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DE LA

TRAPE.

RELIGIEUX qu'on lui infpirât, qui fut que fon procedé dans l'Assemblée du Clergé n'étoit pas agréable à la Cour. Il n'en fallut pas davantage pour abbattre ce cœur ambitieux,qui ne pouvant fupporter un coup fi fatal à fa fortune, prit le parti de fe retirer à Veret, avant même que cette Affemblée fût finie.

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Cette retraite à laquelle Dieu avoit fixé le moment de fa converfion lui donna tout le tems qu'il faloit pour réfléchir fur l'inconftance de la fortune & fur le peu de fonds qu'il devoit faire,& la mort de M. le Duc d'Orleans qui arriva en 1660. le fit enfin réfoudre à changer de vie. Pour fe déterminer fur l'état qu'il devoit embraffer il confulta lesEvêques de Pamiers,d'Aleth, de Châlons, & de Cominge, qui lui confeillerent de commencer par quitter fes Benefices. Non feulement il le fit & ne retint que l'Abbaïe de la Trape dans le deffein qu'il forma de s'y retirer; mais fçachant que pour être parfait & fuivre Jesus-Chrift il falloit fe défaire de tout,il vendit encore fon bien de patrimoine à la réserve de deux maifons qu'il avoit à Paris qu'il donna à l'Hôtel Dieu de la même ville. Tous les biens qu'il vendit fe montoient à la fomme de trois cens mille livres. Lorsqu'il le vit cet argent entre les mains, il donna à fons frere & à fa four tout ce qu'ils pouvoient prétendre de la fucceffion de leur pere, dont il païa auffi les dettes. Il récompenfa fes domeftiques, & ne conferva que deux valets,dont Fun le fuivit dans fa retraite à la Trape, & en fut un des plus fervens Religieux. Après avoir satisfait aux obligations dont nous venons de parler, il donna tout le refte de fon argent à l'Hôtel Dieu & à l'Hôpital General de Paris,à l'exception d'une fomme fort modique qu'il fe réserva pour ré parer fon Abbaïe dont tous les bâtimens tomboient en ruine, & fe contenta d'environ trois mille livres de rente à quoi fe réduifoit tout le revenu de cette Abbaïe.

Ses affaires étant reglées, il fe retira à la Trape. Ses premiers foins furent de remedier aux défordres qui y régnoient. Mais ce fut en vain qu'il exhorta les Religieux à changer de conduite: c'eft pourquoi les voïant réfolus de perfevérer dans leur libertinage, il leur déclara qu'il étoit dans la réfolution d'appeller les Religieux de l'étroite Obfer-> vance pour prendre leur place. Sur cette propofition ils se fouleverent contre lui, & fe porterent aux dernieres extrê

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mités, les uns le menaçant de le poignarder, les autres de RELIGIEUR l'empoisonner ou de le noïer dans leurs étangs : ces menaces DE LA ne l'étonnerent point ; les Religieux de l'étroite Obfervance furent introduits dans cette Ãbbaïe, & les anciens furent obligés d'y confentir par un Concordat qu'ils fignerent le 17. Août 1662. qui fut enfuite omologué au Parlement de Paris le 16. Février de l'année fuivante. Ces anciens étoient au nombre de fept, fix de Chœur & un Convers, qui en vertu de ce Concordateurent chacun quatre cens livres de penfion. L'Abbé de Rancé pour mettre les Réformés en état de faire dans la fuite les réparations neceffaires dans cette Abbaïe, leur ceda la terre de Nuifement qui étoit de la menfe Abbatiale, confentant qu'elle fût unie pour toûjours à la mense Conventuelle ; & fe chargea encore comme Abbé du rétablissement d'une partie des lieux réguliers, auffi-bien que de toutes les réparations actuelles qu'il fit à fes dépens.

Il ne fe contenta pas d'avoir rétabli les Obfervances Régulieres dans fon Abbaïe, il voulut lui même les mettre en pratique & vivre avec la même austerité que la Communauté. C'eft pourquoi, après avoir obtenu un Brevet du Roi pour pouvoir tenir fon Abbaïe en regle, il prit l'habit Religieux dans celle de Perfeigne, d'ou étoient fortis les Religieux Réformés qui étoient à la Trape. Il y commença fon Noviciat le 13. Juin 1663. étant pour lors âgé de 37. ans cinq mois, & fit fa profeffion le 26. Juin 1664. entre les mains de Dom Michel Guiton Commiffaire de l'Abbé de Prieres pour lors Vicaire General, avec deux Novices, dont l'un avoit été son domestique, comme nous l'avons déja dit cideffus.

La benediction Abbatiale qu'il reçut enfuite, le mit dans une puiffance entiere d'executer les projets qu'il avoit médités. Il ne trouvoit pas que les Religieux de l'étroite Observance fuffent affés réformés. Il demeuroit d'accord qu'on avoit rétabli dans cette réforme d'excellentes pratiques,&que la vie qu'on y menoit étoit fainte; mais il étoit perfuadé que la Regle de faint Benoît dont on y fait profeffion demandoit quelque chofe de plus. L'exemple des premiers Religieux de Citeaux le touchoit vivement, & il ne pouvoit approuver qu'on n'en eût pas rétabli tous les ufages. Il prit donc la réfolution de porter les chofes plus loin que l'on n'avoit fait

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RELIGIEUX dans l'étroite Obfervance, & de faire revivre le premier ef TRAPE. prit de cet Ordre. Peu à il en rétablit dans fa Maison les peu pratiques les plus austeres. Il commença par déterminer les Religieux de la Communauté à fe priver de l'ufage du vin & de celui du poiffon. Ils ne fe permirent celui des œufs que fort rarement, & celui de la viande que dans les plus grandsbefoins. Le commerce avec les Séculiers fut moins fréquent, & on rétablit le travail des mains.

Mais pendant que l'Abbé de la Trape ne penfoit qu'à se fanctifier lui-même & à porter fes freres à la plus haute perfection de l'Etat Monaftique, étant obligé de fe trouver à une Affemblée des Abbés & Superieurs de l'étroite Obfervance qui fe tint au College des Bernardins à Paris l'an 1664 pour le fujet dont nous avons parlé dans le Chapitre 39. du Tome précedent,& qui l'obligea de faire deux fois le voïage de Rome fans avoir réüflì dans fa Commiffion; le Prieur de fon Monaftere qu'il avoit choifi lui-même, comme un Religieux fur la pieté & l'aufterité duquel on pouvoit compter, au lieu de maintenir cette régularité, ne fongeoit qu'à l'alterer & y introduire du relâchement: il alla même jufqu'à faire fervir du poiffon au Réfectoire, à donner à fes Religieux l'exemple d'en manger,& à violer l'abstinence qu'ils s'étoicht preferite, & dont ils avoient promis à l'Abbé de ne point trangreffer l'obfervance. Le Soû-Prieur qui avoit du zele & de la fermeté s'y oppofa ; les autres Religieux fe joignirent à lui, & fe maintinrent malgré le Prieur dans toutes ces pratiques d'aufterités qu'ils avoient rétablies à la perfuafion de leur Abbé. Cela caufa quelque divifion dans ce Monaftere, l'Abbé de Prieres fut obligé d'y aller pour y rétablir la paix & la tranquilité, & fe crut obligé pour mieux y réüssir d'envoïer le Prieur dans un autre Monaftere jufqu'au retour de l'Abbé qui ne revint qu'au mois de Mai 1666. L'éloignement du Prieur aïant eu tout le bon fuccés qu'on pouvoit en efperer, l'Abbé de la Trape eut la confolation de trou→ ver à fon retour la même Obfervance Réguliere qu'il y avoit établie. C'eft pourquoi fe voïant tranquille dans fon Monaftere, il ne fongea plus qu'à y établir la réforme dans fa plus grande rigueur. Il y fit donc revivre tous les anciens ufages de Cîteaux. Mais comme il y avoit dans ces anciennes pratiques beaucoup de chofes qui ne convenoient pas au

tems,

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tems, il crut qu'il devoit se restraindre à la pauvreté & à la RELIGIEVI fimplicité qui s'y trouve établie, aux jeûnes, aux veilles,à la DE LA priere, aux couches dures, au travail des mains, au filence, à la nudité des pieds du Mercredi des Cendres & du Vendredi Saint,à l'abitinence des fix Vendredis de Carême, dont les trois premiers font à une feule portion, & les trois autres au pain & à l'eau,& à tout ce qu'il y a de semblables pratiques qui s'obfervent encore exactement dans ce Monaftere, & dont nous parlerons dans la fuite.

L'Abbé de la Trape ne fe contentoit pas de vivre comme fes Religieux, il encheriffoit encore fur leur pénitence. Ses jeûnes étoient fi continuels & fi aufteres qu'on ne pouvoit comprendre comment il pouvoit vivre en mangeant fi peu. IL choififfoit toûjours les travaux les plus humilians & les plus rudes, & revenoit quelquefois du travail fi fatigué qu'il ne pouvoit fe foûtenir. Il étoit toûjours le premier à l'Office, à la priere & à tous les exercices réguliers: il n'ordonnoit rien dont il ne donnât l'exemple,& il alloit même toûjours au delà de ce qu'il préferivoit aux autres.

L'Arrêt du Confeil d'Etat, qui fut rendu en 1675. & qui accordoit à l'Abbé de Cîteaux une autorité abfoluë fur les Religieux de l'étroite Obfervance, faifant apréhender à l'Abbé de la Trape qu'on n'entreprît d'affoiblir la Difcipline de fon Monaftere; afin de la mieux affermir, il propofa à ses Religieux de renouveller leurs vœux, ce qu'ils firent le vingt-fixiéme Juin de la même année, & promirent d'obferver jufqu'au dernier foupir de leur vie toutes les pratiques qui fe trouvoient établies dans leur maison, protestant de réfifter par toutes fortes de voïes legitimes à tous ceux qui voudroient, fous quelque prétexte que ce pût être, introduire dans leur Monaftere les moindres relâchemens.

La mort lui aïant enlevé en peu d'années plus de trente Religieux des plus fervens, & étant tombé lui-même dangereufement malade, le bruit s'en répandit dans le monde, & donna occafion à beaucoup de difcours. On nemanqua pas de l'attribuer à la mauvaise nourriture, aux jeûnes & aux autres aufterités : on ne garda fur cela aucune moderation, l'Abbé fut déchiré de la maniere du monde la plus étrange. Des Prélats lui écrivirent pour lui perfuader d'adoucir la pénitence & les autres aufterités de fon Monaftere

Tome VI.

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mais bien loin de faire attention à toutes ces plaintes, il s'apDE LATRA- pliqua avec d'autant plus d'ardeur à les maintenir, que les maladies qui les avoient caufées étoient ceffées. Sa fanté qui étoit rétablie ne lui fervit pas feulement à faire obferver les pratiques qu'il avoit introduites, mais elle lui donna encore le moïen de compofer plufieurs ouvrages pour leur défense: celui qui fit le plus de bruit fut fon Traité de la Sainteté & des devoirs de l'état Monaftique, qui lui attira bien des cenfeurs. On l'attaqua perfonnellement : on calomnia les motifs de fa retraite : on le traita d'ambitieux & d'hipocrite, & on le déchira par de fanglantes fatyres. Le Pere Mabillon défendit contre lui les études Monaftiques avec beaucoup de moderation. L'Abbé de la Trape lui répondit : & le Pere Mabillon donna fur la réponse de l'Abbé des réfléxions d'autant plus fortes & convainquantes pour prouver ce qu'il avance en faveur de ces études,qu'elles étoient foûtenuës par la vie exemplaire de ce fçavant Ecrivain, qui a fçu allier avec une profonde érudition,beaucoup d'humilité & de modeftie, jointes à une exacte obfervance de fes regles & des autres pratiques qui font un parfait Religieux, malgré l'oppofition que l'Abbé de la Trape met entre l'état Monaftique & l'étude qu'il prétend en être la ruine.

Le zele de l'Abbé de la Trape ne fe borna pas au dedans de fon Monaftere, il s'étendit auffi fur celui des Clairets, qui eft une Abbaïe de filles de l'Ordre de Cîteaux, fondée l'an 1213. Guillaume V. Abbé de la Trape en fut le premier Pere & Superieur immediat, & elle demeura toûjours fous la conduite des Abbés de ce Monaftere, tant qu'il en eut de Reguliers, n'étant retourné fous la filiation de Clairvaux, à laquelle elle appartient naturellement au défaut des Abbés de la Trape, que lorfque cette Abbaïe fut tombée en commende. Mais Dom Armand d'Abbé Commendataire qu'il étoit, étant devenu Abbé Régulier, devoit reprendre fur cette Abbaïe des Clairets l'autorité qu'avoient euë fes prédeceffeurs. Perfonne ne la lui difputoit: au contraire le Chapitre Général de Cîteaux de l'an 1686. le remettoit dans fon droit, & l'engageoit à prendre la direction de cette Maison. Les Abbés de Citeaux & de Clairvaux l'en preffoient: cependant, foit indiference pour cette direction, foit déference pour l'Abbé de Clairvaux qui en étoit en poffeffion depuis

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