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Gouverneur du Port-Farine, de recevoir le Gentilhomme François avec toute forte de diftinction. Il fut logé dans un palais du Roi qui donnoit fur la mer, & il eut tout le tems, auffi-bien que notre Miffionaire, non-feulement de s'y remettre de leurs fatigues, mais même de s'y ennuier, en attendant quelque vaiffeau François bien armé qui les portât en fûreté jufqu'en Provence, en dépit des Corfaires Anglois dont cette plage étoit converte.

Enfin il eut nouvelle qu'il étoit arrivé au Cap-Neigre un vaiffeau François appellé l'Entreprenant, de 56 pieces de canon, qui devoit fervir d'escorte à un grand nombre de bâtimens de la Nation chargez de grains. Il ne balança point fur fon départ, il fe réfolut d'aller par terre au Cap- Neigre, tandis que le Pinque tenteroit de s'y rendre par mer. Il fit donc venir de Tunis les chameaux & les chevaux néceffaires pour. le tranfport de fes ballots, & le 6. lui & notre Millionaire partirent de Port-Farine; ils arriverent le même jour fur le foir à Biferte, c'eft l'ancienne Utica, que la mort de Caton a rendue célebre.

Ce qu'on y trouve de plus curieux, c'eft un bras de mer, qui fe partageant en deux grands caneaux, paffe dans deux endroits de la ville, & y forme comme deux riDd iiij

vieres, dont les bords font proprement garnis de pierres de taille, avec deux quais de part & d'autre. La mer deux fois le jour fe décharge à Biferte, & s'avance plus de dix lieues dans les terres, & deux autres fois elle quitte les terres & retourne dans fon lit; d'où l'on doit conclure que l'idée qu'on a que la mer Mediterannée n'a ni flux ni reflux, eft très-fauffe.

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On partit le 17. de Biferte avec les deux Spahis ou Cavaliers, que le Kyaïa avoit donné à M. Michel pour l'escorter jufqu'au Cap-Neigre; & après une marche fatiguante de treize grandes lieues,on arriva aux Tentes où l'on campa.

On appelle les Tentes une belle & vafte campagne pleine d'excellens pâturages, fans autre village que dix ou douze méchantes tentes où demeurent les Officiers du Bey pour la garde de fes haras de chevaux & de chameaux. Il n'eft rien de plus gueux & de plus miférable que ces peuples de Barbarie; ils font tout nuds, & bienheureux qui peut échaper de leurs mains: c'eft ce qui fit dire au Kyaïa de Port- Farine que ces François étoient bien hardis d'entreprendre par terre un voyage qu'il n'oferoit faire lui-même. On n'y eut cependant, grace à la Providence, aucune mauvaise rencontre ; & le 18. étant fortis des tentes,

on arriva au Cap-Neigre: on y trouva, conformément à l'avis qu'avoit reçû Monfieur Michel, le vaiffeau l'Entreprenant.

C'étoit un vaiffeau de guerre percé pour cinquante-fix pieces de canon, il n'en avoit cependant. que trente-huit en état de jouer. Les douze qui faifoient la batterie d'en-bas étoient de vingt-quatre balles; mais comme il étoit chargé d'une fort grande quantité de bled, le poids de cette cargaifon l'enfonçoit tellement dans l'eau, que pour peu que la mer fût agitée elle couvroit les fabords, & rendoit cette batterie abfolument inutile. L'équipage n'étoit que de trois cens hommes, y compris cinquante qui s'étoient échapez des mains des Anglois, & que M. Boufquet, Commandant de l'Entreprenant, avoit refugiez fur fon bord: tout cela n'étoit gueres capable de foûtenir un combat contre fix vaiffeaux de guerre Anglois ; cependant M. Michel & notre Miffionaire ne laifferent

pas de s'embarquer le 20. d'Août fur ce vaiffeau, fuivi d'un autre petit navire marchand, du Pinque de Marfeille, & de quatorze bâtimens de charges qui n'étoient proprement que des barques. On ne fit gueres que dix-huit à vingt milles ce jourlà, non plus que le 21. où l'on eut une efpece de calme; de forte que le 22. om

n'étoit qu'à dix ou douze lieues en mer à la hauteur du Cap-Rofa, & à la vûe du Fort de Calle, où les François ont un bel établiffement pour la pêche du corail, un peu en-deça de ce qu'on appelloit auparavant le Baftion de France, à l'extrémité du royaume de Tunis.

Combat du Vaiffeau François l'En. treprenant, contre fix Vaiffeaux de guerre Anglois le 22. d'Août

de l'an 1709.

A peine le jour commençoit à poindre,, qu'un petit Mouffe que M. Boufquet avoit fait monter à la hune pour faire la découverte, s'écria du haut du mât: Velo, velo, voile , voile. Quelle route tient-il demanda le Capitaine. Il vient droit à nous, repartit le Mouffe. La courbure & la convexité de la mer ne permettoient pas encore qu'on le vît de l'étage ordinaire, mais on ne l'apperçut que trop-tôt. Le Capitaine jugea que c'étoit un vailleau de guerre Anglois, & il ne fe trompa point. S'il eft feul, dit-il à notre Miffionaire, il n'ofera. nous attaquer, car jamais navire Anglois n'en attaqua un François feul à feul, & de force à peu près égale ; & le voiant cependant continuer de venir droit à son

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vaiffeau: Comptez, ajoûta M. Boufquet,, qu'il n'eft pas feul, & qu'il eft fuivi de quelques autres que nous verrons bien-tôt. Sur cela il donne ordre qu'on débaraffe le pont & le tillac pour en faire un champ de bataille; il fait attacher des matelats le long des bordages de fon vaiffeau pour rompre les coups de la moufqueterie ennemie, & pour fervir à fes foldats d'une efpece de parapet. On pointe les canons dans les fabords, chacun court aux armes, & l'on fe prépare au combat.

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M. Boufquet pria M. Michel de fortir, de fon bord, & de rentrer dans le Pinque ne pouvant pas, difoit-il, expofer une perfonne de fon caractere dans une action. qu'il prévoioit devoir être très-périllenfe; & notre Millionaire lui témoignant le défir qu'il avoit de refter dans le vaiffeau pour fecourir les bleffez, & affifter ceux qui feroient en danger de mort: Je vous rends graces, mon Pere, lui dit le Capitaine'; j'ai mon Aumônier que cet office regarde; vousêtes celui de M. l'Ambaffadeur, il faut le fuivre, s'il vous plaît; il fallut donc defcendre dans le Pinque avec M. Michel.

Tandis que cela fe paffoit, l'Anglois s'avançoit à toutes voiles droit à l'Entrepre prenant; alors M. Boufquet ordonne au Pilote, qui tenoit le gouvernail, de virer

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