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diffèrent à quelques égards, je le décrirai en peu de mots. Nous trouvâmes un immense concours de peuple assemblé sur une plaine à peu de distance de notre petit camp. Le milieu de cette foule offrait un long espace vide, à l'extrémité supérieure duquel étaient assis les juges; au-dessous de trois étendards, d'où pendaient des bandes d'étoffe de diverses couleurs, des peaux de deux oies sauvages, de petits oiseaux et des panaches de plumes. Lorsque tout fut prêt, les juges donnèrent le signal, et au même instánt deux champions parurent dans l'arène. Ils s'avancèrent d'un pas lent; ils élevaient à une grande hauteur leur pied de derrière, et passaient leurs deux mains sur la plante de ce pied. A mesure qu'ils approchaient, ils se regardaient souvent de la tête aux pieds d'un air de dédain; ils jetaient des œillades de mépris sur les spectateurs; ils tendaient leurs muscles, et ils faisaient un grand nombre de gestes affectés. Quand ils furent à la portée l'un de l'autre, ils tinrent leurs deux bras sur une ligne parallèle devant leur viendroit où devaient se porter tous les coups. sage, Ils se frappèrent par un développement complet du bras, et d'une manière qui nous parut maladroite; ils n'essayaient point de parer, mais ils éludaient l'attaque de leur adversaire en inclinant le corps ou en se retirant. Le combat se décidait promptement; car si l'un d'eux était renversé, ou si un accident quelconque le faisait tomber, il pas

sait pour vaincu; et le vainqueur annonçait son triomphe par une multitude de gestes qui ordinairement excitaient de grands éclats de rire parmi les spectateurs. Il attendait ensuite un second antagoniste; s'il triomphait de nouveau, il en attendait un troisième, jusqu'à ce qu'il fût battu à son tour. On observe dans ces combats une règle singulière ; tandis que les deux athlètes se préparent, un troisième peut s'avancer sur l'arène et défier l'un d'eux: celui qu'on ne défie pas est obligé de se retirer. Trois ou quatre champions se suivaient ainsi quelquefois avant qu'il y eût des coups de donnés. Si le combat durait plus long-temps qu'à l'ordinaire, ou si on le jugeait trop inégal, l'un des chefs venait le terminer en mettant un bâton entre les deux athlètes. Nous y remarquâmes d'ailleurs la gaîté et la bonne humeur que nous avions admirées parmi les naturels des îles des Amis. Nous avions demandé ces jeux, et tous les insulaires croyaient que nous entrerions dans la lice; mais ils pressèrent en vain nos gens, qui, se souvenant trop bien des coups qu'ils avaient reçus aux îles des Amis, n'écoutèrent point les défis qu'on leur adressa.

« Guillaume Watman, l'un des aides du canonnier, mourut le 28 : j'entrerai dans quelques détails sur cet événement, parce que jusqu'alors ils avaient été très-rares. Il était vieux, et singulièrement attaché à notre commandant. Après avoir été vingtun ans soldat de marine, il s'embarqua en 1772

sur la Résolution, en qualité de matelot, et il fit le voyage au pôle austral. Lorsqu'il fut de retour, le capitaine l'installa à l'hôpital de Greenwich le même jour, où il y fut admis lui-même; mais quand il vit le capitaine Cook chargé de la conduite d'un troisième voyage autour du monde, décidé à suivre la fortune de son bienfaiteur, il quitta. l'asile qu'on lui avait accordé. Il avait été sujet à de petits accès de fièvre depuis notre départ de l'Angleterre, et il était convalescent lorsque nous. atteignîmes la baie de Karakakoua: on l'envoya à terre; quand il y eut passé quelques jours, il se crut parfaitement guéri, et demanda à revenir à bord : mais le lendemain de son retour, il ent une attaque de paralysie qui l'emporta en quarantehuit heures.

.« On l'enterra au moraï, selon les désirs du roi de l'île, et la cérémonie se fit avec tout l'appareil que comportait notre situation. Kaou et les autres prêtres y assistèrent; ils gardèrent un silence profond, et ils montrèrent une attention extrême pendant qu'on lut l'office des morts. Du moment où nous commençâmes à remplir la fosse, ils en approchèrent d'une manière très-respectueuse; ils y jetèrent un cochon mort, des cocos et des bananes. Durant les trois nuits qui suivirent les funérailles, ils vinrent y sacrifier des cochons, et y chanter des hymnes et des prières qui duraient jusqu'au point du jour.

« Nous clouâmes sur un poteau dressé à la tête

de la fosse une planche sur laquelle on inscrivit le nom du défunt, son âge et le jour de sa mort. Les insulaires nous promirent de ne pas l'enlever, et nous fumes persuadés qu'elle resterait en place aussi long-temps que le permettrait la matière fragile dont elle est composée.

<< Nos vaisseaux ayant un grand besoin de bois à brûler, le capitaine me chargea, le 2 février, de négocier avec les prêtres l'achat de la balustrade qui environnait le sommet du moraï. Je dois avouer que j'eus d'abord quelque doute sur la bienséance de cette proposition; je craignais qu'un seul mot sur cette matière ne fût regardé comme un trait d'impiété révoltante je me trompais néanmoins. Ma demande ne leur causa pas la plus légère surprise; ils y souscrivirent très-volontiers, et il ne fut pas question de ce que je leur donnerais en retour. Tandis que les matelots enlevaient la balustrade, je remarquai que l'un d'eux emportait une figure sculptée ; et cette observation ayant produit des recherches de ma part, je reconnus qu'ils avaient conduit aux canots le demi-cercle entier. Quoique ceci se fût passé sous les yeux des insulaires, qui, loin de témoigner du ressentiment, avaient aidé nos gens dans ce transport, je crus devoir en parler à Kaou : il me parut très-indifférent, et me pria seulement de lui rendre la figure du centre : je la lui remis, et il l'emporta dans une des cabanes des prêtres.

<< Terriobou et les chefs de sa suite nous faisaient, depuis quelques jours, beaucoup de questions sur l'époque de notre départ. Cette circonstance m'avait inspiré une vive curiosité de connaître l'opinion que les habitans de l'île s'étaient formée de nous, et ce qu'ils pensaient des motifs et du but de notre voyage; mais je ne découvris rien, sinon qu'ils nous supposaient originaires d'un pays où les subsistances avaient manqué, et que nous étions venus les voir uniquement pour remplir nos ventres. La maigreur de quelques personnes de l'équi page, l'appétit avec lequel nous mangions leurs provisions fraîches, les soins extrêmes que nous prenions pour en acheter et en embarquer une quantité considérable devaient en effet leur inspirer ces idées. Ils remarquèrent d'ailleurs, avec étonnement, que nous n'avions point de femmes à bord: que notre conduite était paisible, et que nous n'étions pas bruyans comme les guerriers; ils trouvèrent dans ces remarques de nouvelles preuves de la justesse de leur opinion. Il était assez plaisant de les voir toucher les flancs et tapoter les ventres des matelots (qui prirent réellement de l'embonpoint durant notre courte relâche sur cette île), et les avertir par signes ou verbalement qu'il était temps de nous en aller; mais que, si nous voulions revenir à la saison prochaine du fruit à pain, ils seraient plus en état de pourvoir à nos besoins. Nous étions depuis seize jours dans la baie; et si

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