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Les differentes Congregations qui fuivent la Regle de faint Benoît, & les Ordres Militaires qui font compris fous la même Regle.

CHAPITRE PREMIER.

Des Religieux de la Trape, avec la Vie de Dom Armand Jean le Bouthillier de Rancé leur Réformateur.

'ABBAYE de Notre-Dame de la MaisonDieu de la Trape, de l'Ordre de Cîteaux, dans le Perche, fut fondée l'an 1140. par Rotrou, Comte de Perche ; & fon Eglife fut confacrée fous le nom de la fainte Vierge par Robert Archevêque de Rouen, Raoul Evêque d'Evreux, & Silveftre Evêque de Séez, à la follicitation de Guillaume, cinquiéme Abbé de ce Monaftere},

Tome VI.

A

DE LA

TRAPE.

RELIGIEUX qui étoit un des Membres de l'Ordre de Savigni, qui fur uni à celui de Cîteaux l'an 1148. par Serlon, qui en étoit le quatriéme Abbé; & par l'entremife de faint Bernard cet Ordre fut mis fous la filiation de Clairvaux, avec tous les Monafteres qui en dépendoient, comme nous l'avons dit ailleurs.

L'Abbaïe de la Trape fut long-tems celebre par l'éminente vertu de fes Abbés & de fes Religieux : la fainteté & les miracles d'Adam fon fecond Abbé la rendirent encore plus fameufe,& plus de deux cens ans après fa fondation elle étoit fi confiderée des Princes & des Papes, que l'on trouve jufqu'à quatorze ou quinze Bulles des Souverains Pontifes adreffées aux Religieux de la Trape pour confirmer & approuver les droits & les privileges qui leur avoient été accordés par leurs prédeceffeurs. Mais elle eut enfin le fort de plufieurs autres Maisons de cet Ordre, où les Religieux dégenérant de la vertu de leurs Peres, abandonnerent les Obfervances Régulieres. Nous avons déja fait voir que les guerres avoient été caufe en partie du relâchement dans lequel les Monafteres de France étoient tombés, & que la plupart des Religieux n'avoient point fait difficulté d'abandonner leurs Monafteres, pour n'être point expofés à la fureur des Soldats. Cependant les Religieux de la Trape, quoique réduits à l'extrémité par la violence des Anglois, qui aïant plufieurs fois faccagé leur Abbaïe, les avoient réduits à manquer de toutes chofes, prirent un parti qu'on ne sçauroit affez loüer. Ils ne voulurent point quitter leur folitude, pour aller par le monde chercher les fecours dont ils avoient befoin, & trouverent dans leurs jeûnes & dans un travail continuel, le peu qui leur étoit neceffaire pour fubfifter. Ils fe foutinrent de la forte pendant quelque tems: mais les Anglois revenant de tems en tems leur enlever le peu qu'ils avoient amaffé, ils furent enfin contraints de fe féparer,& ne revinrent que lorfque la guerre fut finie; mais bien differens de ce qu'ils avoient été, par la corruption qu'ils avoient contractée dans le monde.

Les Commendes aïant été établies en France, le Cardinal du Bel'ai fut nommé Abbé Commendataire de la Trape Les Religieux s'oppoferent pendant plufieurs années à cette nomination, & continuerent à élire leurs Abbés, avec l'ap

DE LA

probation & confirmation de la Cour de Rome; mais enfin RELIGIEUX ils furent contraints de ceder à l'authorité du Roi & au cré- TRAPE. dit du Cardinal. Depuis ce tems-là le déréglement fit de fi grands progrès dans cette Abbaïe, que fes Religieux devinrent le fcandale du païs. La ruine du temporel fuivit de près celle du fpirituel. Les lieux Reguliers dépérirent, & les bâtimens tomberent tellement en ruine, qu'à peine s'en trouvoit-il affez pour loger fix ou fept Religieux, qui les avoient même laiffé occuper par des ferviteurs, des femmes & des enfans. Ils ne vivoient plus en Communauté, & difperfés са & là, ils ne fe raffembloient que pour des parties de chaffe & de divertiffement.

Les chofes étoient en cet état lorfque l'an 1662. Dieu fufcita Dom Armand-Jean le Bouthillier de Rancé, Abbé Commendataire de la Trape, & lui infpira le deffein de réformer cette Abbaïe, & d'y faire revivre autant que le malheur des tems le permettoit (comme dit un Auteur de fa Vie, Marfolier que nous avons exactement fuivi) l'ancienne penitence, l'ef- l'Abbé de prit, les fentimens & la pratique de cet heureux âge de l'E- la Trape glife, auquel la Difcipline Monaftique paroiffoit dans sa perfection & dans toute fa vigueur.

Il étoit fils de Denis le Bouthillier Seigneur de Rancé Baron de Veret, Secretaire des Commandemens de la Reine Marie de Medicis, & Confeiller d'Etat ordinaire. Il vint au monde le 9. Janvier 1626. Les premieres vûës de fon pere étoient de le faire Chevalier de Malte; mais quoiqu'il le deftinât à porter les armes, il ne laiffa pas de lui faire continuer fes études, lui aïant donné en même tems trois Précepteurs, dont l'un lui apprenoit la Langue Latine,l'autre la Greque, & le troifiéme étoit occupé à former fes mœurs, à veiller fur fa conduite, & lui apprendre les principes de la Religion Chrétienne; ce qui n'empêchoit pas qu'il ne lui fîc enfeigner les exercices qui convenoient à une perfonne de qualité & à la profeffion des armes, lui aïant donné à cet ef fet des Maîtres experimentés dans ces exercices.

Mais la mort de fon frere aîné, qui arriva dans le même tems, obligea M. de Rancé fon pere à changer les vûës qu'il avoit euës pour fon établiffement. Il lui fit quitter l'épée pour prendre l'état Ecclefiaftique, que fon frere avoit embraffé, & en lui fuccedant dans la qualité d'aîné qu'il avoit

Vie de

RELIGIEUX il fucceda auffi aux Benefices dont il étoit pourvû, & fon pere TRAPE. lui en procura encore d'autres: ainfi en peu de tems il le vit Chanoine de Nôtre-Dame de Paris, Abbé de la Trape, de l'Ordre de Cîteaux ; de Nôtre-Dame du Val, de l'Ordre de faint Auguftin ; & de faint Symphorien de Beauvais, de l'Ordre de faint Benoît; Prieur de Boulogne près de Chambor,auffi de l'Ordre de faint Benoît, & de faint Clement en Poitou: de forte qu'à l'âge de dix à onze ans, fans avoir rendu aucun fervice à l'Eglife, & n'aïant pas même l'áge de lui en rendre, il joüiffoit de quinze à vingt mille livres de revenus Ecclefiaftiques.

L'Abbé de Rancé regarda fon engagement dans l'état Ecclefiaftique comme un nouveau motif de s'appliquer à l'étude ; il y étoit déja porté d'inclination, & il y fit de fi grands progrès qu'à l'âge de douze ans il donna au public une nouvelle édition des Poëfies d'Anacreon qu'il accompagna d'un Commentaire Grec qui fut admiré des Sçavans, & fit enfuite une Traduction Françoife de ce Poëte. Après avoir fait fon cours de Philofophie au Col ege d'Harcour, il étudia en Theologie. Il foutint fa Tentative à l'âge de vingt &-up ans, & fit enfuite fa Licence avec fuccès. Ses qualités naturelles lui donnoient de grands avantages pour le monde. Il l'aimoit & en étoit aimé. Les plaifirs le cherchoient, & il ne les fuïoit pas. Il ne donnoit pas pour cela dans des défordres groffiers aufquels la Jeuneffe ne s'abandonne que trop que trop aifément ; tout ce que le monde appelle les belles paffions occupoit fon cœur tour à tour. La délicateffe regnoit dans sa table, beaucoup de propreté & de luxe dans les meubles, dans fes équipages & dans fes habits, il avoit une paffion extraordinaire pour la chaffe, c'eft ce qui lui faifoit aimer fa belle Maison de Veret en Touraine, dont il avoit herité à la mort de fon pere.

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Une vie fi peu convenable à un Ecclefiaftique ne lui donnoit aucun fcrupule, & ne l'empêcha pas de recevoir la Prêtrife l'an 1651. des mains de l'Archevêque de Tours fon oncle, dont il fe flatoit d'être un jour Coadjuteur: ce qui lui fit refufer l'Evêché de Leon ; & il reçut le Bonnet de Docteur en 1654..

Plus il avançoit en âge, plus il s'égaroit. Un jour qu'il étoit dans fa Maifon de Veret avec trois de fes amis, après

TRAPE

s'être bien divertis, ils prirent réfolution de mettre chacun RELIGIEUS mille pistoles dans une bourse, & d'aller comme des Che- DE LA valiers errans tant que leur argent dureroit, chercher leur avanture par terre & par mer, par tout où le vent les où le vent les pourroit porter ( ce fut le terme dont ils se servirent; ) mais des obstacles qui furvinrent, rompirent leur dessein, lorsqu'ils étoient prêts de l'executer.

L'Abbé de Rancé n'eut pas manqué de fe perdre,fi Dieu qui le regardoit des yeux de fa mifericorde,n'eût commencé de le rappeller à lui-même par des accidens imprévûs. Le premier fut la mort de Leon le Bouthillier de Chavigni son coufin germain, fur lequel il mettoit toutes les efperances de fa fortune, & dont il fut vivement touché. Le fecond fut lorfque fe promenant fur le terrain qui eft derriere l'Eglife de Nôtre-Dame de Paris, où aïant porté fon fufil pour tirer par divertiffement à quelque oifeau, des gens qui étoient, fur le bord de la riviere,ou par mégarde ou à deffein,tirerent fur lui. Les balles donnerent dans l'acier de fa gibeciere, qui en arrêta le coup, & lui fauva la vie ; car fans cela il étoit mort fur la place. La protection de Dieu étoit trop vifible pour ne la pas reconnoître : il en fut touché, & dans le premier moment de fa reconnoiffance, il ne put s'empêcher de crier: Helas! que devenois-je, fi Dieu n'eut eu pitié de

moi.

Mais les reflexions n'allerent pas alors plus loin. La gloire & l'ambition qui le tenoient trop fortement attaché au monde, étoufferent en lui ces premiers mouvemens de la grace. Les büanges qu'il reçut dans l'Affemblée du Clergé de France en 1655. où il affifta comme Député du second Ŏrdre ; l'estime qu'on y fit paroître de fon fçavoir, lorfque l'Affemblée le pria de prendre foin d'une édition plus correcte d'Eufebe, & de quelques autres Peres Grecs; la furvivance de la Charge de premier Aumônier de Gafton de France Duc d'Orleans, qu'il obtint dans le même tems : tout cela renouvella en lui cette paffion qu'il avoit pour la gloire: en forte qu'il ne penfa plus qu'aux moïens d'en acquerir.Mais Dieu qui fçait confondre les penfées des hommes, & qui fe fert quelquefois des chofes les plus petites pour operer de grandes merveilles fçut bien-tôt diffiper tous ces grands projets d'une ambition mondaine,par un fimple foupçon qu'il permit

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