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ORDRE DES plufieurs témoins entendit en plufieurs jours cent quarante TEMPLIERS Templiers du Temple à Paris, qui convenoient tous, à l'exception de trois feulement, des crimes dont ils étoient accufés, excepté de la tête de bois doré ou argenté dont quelques-uns n'avoient point eu de connoiffance, à caufe qu'on ne l'expofoit que dans les Chapitres Genéraux. Le Grand Maître Jacques de Molai, Hugues Péraud & Gui frere du Dauphin d'Auvergne furent auffi interrogés. Le Grand Maître & Péraud, les avoüerent auffi. On fit de pareilles interrogatoires en plufieurs villes de France,comme à Troïes, à Caën, à Bayeux, au Pont de l'Arche, à Carcassone, à Cahors & en d'autres lieux, où les accufés avoüerent auffi la même chose.

Le Pape qui ne vouloit rien avoir à se reprocher dans une affaire de cette confequence, crut qu'il ne devoit pas s'en rapporter abfolument à fes Inquifiteurs François:c'eft pourquoi afin de procéder plus sûrement à la condamnation des Templiers,il députa trois Cardinaux pour interroger de nouveau quelques-uns des principaux prifonniers que le Roi avoit fait conduire à Chinon en Touraine, du nombre defquels étoit le Grand-Maître, le Maître de Chypre, le Visiteur de France, & les Précepteurs de Poitou, de Guïenne & de Normandie. Le Grand-Maître avoüa derechef que les Chevaliers à leur reception renioient Jefus-Chrift, crachoient fur la croix ; ce que firent auffi les Précepteurs de Normandie, de Poitou & de Guïenne ; & Hugues Peraud, qui fut auffi interrogé par ces trois Députés, perfifta dans la confeffion qu'il avoit faite à Paris.

Le Pape voïant de plus en plus la corruption de cet Or dre, crut que comme il étoit répandu par toute la terre, il étoit à propos de faire une Inquifition générale, & d'indiquer un Concile Général pour terminer cette affaire. Comme les informations avoient été faites en France de l'autorité du Roi par les Inquifiteurs, affiftés de quelques Gentilshommes, & que le Pape n'en étoit pas content, par rapport à l'Immunité Ecclefiaftique, qu'il difoit être violée par ces Actes Juridiques des Puiffances Seculieres contre des Reguliers, & que d'ailleurs il étoit question de juger un Ordre répandu non feulement en France, mais par toute la terre, il nomma des Commiffaires pour procéder tout de

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nouveau en fon nom & par fon ordre contre les Tem- ORDRE DIS pliers.

Le Roi cependant ordonna l'an 1308. aux Archevêques, Evêques, Abbés, Prieurs, Chapitres, Villes, Communautés, & à quelques Grands du Roïaume, de fe trouver par eux ou par leurs Procureurs en la ville de Tours,en l'Affemblée qu'il vouloit faire au fujet des Templiers. L'Aflemblée fe tint, & après qu'elle fut finie, le Roi alla trouver le Pape à Poitiers pour conferer avec lui: ils convinrent ensemble de quelques articles, qui portoient, entr'autres chofes, que les Templiers feroient gardés par l'autorité du Roi à la priere du Pape, i& que les Prélats pourroent juger les Templiers dans leurs Diocéfes, excepté quelques-uns, dont le Pape se reservoit la connoiffance.

Les Commiffaires qu'il avoit nommés pour proceder contre eux, arriverent à Paris au mois d'Août 1309. & citerent tout l'Ordre à comparoître devant eux, après la Fête de faint Martin en la falle de l'Evêché de Paris, & envoïerent enfuite faire la même citation dans toutes les Provinces.

Le 22. Novembre le Grand-Maître comparut avec Hugues Peraud, Commandeur de l'Ordre; mais le GrandMaître aïant contrefait le fou, ils ne pafferent pas outre pour lors à fon égard: neanmoins trois jours après aïant été interrogé de nouveau, & les Commiffaires lui aïant demandé s'il vouloit défendre fon Ordre, il dit qu'il étoit étrange que l'on voulût fi legerement proceder contre une fi grande Compagnie, puifque la Sentence de dépofition contre l'Empereur Frederic II. avoit été differée trente-deux ans. Et lorfqu'on lui eut lû la confeffion qu'il avoit faite de fes crimes aux trois Cardinaux qui avoient été députés par le Pape pour l'interroger la premiere fois,il parut être dans un grand étonnement, & dit qu'il prioit Dieu qu'il usât envers eux de la même punition dont on ufe en pareil cas contre les Sarrafins & les Tartares, qui font trancher la tête aux menteurs infames, & leur fendent le ventre.

Il y en eut d'autres qui déclarerent qu'ils avoient été forcés à parler en plufieurs rencontres, & que ce qu'ils avoient confeffé n'avoit été que dans la crainte de mourir. Ponzard de Gyziaco, qui dit auffi la même chofe, s'offrit de défendre l'Ordre, & demanda qu'on lui donnât pour Collegues

TEMPLIRS

ORDRE DES & pour fon Confeil Renaud d'Orleans, & Pierre de Boulo gne, tous deux Prêtres de l'Ordre.

TEMPLIERS

Les Commiffaires étoient chargés d'un cahier que le Pape leur avoit envoïé,qui contenoit un grand nombre d'articles, fur lefquels ils devoient interroger les accufés, qui avoient refolu de défendre l'Ordre. Soixante & quatorze Templiers qui fe trouverent au Temple à Paris, où on les avoit conduits par ordre du Roi, déclarerent que les articles qui avoient été envoïés par le Pape,& qu'on leur avoit lûs étoient faux & abominables: que ceux qui les avoient faits étoient Heretiques ou Infideles: qu'ils étoient prêts de fe préfenter au Concile, pourvû qu'on les mît en liberté: que les Freres qui avoient dépofé contre l'Ordre, l'avoient fait par les tourmens ou la crainte de la mort ; & que quelques uns avoient été corrompus par argent.

I'E

Ceux qui avoient été choilis pour la défense de l'Ordre, dirent en fa faveur, que ceux qui y entroient, promettoient quatre vocux effentiels, de pauvreté, d'obéïffance, de chafteté,& d'expofer leur vie pour le fervice de la Terre-Sainte: que celui qui promettoit ces chofes étoit reçu par un baifer, & prenoit l'habit & la croix qu'il portoit devant fa poitrine, & qu'on lui faifoit voir enfuite la Regle approuvée par glife & par les faints Peres que cette forme avoit été observée de tout tems & par toutes les nations jufqu'alors: que tout ce qu'on avoit dit au contraire étoit faux & déteftable, & ne pouvoit avoir été dit que par des faux Freres, chaffés de l'Ordre pour leurs impietés & leurs fcandales: que ces miferables en avoient fubornés d'autres auffi méchansqu'eux, qui avoient excité le Roi & fon Confeil contre tout l'Ordre, & que plufieurs des Freres de l'Ordre qui avoient confeffé dans les tourmens, étoient prêts de changer, s'ils étoient libres, & de dire la verité, s'ils étoient affurés que l'examen nouveau qui en feroit fait, fût tenu fecret..

Ces Commiffaires furent dans Paris depuis le mois d'Août 1309. jufqu'au mois de Mai 1311. & pendant ce tems-là ils examinerent deux cens trente & un témoins, tant Templiers. qu'autres, qui avoient dépofé devant les Ordinaires. Le Concile de la Province de Sens qui fe tint à Paris dans le même tems,& qui fut terminé, felon quelques-uns,l'an 1310. rendit une Sentence contre plufieurs perfonnes de cet Ordre,

OXFORD

dont les condamnations furent differentes: car quelques-uns ORDREDIS furent abfous purement & fimplement, d'autres condamnés TIMPLIERS à quelque penitence, puis délivrés. Il y en eut d'autres qui furent refferrés plus étroitement, plufieurs furent condamnés à finir leurs jours dans une prifon, & il y en eut cinquanteneuf, comme relaps, dégradés par l'Evêque de Paris, & livrés au bras féculier, puis condamnés à être brûlés; ce qui fut executé hors la porte faint Antoine. Ils déclarerent jufqu'à la mort qu'ils étoient innocens, & que tout ce qu'on leur avoit impofé étoit faux: ce que le peuple regarda avec étonnement, les uns admirant leur vertu & les autres détestant leur opiniâtreté.

L'on faifoit les mêmes pourfuites dans les autres Roïaumes: l'Archevêque de Ravenne fit affembler le Concile de fa Province, dans lequel il fut ordonné que les innocens feroient déclarés abfous, & les criminels punis: que ceux qui avoient confeffé par la crainte des tourmens, devoient être du nombre des innocens, & qu'il falloit conferver l'Ordre, fi la plus grande partie fe trouvoit faine. A Boulogne quelques uns juftifierent avoir toûjours bien vêcu. Dans la Lombardie & la Toscane, ils furent convaincus de crimes horribles & déteftables, comme ceux de France. En Caftille ils furent tous arrêtés & leurs biens faifis. A Salamanque ils furent déclarés innocens, & renvoïés toutefois au Pape. En Angleterre ils avoüerent les crimes dont on les accufoit. En Provence ils furent tous condamnés à mort, & le Pape envoïa l'Abbé de Crudacio en Allemagne pour informer contre eux, & donna auffi des Commiffions aux Archevêques de Mayence & de Cologne, & aux Evêques de Tréves,de Magdebourg, de Conftance & de Strasbourg, pour faire la même chose dans leurs Diocéses.

Dans le Roïaume de Chypre, les Templiers aïant fçu qu'Amauri Seigneur de Tyr,& Gouverneur du Roïaume, avoit reçu des Lettres du Pape pour les arrêter : ils prirent les armes pour se défendre. Néanmoins le Maréchal, le Précepteur, le Drapier, le Tréforier, & quelques autres Chevaliers fe foûmirent avec leurs Confreres à la volonté du Pape, & le Seigneur de Tyr les fit arrêter avec tout ce qu'ils avoient d'armes & de chevaux.

Ceux d'Aragon firent plus de réfiftance, ils fe retirerent

ORDRE DES dans les places fortes qui appartenoient à l'Ordre. La prin TEMPLIERS cipale étoit le château de Monçon, où Barthelemi de Belvis commandoit. Il y fut affiégé par Artaut de Luna, Gouverneur d'Aragon,qui le prit quelque tems après ; les châteaux de Miravette, Cantavieja & Castellot, après avoir auffi réfifté pendant un tems fe rendirent. Ceux qui furent trouvés dedans furent faits prifonniers, & envoïés en divers lieux du Roïaume, & le Pape commit l'Evêque de Valence faire leur procès.

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Le tems du Concile qui avoit été indiqué à Vienne approchant, les Archevêques, Evêques, Prélats, & autres Ecclefiaftiques, s'y trouverent au nombre de trois cens l'an 1311. La premiere feffion commença le 16. Octobre. On traita de l'affaire des Templiers. Cette premiere feffion dura jufqu'à la Semaine Sainte de l'année fuivante 13.12. & dans la feconde, qui commença le 22. Mai, la Bulle de condamnation de l'Ordre fut publiée, portant que pour les grands & énormes crimes dont les Templiers avoient été clairement convaincus, par l'approbation du Concile, & non par forme de Sentence définitive, tout l'Ordre des Templiers étoit aboli, & défenfes à toures perfonnes d'y entrer, & y prendre l'habit, à peine d'excommunication, & que le Concile uniffoit à l'Ordre & Milice des Hofpitaliers de faint Jean de Jerufalem, tous les biens des Templiers, tant meubles qu'immeubles à eux appartenans au tems de leur capture en France, exceptant néanmoins de cette union générale les biens qui leur appartenoient dans les Roïaumes de Caftille, d'Aragon, de Portugal & de Majorque, dont la difpofition appartenoit au faint Siége.

Quarit à la condamnation & l'execution du Grand-Maître de l'Ordre, les Hiftoriens ne conviennent point du tems qu'elle fe fit, les uns la mettent en l'an 1307. ce qui ne peut être, les autres en 1311. ou 1312. & Guillaume de Nangis, dans la Chronique de faint Denis, la met en l'an 1313. Mais ils conviennent tous qu'il fe nommoit Jacques de Mollay Bourguignon, Gentilhomme cadet de fa Maifon, qui fe voïant peu de bien, & ne voulant pas être à charge à fon frere qui étoit fort riche, se retira chez les Templiers, où il fut pourvû d'un Prieuré de l'Ordre ; & la Grande Maîtrise étant venue à vaquer, il fut élu à cette Dignité, qui l'éga

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