satisfaction, que je jugeai que nous n'aurions pu lui rien présenter de plus agréable.

Le capitaine Clerke m'avait laissé aussi le maître de lui faire voir une carte de nos découvertes, et, persuadé qu'un homme de son caractère et dans sa position serait enchanté de ces détails ( quoique par délicatesse il ne nous eût adressé qu'un petit nombre de questions générales sur ce sujet ), je lui donnai sans scrupule une marque d'amitié dont toute sa conduite le rendait bien digne.

« J'eus le plaisir de le trouver aussi sensible à ce témoignage de confiance que je l'avais espéré; il fut très-frappé de voir d'un coup d'œil la position et l'étendue des côtes de l'Asie et de l'Amérique, dont ses compatriotes n'avaient pu, après tant de voyages, acquérir qu'une connaissance partielle et imparfaite.

Excepté cette marque de confiance et l'exemplaire des cartes et des planches dont je parlais tout à l'heure, notre position ne nous permettait pas de rien offrir au major Behm. Ce qui mérite à peine d'être raconté, je déterminai son fils, trèsjeune encore, à accepter une montre d'argent que j'avais par hasard sur moi; et je fis un grand plaisir à sa petite fille en lui donnant deux paires de pen. dans d'oreilles. Outre ces bagatelles, je laissai au capitaine Schmaleff le thermomètre dont je m'étais servi depuis mon départ des vaisseaux; il me promit d'observer exactement la température de l'air pendant une année, et de transmettre ses obser vations à M. Muller.

XXIV.

14

« Nous dinâmes chez le gouverneur, qui, empressé de satisfaire notre curiosité, nous fit servir un grand nombre de plats apprêtés à la manière anglaise, et beaucoup d'autres apprêtés à la manière des Russes et des Kamtchadales. L'aprèsmidi, nous parcourûmes la ville et les environs. Le gouverneur actuel a fait creuser un canal pour isoler du continent la presqu'île sur laquelle Bolcheresk est bâtie. Ce canal n'a pas seulement ajouté à la force de la place, il l'a rendue moins sujette aux inondations qu'elle ne l'était auparavant. J'aperçus vingt ou trente vaches autour de la ville. M. Behm avait six chevaux très-forts. Les chevaux, les vaches et les chiens sont les seuls animaux domestiques. Les habitans de Kamtchatka, obligés d'entretenir un grand nombre de chiens, ne peuvent nourrir que le bétail assez gros et assez robuste pour résister aux attaques de ces animaux, car durant l'été on lâche ces chiens, et on leur abandonne le soin de leur subsistance; ce qui les rend si avides, qu'ils attaquent quelquefois les taureaux eux-mêmes.

« Les maisons de Bolcheretsk sont toutes de la même forme; elles sont bâties en bois et couvertes de chaume; celle du gouverneur est beaucoup plus grande que les autres : elle est composée de trois pièces vastes, tapissées d'un papier élégant, et elle pourrait passer pour jolie, si le mica qui remplace les carreaux des fenêtres ne lui donnait pas un aspect pauvre et désagréable. La ville offre plu

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