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pieds cinq ou six manteaux très - jolis et d'une grande valeur. Les gens de son cortége apportèrent. alors quatre gros cochons, des cannes à sucre, des cocos et du fruit à pain. Le roi termina cette partie de la cérémonie en changeant de nom avec le capitaine; ce qui, parmi tous les insulaires du grand Océan, est réputé le témoignage d'amitié le plus fort que l'on puisse donner. Une procession de prêtres, menée par un vieillard d'une physionomie vénérable, parut alors; elle était suivie d'une longue file d'hommes qui amenaient de gros cochons en vie, et d'autres qui portaient des bananes, des patates, etc. Je jugeai, d'après les coups d'œil et les gestes de Kaïrikia, que le vieillard était le supérieur de la communauté de prêtres que j'ai indiquée plus haut, dont la générosité avait fourni si long-temps à notre subsistance. Il tenait dans ses mains une pièce d'étoffe rouge avec laquelle il emmaillota les épaules du capitaine, auquel il offrit un petit cochon, selon le cérémonial accoutumé. On lui fit une place à côté du prince : Kaïrikia et ses confrères commencèrent leurs discours ou leurs prières, et Kaou et les chefs leur répondirent par intervalles.

« Je fus surpris en reconnaissant le roi pour un vieillard infirme et maigre, qui était venu à bord de la Résolution quand nous étions à louvoyer devant la côte nord-est de l'île de Mooui. Nous découvrîmes bientôt parmi les hommes de sa suite la plupart des

insulaires qui alors avaient passé une nuit entière sur notre bord; entre autres, deux fils cadets du monarque, dont le plus âgé avait seize ans, ct Mêhameha, son neveu, que nous eûmes d'abord un peu de peine à reconnaître, parce qu'il avait les cheveux chargés d'une pâte et d'une poudre brune, qui achevait de défigurer sa physionomie, la plus sauvage que j'aie jamais rencontrée.

« Dès que le cérémonial de l'entrevue fut terminé, le capitaine conduisit à bord de la Résolution Terriobou, et autant de chefs que la pinasse put en contenir. Ils y furent reçus avec toutes les marques de respect qu'on put leur donner, et notre commandant, en retour du manteau de plumes, revêtit le roi d'une chemise, et l'arma de sa propre épée. Kaou et six autres vieux chefs restèrent à terre, et se logèrent dans les maisons des prêtres. Durant tout cet intervalle, nous n'aperçûmes pas une pirogue dans la baie, et les naturels se tinrent dans leurs cabanes, ou la face prosternée contre terre. Avant que le roi quittât la Résolution, le capitaine obtint pour les insulaires la permission. de venir aux vaisseaux, et d'y faire des échanges; mais les femmes, par des raisons que nous ne pûmes découvrir, demeurèrent soumises au Tabou, c'est-à-dire qu'il leur fut toujours défendu de sortir de leurs habitations et d'avoir aucune communication avec nous.

La tranquillité et l'hospitalité généreuse des

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il

naturels ayant dissipé toutes nos craintes, nous n'hésitâmes pas à nous mêler au milieu d'eux, et nous les fréquentâmes sans inquiétude à tout moment et dans toutes les occasions. Les officiers des deux vaisseaux parcoururent chaque jour l'intérieur du pays en petites troupes, et même seuls, et ils y passèrent souvent des nuits entières. Je ne finirais pas si je voulais raconter les marques sans nombre d'amitié et de politesse que nous recevions alors des insulaires : partout où nous allions, le peuple se rassemblait en foule autour de nous; s'empressait à nous offrir les divers secours qui dépendaient de lui, et était très-satisfait si nous acceptions ses services. On mettait en usage plusieurs petites ruses pour attirer notre attention et différer notre départ. Quand nous traversions les villages, les jeunes garçons et les jeunes filles couraient devant nous; ils s'arrêtaient à chacun des endroits où il y avait assez de place pour former un groupe de danseurs : tantôt ils nous invitaient à nous reposer dans leurs cabanes, à y boire du lait de coco, ou à y prendre quelque autre rafraîchissement; tantôt ils nous plaçaient au milieu d'un cercle de jeunes femmes qui déployaient leurs talens et leur agilité, afin de nous divertir par leurs chansons et leurs danses.

« Le plaisir que nous causaient leur hospitalité et leur douceur fut néanmoins fréquemment troublé par leur disposition au vol, vice commun chez

tous les autres peuples de ces mers. Cet inconvénient nous chagrina d'autant plus, qu'il nous obligea quelquefois à les traiter durement, ce que nous aurions évité bien volontiers, si la nécessité ne nous en eût imposé la loi. Nous découvrîmes un jour quelques uns de leurs nageurs les plus habiles qui arrachaient les clous du doublage; ils exécutaient cette opération d'une manière très-adroite, à l'aide d'un bâton court, garni d'un caillou à l'une de ses extrémités. Comme ils mettaient nos bâtimens en danger, nous tirâmes d'abord à petit plomb sur les coupables; mais en plongeant par-dessous la cale, ils se placèrent bientôt hors de la portée de nos coups, et nous nous vîmes contraints d'en fouetter un à bord de la Découverte.

« A peu près à la même époque, un parti nombreux d'officiers des deux vaisseaux fit une course dans l'intérieur du pays pour en examiner les productions. Cette petite excursion, je le dis avec plaisir, offrit à Kaou une nouvelle occasion de montrer sa bienveillance et sa générosité envers nous; car, dès qu'il fut instruit de leur départ, il leur envoya une quantité considérable de vivres; il enjoignit aux habitans des cantons. par où ils devaient passer, de leur donner tous les secours qui dépendraient d'eux ; et ce qui achève de prouver la délicatesse et le désintéressement de sa conduite, on ne put faire accepter le plus léger présent aux hommes qu'il envoya. Nos voyageurs

revinrent après six jours d'absence; ayant manqué de guide, et le pays n'offrant pas de chemins tracés, ils n'avaient pas pénétré au-delà de vingt milles.

« La tête du gouvernail de la Résolution se trouvant très-ébranlée, et la plupart des éguillots étant relâchés ou brisés, on le détacha et on l'enyoya à terre le 27 au matin; en même temps les charpentiers pénétrèrent dans l'intérieur de l'île sous la conduite de quelques-uns des gens de Kaou, afin d'y couper le bois dont nous avions besoin.

« Le capitaine Clerke, que sa mauvaise santé retenait presque toujours à bord, alla le 28 faire sa première visite à Terriobou: il le trouva dans sa cabane, et il fut reçu de la même manière et avec les mêmes cérémonies que le capitaine Cook l'avait été; lorsqu'il reprit le chemin de la Découverte, quoique la visite eût été bien inattendue, il reçut trente gros cochons et autant de fruits et de racines que son équipage pouvait en consommer dans une semaine.

« Jusqu'ici nous n'avions vu aucun de leurs divertissemens ou de leurs exercices gymnastiques; à la demande de quelques-uns de nos officiers, ils nous donnèrent le soir le spectacle d'un combat à coups de poing. Ces jeux furent, pour l'appareil et la magnificence, ainsi que pour l'adresse et la force des athlètes, inférieurs à ceux dont nous avions été témoins aux îles des Amis; mais comme ils en

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