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ORDRE DE nie qui étoit public, & rompre les mariages inceftueux qui fe FONTE- trouvoient entre les Laïques, & les concubinages scandaleux de la plupart des Prêtres.

VRAUD.

Son Evêque l'appuïoit dans de fi penibles travaux,& par fon credit & fon autorité,il le mettoit à couvert des attaques des méchans; mais ce Prélat étant mort quatre ans après, Robert privé de fon Protecteur, fe vit à la merci des ennemis que fon zele lui avoit fufcités: c'eft pourquoi afin d'empêcher le fcandale qui pouvoit arriver à son occafion, il quitta la Bretagne, & vint dans la ville d'Angers, où il enfeigna quelque tems la Theologie. Mais voulant fe consacrer entierement à Dieu, il prit la refolution d'abandonner le monde pour fe retirer dans une folitude.

Il quitta donc la ville d'Angers, & alla fe cacher avec un Compagnon dans la forêt de Craon en Anjou, vers les frontieres du Maine. La vie qu'il mena dans cette folitude fut tout-à-fait admirable: il ne vivoit que d'herbes & de racines fauvages, & pour quelque neceffité que ce fût, il ne mangeoit jamais de viande,& ne buvoit jamais de vin. Il ne portoit pas comme les autres Solitaires une tunique de peaux de chévre ou d'agneaux ; mais la fienne étoit tiffuë de poil de porc, afin de tourmenter davantage fon corps. La terre nuë lui fervoit de lit, & il n'y prenoit même du repos que lorfqu'il étoit accablé de fommeil.

Une vie fi extraordinaire fic du bruit dans le voifinage. Quoiqu'il eût pris foin de fe cacher dans cette forêt, on y accourut de toutes parts pour voir ce nouveau prodige, & la penitence qu'il prêcha comme un autre Jean-Baptifte,à ceux qui étoient venus pour le voir, fit une impreffion fi forte fur leurs efprits, que la plûpart renoncerent aux défordres de leur vie paffée, & fe rangerent fous fa difcipline: de forte que la forêt de Craon fut bien-tôt remplie d'Anachorettes. Le nombre même en devint fi grand, que Robert fut obligé de les difperfer dans les forêts voifines,comme celles de Nidde-Merle, de Fougeres, de Savigni, de Concize, & de Mayenne. Ne pouvant plus veiller feul fur un fi grand nombre de Solitaires, il les fépara en trois Colonies, dont il en retint une pour lui, & donna les deux autres à deux de fes Difciples, qu'il reconnut pour les plus parfaits: l'un fut le Bienheureux Vital de Mortain, qui fut depuis l'Inftituteur

de l'Ordre de Savigni, qui prit ce nom de l'At-baïe de Sa- ORDRE DE vigni en Normandie, comme nous le dirons ci après, & FONTEl'autre fut le Bienheureux Raoul de la Futaye, Fondateur de l'Abbaïe de faint Sulpice de Rennes en Bretagne.

VRAUD.

Le Bienheureux Pierre de l'Etoile, & le Bienheureux Firmat, voulurent auffi demeurer quelque tems dans la compagnie de ces faints Solitaires, & leur exemple fut fuivi de plufieurs autres perfonnes, dont les plus célébres furent les Bienheureux Alleaume, Fondateur de l'Abbaïe d'Estival dans le Maine, & le Bienheureux Bernard d'Abbeville, Fondateur de la Congregation de Tyron, dont nous parlerons dans la fuite. Tous les Solitaires qui étoient fous la conduite des Bienheureux Robert, Vital & Raoul, ne vivoient point d'abord en commun, ils demeuroient dans des cellules féparées: mais Robert reconnoiffant que plufieurs d'entr'eux étoient portés pour la vie Coenobitique, fit bâtir l'an 1094. un Monaftere dans la même forêt de Craon, en un lieu appellé la Roë,du côté de la Guierche,& leur dorna · la Regle de faint Auguftin. Il fut pendant un tems leur Superieur. Ils n'y vêcurent d'abord que d'aumônes,& ne mangeoient que des racines: mais aprés lui cette Maifon qui pafToit pour la plus pauvre & la plus fainte du Roïaume, quitta cet efprit de pauvreté & de mortification, & fe rendit entierement conforme à celles des Chanoines Reguliers, dont elle fuivoit la Regle.

Il fut obligé de les quitter pour aller prêcher la Croifade par ordre du Pape Urbain II. afin d'exciter les peuples à prendre les armes pour le recouvrement de la Terre-Sainte: ce qui fit qu'il fe demit de fa nouvelle Abbaïe de la Roë entre les mains de l'Evêque d'Angers, dans le Diocese duquel elle fe trouvoit. Il pourvut à fes Ermitages de la forêt de Craon, & aïant pris avec lui quelques-uns de fes Difciples, il commença à prêcher non feulement dans les villes, mais encore dans les bourgs & les villages les plus petits, un nouveau batême de penitence, qui en excitant les uns à facrifier leur vie pour la conquête des lieux arrofés du Sang de Jefus-Chrift, engageoit les autres qui n'étoient pas capables d'un fi genereux deffein, de tout abandonner pour le fuivre & fervir Dieu fous fa conduite. Le nombre de ces derniers fut fi grand, que fa charité ne lui permettant pas

ORDRE DE de les renvoïer, il leur chercha un lieu de retraite, où ils puffent travailler à leur falut.

FONTE-
VRAUD.

nes,

Sur les confins de l'Anjou & du Poitou, à une petite lieuë de la ville de Candes, célébre par le décés de faint Martin il y a de vaftes campagnes qui étoient alors toutes couvertes d'épines & de buiffons, & qu'un valon arrofé d'un petit ruiffeau féparoit en deux parties. Ce lieu qui s'appelloit Fontevraud, lui parut propre à fon deffein. Ce fut l'an 1099. que Robert commença à y bâtir quelques cellules ou cabafeulement pour mettre à couvert fes Difciples des injures du tems. Mais pour éviter le scandale qui pouvoit arriver de la confufion des deux fexes, il les fépara dans des demeures differentes, ajoûtant à celle des femmes une efpece de clôture, qui n'étoit qu'un foffé revêtu de haïes. If fit dreffer deux Oratoires, l'un pour les hommes, l'autre pour les femmes, où chacun alloit à fon tour faire fes prieres. L'occupation des femmes étoit de chanter continuellement les louanges de Dieu : celle des hommes, après leurs exercices fpirituels, étoit de défricher la terre, de travailler de leurs mains à quelques mêtiers pour les befoins de ces efpeces de Communautés. C'étoit une chose admirable de voir l'ordre & le réglement qui étoient gardés entre un fi grand nombre de perfonnes. La charité, l'union, la modestie, & la douceur s'y obfervoient inviolablement : ils ne vivoient que de ce que la terre produifoit, ou des aumônes qu'on leur envoïoit; ce qui fit que le Bienheureux Robert leur donna le nom de Pauvres de Jefus-Chrift.

L'exemple de ces nouveaux Solitaires en attira beaucoup d'autres. On voïoit des familles entieres venir demander à vivre fous la conduite de ce faint Fondateur; & il ne refufoit perfonne, lorsqu'il reconnoiffoit dans ceux qui s'adresfoient à lui, qu'ils étoient attirés par l'efprit de Dieu. Il y admettoit des gens de tout âge & de toute condition,fans ent exclure les invalides, les malades, ni même les lépreux. Cette affluence de tout le monde augmentant de plus en plus, l'obligea à faire bâtir plufieurs Monafteres,renfermés dans une même clôture Il en ordonna trois pour les femmes, l'un pour les Vierges & pour les Veuves, qui fut nommé le Grand-Moutier, & dédié en l'honneur de la fainte Vierge,où il renferma trois cens Religieufes : l'autre destiné

pour

ز

VRAUD.

pour les Lépreufes & les Infirmes, au nombre de cent ORDRE DE vingt, qui fut appellé de faint Lazare ; & il mit les femmes FONTEpécherelles dans le troifiéme, & lui donna le nom de la Magdelaine. Les hommes eurent auffi leur habitation féparée, leur aïant fait bâtir un Monaftere auprès de celui des Religieufes, qu'il dédia à faint Jean l'Evangeliste. On bâtit enfuite une grande Eglife commune pour les Monafteres laquelle ne fut achevée que l'an 1119. Tels furent les commencemens de la célébre Abbaïe de Fontevraud, dont les fondemens furent jettés peu de tems après la célébration du Concile de Poitiers qui fe tint l'an 1roo.

Jufqu'alors le faint Fondateur n'avoit prefcrit à fa Congregation aucune forme de vie qui lui fût particuliere;mais comme la charité le preffoit de fortir du defert pour aller prêcher, il voulut avant que de partir déclarer l'efprit de fon Inftitut, qu'il avoit mis fous la protection particuliere. de la fainte Vierge & de faint Jean l'Evangeliste, voulant que la recommandation que Jefus-Chrift mourant fit de Fun à l'autre, fût le modéle de la relation qu'il établissoit. entre les hommes & les femmes de fa Congregation, & que le refpect que les hommes (repréfentans faint Jean) porteroient à la Superieure Générale des femmes (qui reprefentoit la fainte Vierge) fût accompagné d'une foumiffion réelle à son autorité, la déclarant leur Superieure, tant pour le fpirituel que pour le temporel. La premiere à qui il confia la conduite de ce nouveau peuple choifi,futHerlande deChampagne, proche parente du Comte d'Anjou, veuve du Seigneus de Monforeau: il lui donna pour Affiftante & Coadjutrice, Petronille de Craon, veuve du Baron de Chemillé. Il Continua enfuite fes Miffions Evangeliques, y aïant affocié fes anciens Difciples, Vital de Mortain, Raoul de la Futaye, & Bernard d'Abbeville, qu'il avoit laiffés dans l'Ermitage de La forêt de Craon; & après que les uns & les autres eurent gagné beaucoup d'ames à Dieu, & raffemblé plufieurs DifGiples, ils les menerent dans ce même defert de Craon. Comme ils avoient également emploïé leurs foins pour leur converfion, ils les partagerent ensemble. Robert d'Arbriffel,qui étoit reconnu comme le Maître & le Chef de tous, choifit: une partie de cette fainte troupe qu'il emmena à Fontevraud Raoul de la Futaye en prit une autre, qu'il conduifit en læ Tome VI.

M

ORDRE DE forêt de Nid-de-Merle; le refte fuivit Vital dans la forêt de

FONTE-
RAUD.

Savigni. Quant à Bernard, l'Ordre qu'il reçut de l'Evêque de Poitiers d'aller au fecours des Religieux de S. Cyprien, pour une affaire qu'ils avoient avec ceux de Cluni, lui fit retarder l'établissement de fa Congregation de Tyron.

Robert après avoir fait quelque féjour dans le Monaftere de Fontevraud, alla dans le Poitou pour y continuer fes Misfions. Pierre, Evêque de Poitiers, qui connoiffoit fon merite, le reçut comme un Apôtre: il lui donna tout pouvoir dans fon Diocéle, & voïant les progrès qu'il faifoit dans les lieux où il paffoit, tant par fes prédications que par d'autres ocuvres de pieté aufquelles il s'appliquoit fans relâche, il voulut par reconnoiffance emploïer fes follicitations auprès du Pape Pafchal II. pour faire approuver par ce Pontife l'Inftitut de Fontevraud; ce qu'il obtint l'an 1106. Robert retourna à ce Monaftere pour porter à fes Filles la Bulle de ce Pape. Ce Monaftere, quoique d'une grande étenduë, ne se trouvant pas fuffifant pour y recevoir toutes les perfonnes qui fe prefentoient pour prendre l'habit de l'Ordre, le faint Fondateur fongea à faire de nouveaux établiffemens: quelques perfonnes pieufes lui aïant donné la forêt des Loges & quelques heritages dans le Diocéfe d'Angers, il y fit bâtir un petit Couvent, auquel il donna le nom de cette forêt ; & comme le revenu qui avoit été donné pour cet établissement ne fuffifoit pas pour entretenir les Filles qu'il y renferma; il ordonna que le Monaftere de Fontevraud donneroit tous les ans quelque aumône à cette petite Maison. Etant allé prêcher dans la Touraine, on lui procura un autre Monaftere dans un lieu appellé Chaufournois, & prefentement Chanftenois, & on lui en offrit un autre à Relay dans la même Province. Etant retourné dans le Poitou, Pierre Evêque de Poitiers, lui donna un lieu defert nommé la Puïe, où il bâtit un Monaftere, qui devint fi confiderable par les donations qu'on y fit, qu'il fe trouva en état d'y loger plus de cent Religieufes. Cette Maifon ne fut pas fi tot commencée, que le bruit s'en étant répandu aux environs, l'on convia le Saint d'en venir établir deux autres dans le même Diocéfe,l'une dans la forêt de Gironde, qui s'appelle aujour d'hui l'Encloître, & qui fut fondée par le Vicomte de Châtelleraut, l'autre dans une folitude écartée qu'on nomme

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