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aussi un génie vaste et puissant, fertile en ressources, propre tout à la fois à exécuter les grandes opérations, et à se mêler des détails les plus minutieux du service.

« Après avoir raconté d'une manière fidèle et aussi complète que l'ont permis mes observations et celles de mes camarades, la mort de mon réspectable ami, je livre sa mémoire à la reconnaissance et à l'admiration de la postérité. Je n'ajouterai plus qu'un mot : j'ai accepté avec regret l'honneur que m'a procuré sa mort de voir mon nom réuni au sien; je n'ai pas cessé pendant sa vie de lui montrer les témoignages d'affection et de respect que je viens de donner à ses mânes, et mon cœur m'en a toujours fait une loi.

« J'ai déjà dit que quatre des soldats de marine qui accompagnaient le capitaine Cook demeurerent sur le champ de bataille. Les autres se jetèrent dans l'eau, ainsi que M. Philips, leur lieutenant; et, couverts par un feu très-vif qui partait des canots, ils échappèrent à la mort. Cet officier montra en cette occasion un courage intrépide et un grand attachement pour sa petite troupe : au moment où il atteignit une de nos embarcations, il vit un de ses soldats qui était mauvais nageur, et qui, se débattant dans les flots, courait risque d'être pris par l'ennemi : quoiqu'il fût grièvement blessé, il se précipita tout de suite à la mer pour voler à son secours; et après avoir reçu à la tête

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un coup de pierre qui manqua de le plonger au fond de l'eau, il saisit le soldat par les cheveux, et il le ramena sain et sauf.

« Cherchant à faciliter l'évasion de leurs malheureux camarades, si quelques-uns d'entre eux étaient encore en vie, ceux de nos gens placés dans les canots postés à environ soixante pieds du rivage tirèrent sans cesse durant le combat. Leurs efforts, secondés par quelques coups de canon qui partirent en même temps de la Résolution, ayant enfin obligé les naturels à se retirer, une de nos petites embarcations alla à l'aviron vers la côte : les corps de nos soldats de marine étaient étendus sans aucun signe de vie; mais, étant trop peu de monde pour les ramener sans danger, et voyant leurs mupresque épuisées, il revinrent au vaisseau, obligés de laisser entre les mains des insulaires nos morts et dix armures complètes.

nitions

« Quand la consternation que cette calamité jeta parmi les équipages, eut un peu diminué, on s'occupa du détachement posté au moraï, où je me trouvais avec les mâts et les voiles, et une garde composée seulement de six soldats de marine. Il m'est impossible de décrire tout ce que j'éprouvai durant l'affreux carnage qui eut lieu de l'autre côté de la baie. Placés à moins d'un mille du village de Kaouroua, nous aperçûmes distinctement une foule immense rassemblée à l'endroit où le capitaine Cook venait de débarquer; nous

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entendîmes le feu de la mousqueterie, et nous aperçûmés un mouvement et un tumulte extraordinaires parmi la multitude: nous vîmes ensuite les naturels s'enfuir, nos canots s'éloigner du rivage, puis passer et repasser en silence entre les vaisseaux. Je dois l'avouer, mon cœur conçut des pressentimens sinistres. Un homme dont la vie m'était si précieuse et si chère, se trouvait au milieu de la mêlée; un spectacle si nouveau et si effrayant m'alarma : je savais d'ailleurs que les succès nombreux et constans des entrevues du capitaine Cook avec les habitans de ces mers lui avaient donné une extrême confiance; j'avais toujours craint qu'il n'arrivât une heure malheureuse où cette confiance l'empêcherait de prendre les précautions nécessaires je fus alors frappé des dangers qui pouvaient en être la suite, et l'expérience qui l'avait fait naître ne suffit pas pour me tranquilliser.

« << Du moment où j'entendis les coups de fusil, mon premier soin fut d'assurer les insulaires rassemblés en foule autour du mur de l'édifice consacré, dont nous étions en possession, qu'on ne leur ferait point de mal, et que je voulais vivre en paix avec eux, quoi qu'il arrivât. Ce qu'ils avaient vu et ce qu'ils avaient entendu ne leur causait pas moins d'inquiétude qu'à nous. Nous demeurâmes dans cette position jusqu'au retour des canots aux vaisseaux. Le capitaine Clerke découvrant alors, à l'aide de sa lunette, que nous étions environnés

par les naturels du pays, et craignant qu'ils ne songeassent à nous attaquer, ordonna de leur tirer deux pierriers de quatre; heureusement ces coups de canon, quoique bien ajustés, ne tuèrent et ne blessèrent personne, mais ils donnèrent aux habitans de l'île une preuve démonstrative de nos forces. L'un des boulets brisa par le milieu un cocotier sous lequel quelques-uns d'entre eux se trouvaient assis, et l'autre enleva dès fragmens d'un rocher qui était sur la même ligne. Comme je venais de leur dire d'une manière très-positive qu'ils n'avaient rien à craindre, cet acte d'hostilité m'affligea beaucoup, et afin d'en prévenir de nouveaux, j'envoyai tout de suite un canot au capitaine Clerke je l'avertis que j'étais en bonne intelligence avec les naturels, et que, si je me voyais contraint de changer de conduite à leur égard, j'arborerais un pavillon pour lui demander des

secours.

« Nous attendîmes avec une extrême impatience le retour du canot, et après avoir passé un quart d'heure dans l'inquiétude la plus affreuse, M. Bligh vint nous dire que nos craintes n'étaient que trop bien fondées; il avait ordre d'abattre les tentes le plus promptement possible, et d'envoyer à bord la voilure qu'on réparait dans l'île. Notre ami Kaïrikia, instruit de la mort du capitaine Cook par un de ses compatriotes qui s'était trouvé de l'autre côté de la baic, arriva au même instant; la douleur et

la consternation étaient peintes sur son visage, et il me demanda si la nouvelle était vraic.

<< Notre position devenait extrêmement critique: nous n'étions pas seulement en danger de perdre la vie; le fruit de notre expédition, ou au moins un des vaisseaux, courait aussi de grands risques. L'un des mâts de la Résolution et la plus grande partie de nos voiles se trouvaient à terre, sans autre garde que six soldats de marine. Leur perte eût été irréparable: quoique les insulaires n'eussent encore montré aucune disposition pour nous inquiéter, on ne pouvait répondre du changement que produirait la scène qui s'était passée à Kaouroua. De peur que la crainte de notre ressentiment, ou l'exemple de leurs compatriotes ne les déterminât à profiter de l'occasion favorable qui s'offrait alors de tomber sur nous une seconde fois, je crus devoir cacher la mort du capitaine Cook, et je priai Kaïrikia de démentir cette nouvelle autant qu'il dépendrait de lui. Je l'exhortai ensuite à amener le vieux Kaou et le reste des prêtres dans une grande maison qui était voisine du moraï; je cherchais ainsi à pourvoir à leur sûreté, si j'étais contraint d'employer la force, et à placer près de nous un homme qui pût faire usage de son autorité sur le peuple, s'il y avait quelque moyen de maintenir la paix.

«Après avoir placé les soldats de marine au sommet du moraï, qui formait un poste fort et

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