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mais il revint bientôt avec un état de marchandises du pays, qu'il voulait me fournir en échange : on m'avertit que ces marchandises auraient une valeur double de la somme qu'il m'avait offerte, s'il me les livrait loyalement. S'apercevant que je ne terminerais pas l'affaire de cette manière, il me représenta que nous disputions pour deux cents piastres, et qu'il m'en donnerait cent de plus. J'é-tais fatigué de la négociation, et je reçus les huit cents piastres.

« Je me portais assez mal; je ne murmurai donc pas beaucoup contre la police des Chinois, qui resserre dans des bornes très-étroites la curiosité des Européens établis à Canton. Si ma santé eût été meilleure, il m'eût paru bien dur de me trouver sous les murs d'une si grande ville, remplie d'autant d'objets nouveaux pour moi, et de ne pouvoir y entrer. La description que le P. Lecomte et le P. Duhalde ont faite de Canton est entre les mains de tout le monde. M. Sonnerat vient d'accuser ces auteurs d'une exagération ridicule, et le public. verra peut-être avec plaisir les détails suivans, que des Anglais de notre loge, qui ont fait une longue résidence à Canton, ont eu la bonté de me donner.

<< Canton, en y comprenant l'ancienne et la nouvelle ville avec les faubourgs, a environ dix milles de tour. Quant à sa population, si l'on en peut juger d'après le nombre d'habitans de ses faubourgs, je la croirai bien au-dessous de celle d'une ville

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d'Europe de la même grandeur. Lecomte l'évalue à quinze cent mille âmes, et Duhalde à un million: M. Sonnerat assure qu'il a vérifié qu'elle n'est pas de plus de soixante-quinze mille (1). Mais cet écrivain ne nous ayant pas fait part de son calcul, et montrant d'ailleurs contre les Chinois toute la prévention que montrent les deux jésuites en fayeur de ce peuple, on peut révoquer en doute son opinion. Ce que je vais dire conduira peut-être le lecteur à une évaluation assez exacte de la population de cette ville de la Chine.

« Il est sûr qu'une maison chinoise occupe plus d'espace qu'une maison ordinaire d'Europe'; mais la population de quatre ou cinq à un, qu'indique M. Sonnerat, est certainement exagérée. Il faut ajouter que dans les faubourgs de Canton beaucoup de maisons ne sont que les magasins des négocians et des marchands, dont la famille demeure dans l'intérieur de la ville. D'un autre côté, une famille chinoise paraît en général composée de plus de monde qu'une famille européenne. Un mandarin a, selon son rang et sa fortune, de cinq à vingt femmes ; un négociant en a de trois à cinq ́: un de ceux de Canton en avait vingt-cinq, et trente-six

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(1) « J'ai vérifié moi-même, avec plusieurs Chinois, la population de Canton, de la ville des Tartares et de celle « de Bateaux, etc. » Voyage aux Indes, par M. Sonnerat, tome II, page 14.

enfans; mais on me le cita comme un exemple extraordinaire: un riche marchand en a pour l'ordinaire deux, et il est rare que les hommes des dernières classes en aient plus d'une. Le nombre des domestiques est au moins double de celui que soudoient en Europe les personnes de la même condition. Si donc nous supposons une famille chinoise plus considérable d'un tiers, et une maison d'Europe moins étendue de deux tiers, une ville de la Chine n'aura que la moitié des habitans d'une ville d'Europe de la même grandeur. D'après ces données, il est vraisemblable que la ville et les faubourgs de Canton contiennent environ cent cinquante mille âmes.

« J'ai trouvé diverses opinions sur le nombre des sampans habités ; mais ceux qui en comptaient le moins en supposaient quarante mille. Ils sont amar rés en ligne les uns près des autres, et offrent un passage étroit aux embarcations qui veulent remonter ou descendre le fleuve. Le Tigre, à Canton, est un peu plus large que la Tamise à Londres ; et comme il est couvert de sampans dans l'espace de plus d'un mille, cette évaluation ne me paraît point du tout exagérée; si on la suppose exacte, le nombre des individus établis dans les sampans seuls, qui contiennent chacun une famille, doit être triple de celui que suppose M. Sonnerat dans toute la ville.

« On compte cinquante mille soldats dans la

province dont Canton est la capitale. On dit que l'intérieur et les environs de la ville en contiennent vingt mille, et on m'en donna pour preuve, qu'à l'occasion de quelques troubles arrivés à Canton, trente mille hommes prirent les armes dans l'espace de quelques heures.

<< Les rues sont longues et la plupart étroites et irrégulières; mais de larges pierres en forment le pavé, et en général on les tient extrêmement propres. Les maisons sont de brique et à un étage; elles renferment communément sur les derrières deux ou trois cours qui servent de magasins : les apparteinens des femmes qui habitent l'intérieur de la ville se trouvent dans ces lieux retirés. Il y a un petit nombre de maisons de bois, qui appartiennent aux dernières classes du peuple.

« Les maisons des facteurs européens occupent un beau quai; elles ont sur la rivière une façade régulière de deux étages, et leur distribution inté rieure est tout à la fois à l'européenne et à la chinoise. Elles touchent à un certain nombre d'autres qui appartiennent à des Chinois, et qu'on loué aux capitaines de vaisseaux et aux négocians que leurs affaires attirent à Canton. Comme il est défendu à tous les Européens d'y amener leurs femmes, les subrécargues anglais mangent ensemble, et leur table est défrayée par la Compagnie : trois ou quatrè pièces forment l'appartement de chacun d'eux. Leur séjour ici ne se prolonge guère au-delà de huit

mois par année, et le service de la Compagnie les occupant presque toujours durant cet intervalle, ils se soumettent avec plus de tranquillité à la gêne que leur impose le gouvernement de la Chine. Les occasions publiques exceptées, ils vont faire peu de visites dans l'intérieur de Canton. Je pris une idée défavorable du caractère des Chinois en apprenant qu'ils ont rencontré souvent des hommes doués de beaucoup d'esprit, de mérite, et d'une politesse aimable, dont quelques-uns ont habité quinze ans ce pays, et qu'ils n'ont jamais formé de liaisons d'amitié ou d'intimité avec eux. Les facteurs et les négocians étrangers sont obligés de se retirer à Macao dès que le dernier vaisseau quitte Vampou; mais ce qui montre l'excellente police. de la Chine, ils laissent à Canton tout l'argent qu'ils possèdent en espèce, ce qui se monte quelquefois à cent mille livres sterling, sans autre sûreté que les sceaux des négocians du hong, du vice-roi et des mandarins.

« Durant mon séjour à Canton, un de mes com. patriotes me mena chez un des Chinois les plus distingués du pays. Nous fùmes reçus dans une longue salle ou galerie, à l'extrémité de laquelle il y avait une table : une grande chaise se trouvait derrière la table, et nous aperçûmes d'autres chaises de chaque côté, dans toute la longueur de la pièce. On m'avait averti que la politesse consiste ici à se tenir debout aussi long-temps qu'il est possible, et je ne

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