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mais cet expédient n'eut aucun succès. Des détachemens débarquèrent le 21 de bonne heure pour couper du bois, objet qui avait déterminé notre commandant à relâcher.

Quoiqu'on eût tiré un second coup de canon, aucun des insulaires ne s'était encore montré : le capitaine Gore crut donc devoir descendre à terre, et les aller chercher, afin d'acheter tout de suite les provisions que l'île pouvait fournir. Il m'ordonna le 22 au matin de l'accompagner le vent soufflant alors de l'est avec force, nous ne jugeâmes pas qu'il fût prudent de conduire nos canots à la bourgade située à la côte orientale de l'île, et nous doublâmes la pointe nord du havre. Nous avions fait environ deux milles le long de la côte, lorsque nous aperçûmes un chemin qui menait à un bois, et nous débarquâmes. Ayant quitté le capitaine Gore, je pris avec moi un midshipman et quatre matelots armés, et je suivis le sentier qui semblait couper l'île. Nous traversâmes une forêt, et nous remontâmes une colline escarpée l'espace d'un mille; et ayant traversé de l'autre côté un bois à peu près de la même étendue, nous arrivâmes sur des terrains plats, ouverts et sablonneux, entremêlés de champs de riz et de tabac, et de bocages de palmistes et de cocotiers : nous y découvrîmes deux huttes placées au bord du bois vers lesquelles nous marchâmes, et avant de les atteindre, nous vîmes deux hommes qui s'enfuirent au même in

stant, malgré tous nos signes de paix et d'amitié. « Du moment où j'atteignis les huttes, j'y entrai seul, et j'ordonnai à ma petite troupe de se tenir en dehors, afin que la vue de nos armes n'épouvantât pas les habitans. Je trouvai dans une des cabanes un vieillard qui était très-effrayé, et qui se disposait à prendre la fuite avec ce qu'il pourrait emporter de plus précieux; mais je parvins tellement à dissiper ses craintes, qu'il sortit et qu'il cria à ses deux compatriotes de revenir. Nous fùmes bientôt de bonne intelligence. Quelques signes, et surtout une poignée de piastres que je lui présentai en montrant un troupeau de buffles, et des volailles qui rôdaient en grand nombre autour des huttes, ne lui laissèrent aucun doute sur le véritable objet de notre descente. Il m'indiqua le lieu où était située la bourgade, et il me fit comprendre qu'on m'y fournirait toutes les choses dont nous avions besoin. Les jeunes gens qui avaient pris la fuite étant revenus, le vieux insulaire enjoignit à l'un des deux de nous conduire à la bourgade dès qu'il serait débarrassé d'un obstacle que nous ne remarquions pas. A l'instant où nous étions sortis du bois, un troupeau de buffles était accouru vers nous; ces animaux, au nombre au moins de vingt, agitaient leur tête, reniflaient l'air, et poussaient des beuglemens horribles : ils nous avaient suivis jusqu'aux huttes, et ils eurent l'air de se ranger en bataille à peu de distance. Le vieillard nous avertit

qu'il serait très-dangereux pour nous de changer de place avant qu'on les eût chassés dans les bois; mais nos figures les avaient tellement irrités, qu'on eut beaucoup de peine et qu'il fallut bien du temps pour les écarter. Les deux hommes n'ayant pu en venir à bout, nous fùmes surpris de les voir appeler à leur secours de petits garçons qui écartèrent bientôt les buffles. Nous eûmes ensuite occasion d'observer qu'on emploie toujours de petits garçons pour conduire et assujettir ces animaux : ils en viennent à bout en passant une corde dans un trou qui perce les narines du buffle; ils les frappent et ils les dirigent impunément, tandis que les hommes faits n'osent pas en approcher. Quand on nous eut délivrés des buffles, on nous conduisit à la bourgade, éloignée d'un mille; le chemin était tracé au milieu d'un sable blanc très-profond. Elle est située près de la mer, au fond d'une baie profonde, qui doit contenir une rade sûre durant les moussons du sud-ouest.

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Vingt ou trente maisons bâties les unes près des autres composent cette bourgade : il y en a six ou sept de plus dispersées autour du rivage. Le toit, les deux extrémités et le côté qui regarde l'intérieur de l'île sont des roseaux disposés d'une manière agréable; le côté qui est en face de l'Océan est absolument ouvert; mais au moyen d'une sorte d'écran de bambous, les insulaires peuvent y admettre ou en écarter la quantité de jour et d'air qu'ils dési

rent. Nous remarquâmes aussi d'autres grands paravens ou cloisons, à l'aide desquels ils font plusieurs pièces séparées de la seule chambre qui compose l'habitation.

« On nous mena à la maison la plus grande de la bourgade: elle appartenait au chef, ou, pour me servir du terme qu'emploient les naturels, au capitaine. Elle offrait à chacune de ses extrémités une chambre qu'une cloison de roseaux séparait de l'espace du milieu, ouvert aux deux côtés. Cette chambre était garnie de paravens comme les autres : elle avait d'ailleurs un auvent qui s'avançait de quatre ou cinq pieds au-delà du toit, et qui se prolongeait sur toute la longueur des côtés. On voyait aux deux bouts de la pièce du milieu des peintures chinoises qui représentaient des hommes et des femmes dans des attitudes bouffonnes. On nous pria honnêtement de nous y asseoir sur des nattes, et on nous présenta du bétel.

« A l'aide de mon argent et des divers objets qui se trouvaient sous nos yeux, je fis assez bien comprendre l'objet de ma mission à un homme qui paraissait être le principal personnage de la compagnie; et de son côté, il ne tarda pas à répondre d'une manière intelligible pour moi que le chef ou capitaine était absent, mais qu'il reviendrait bientôt, et que je ne pouvais rien acheter sans son aveu. Voulant tirer quelque parti de ce délai, nous nous promenâmes dans la bourgade, et nous n'ou19

XXIV.

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bliâmes pas de chercher les restes d'un fort bâti par nos compatriotes, en 1702 (1), près de l'endroit où nous étions.

« De retour à la maison du capitaine, nous éûmes le chagrin de voir qu'il n'était pas encore arrivé nous en fùmes d'autant plus affligés, que l'heure fixée par le capitaine Gore pour notre retour au canot approchait. Les naturels nous engageaient à prolonger notre séjour; ils nous proposèrent de passer la nuit à la bourgade, et ils nous offrirent toutes les commodités qui dépendaient. d'eux. J'avais remarqué avant notre promenade, et je le remarquai davantage à notre retour, que mon interlocuteur se retirait souvent à une des chambres de l'extrémité de la grande maison, qu'il y demeurait quelques minutes, et qu'il venait en

(1) Les Anglais s'établirent à Poulo Condor en 1702, lorsque la factorerie de Tchou-Sang, sur la côte de la Chine, fut détruite; ils y amenèrent quelques soldats macassarois, qui travaillèrent à la construction d'un fort; mais la présidence n'ayant pas rempli ses promesses à l'égard de ces soldats, ils épièrent une occasion favorable; et, durant la nuit, ils massacrèrent les Anglais du fort: ceux qui étaient en dehors, frappés du bruit, gagnèrent leurs canots; ils manquèrent eux-mêmes de périr; et après avoir souffert beaucoup de la fatigue, de la faim et de la soif, ils se réfugièrent sur les états du roi de Johor, où ils furent reçus avec beaucoup d'humanité. Quelques-uns d'entre eux allèrent ensuite former un établissement à Benjdar-Massem, dans l'île de Bornéo. (Voyez East India Directory, page 36.)

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