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mais il étoit alors fi avancé, & son esprit avoit déja reçu tant de Îu? miéres qu'il paffoit bien des perfonnes âgées, & beaucoup de ceux que l'on confidére dans le monde pour leur gravité & leur literature. Saint Augustin compofa vers le même tems un livre en forme de Dialogue, intitulé Du Maître. Adeodat & lui font les deux Perfon. nages qui s'y entretiennent, & il prend Dieu à témoin que tout ce qu'il fait dire à fon fils dans cet ouvrage eft entiérement de lui quoi qu'il n'eût alors que feize ans. Saint Augustin ajoute qu'il avoit vû de cet Enfant plufieurs chofes encore plus admirables que ce que nous venons de rapporter. Enfin tout Efprit fort qu'il étoit, il déclare que la grandeur de l'Esprit de fon Fils l'épouvantoit (1). Adeodat reçut la grace du Batême avec fon Pere, & il mourut peu de tems après: Saint Auguftin prétend que c'eft Dieu qui voulut l'enlever de ce monde pour le préferver des fautes où il auroit pûtomber s'il avoit vécu plus long-tems. C'eft, Monfieur, la réponse que nous ferons à ceux qui viendront nous alléguer l'éxemple d'Adeodat pour nous perfuader que l'étude affaffine les Enfans, & qui voulant pindariser avec Mr Godeau (2) nous objecteront en ftyle de Balzac, que co fruit ne pouvoit pas fe conferver, parce qu'il étoit devenu trop tôt mur.

1 Horrori mihi erat.

2. Hift. de l'Egl. 4. fiécl. liv. 4. an. de J. C. 388

20 bis.

ARABES ou MAHO METANS..

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Armi les différences qui fe trouvent entre la véritable Religion & les Sciences, vous devés compter que celle là ne te borne point au choix d'un Peuple ou d'une Nation à l'exclufion d'une autre; mais qu'elle fe répand indifféremment parmi les Barbares, comme fur les Etats bien difciplinés: au lieu que cellesci ne trouvant point d'accès ni de retraite chés les Barbares, suivent ordinairement la police des pays que les loix & le bon ordre rendent floriffans. C'eft en quoi les anciens Grecs & les anciens Romains nous ont fait voir le défaut de leur raifonnement, lorfqu'ils prenoient pour Barbare tout ce qui n'étoit point Grec ou Romain (1). La véritable Religion, fuivant la fituation où nous voyons le Genre Humain, eft un établiffement de Rédemtion plutôt que de Créa

1 Barbare marquoit d'abord tout ce qui toire à la politeffe. n'étoit point Grec, & n'étoit pas contradic-

tion: mais les Sciences font du nombre de ces libéralités naturelles que le Créateur a répanduës indifféremment fur tous les Peuples qui ont voulu les recevoir. Nous en avons vu des éxemples dans le Paganifme, nous en pouvons voir auffi dans le Mahométifme: c'eft-àdire devant & après l'établissement de la véritable Religion. Dès que les Mahometans fe font tirés de la Barbarie par le fuccès de leurs armes, on les a vûs cultiver toutes les connoiffances humaines qui peuvent perfectionner l'efprit avec tant d'ardeur & de progrès, que l'on doute présentement i les Grecs & les Romains font allés plus loin que les Arabes, & s'il y a moins de Livres écrits en la Langue de ces derniers qu'en celles de ces premiers. Il n'eft pas croyable que parmi tant de belles lumiéres, il n'y en ait pas une qui leur ait fait yoir l'importance qu'il y a d'appliquer de bonne heure l'efprit des Enfans à l'étude.

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AVICENNE.

E feul ABO ALI fils de Sina, que nous appellons par corruption AVICENNA, pourroit peut-être nous répondre pour les autres. Ce célébre Perfonnage, dont nous ne parlerons ici que fur la foi d'Abu l-Faraje (1), étoit de Bochar en Afie (2), où lon pere qui demeuroit à Belche étoit venu s'habituer. Il naquit pourtant dans le village d'Aphshana, où Sina étoit allé épouser la mere qu'il ne mena à Bochar qu'après fes couches. Il étoit encore petit Enfant lorfque fon pere le mit fous la conduite d'un Précepteur qui le fit fibien étudier, qu'à l'âge de dix ans il favoit tout l'Alcoran & la plus grande partie de ce que nous apppellons les Humanités. Son pere l'envoya enfuite chés un célébre Jardinier, qui étoit en réputation de favoir parfaitement l'Arithmétique des Indiens, outre l'Aftro, nomie, la Géométrie & les autres parties des Mathématiques qui s'éxerçoient parmi ces Peuples. Le petit Avicenne acquit en peu de tems toutes les connoiffances du Jardinier. Peu de tems après un Philofophe de profeffion nommé Abu Abdalla de Natel étant venu à Bochar, Sina le reçût chés lui, & le logea dans l'espérance qu'il apprendroit la Philofophie à fon fils. Il ne fut point trompé. Avicenne prit d'abord des leçons de Logique fous lui. Mais l'Ecolier non

Greg. Abul-Phar. Hiftor. Dynaft. ex yerf. Eduard, Pococh. pag. 219. & feqq. 2 Bochar ou Bachara eft une ville au

delà de la mer Cafpienne ou de Bacchu dans le Zagathay, entre la grande Tartarie & la Perfe.

Avicenne.. content de rafiner en fubtilités fur le Maître, voulut fe mettre à la lecture des Originaux de Philofophie fans le fecours de fon Maître ; il les étudia feul, il lut encore leurs Commentateurs par-deffus, & en ufa de même à l'égard d'Euclide après que fon Maître lui eût montré les cinq ou fix premiéres Propofitions de cet Auteur qu'il comprit, & expliqua fort bien tout feul. Il paffa enfuite à l'Almagefte ou Grande conftruction de Ptolemée (1), & ce fut alors que fon Maître Abdalla l'abandonna, comme ne lui pouvant plus rien montrer.. Avicenne fe donça enfuite à la Médecine, il lût les Livres qui en traitoient, & pour joindre l'expérience à l'étude, il fe mit à vifiter les malades. Tout cela eft bien furprenant, fans doute, mais il est encore plus furprenant d'apprendre qu'Avicenne n'avoit alors que feize ans. Il continua depuis d'étudier avec la même force & la même perfévérance. Il avoit reçû de la Nature pour cela une grande fanté, & une compléxion bien robufte. Après avoir employé la meilleure partie du jour à l'étude, il paffoit encore bien avant dans la nuit : & il nous apprend lui-même que lorfqu'il étoit attaqué du fommeil ou qu'il fentoit un peu fes forces diminuer, il avoit coutume de prendre un verre de vin pour fe remettre, & continuoit fon étude comme auparavant. Il ajoute que s'il arrivoit quelquefois qu'il fuccombât au fommeil, il ne manquoit jamais de réver en dormant fur la difficulté où le fommeil l'avoit furpris, & en trouvoit fouvent la folution à fon réveil. Bien plus, admirés la piété d'un jeune Mahometan! Quand il voyoit que fon efprit n'avoit plus rien à faire pour la recherche: d'une vérité à la pourfuite de laquelle il avoit épuifé fes forces, il avoit recours à la Vérité éternelle, il s'en alloit droit au Temple, fe profternoit devant Dieu, & lui faifoit fa priére pour en obtenir les lumiéres qui lui étoient néceffaires pour l'intelligence de ce qu'il cherchoit. Si l'on s'en rapporte à ce qu'il en a écrit, il n'en revenoit jamais mal fatisfait, & remportoit toujours l'effet de fa prière. Lorf-qu'il voulut étudier la Théologie, il commença par la Métaphyfiques d'Ariftote, qu'il lût quarante fois fans l'entendre, & il la favoit toute par cœur, fans favoir néanmoins de quel ufage elle pouvoit être. Il défefpéroit d'y pouvoir jamais rien comprendre, lorsqu'allant chés les Libraires, il trouva un Marchand qui lui présenta un Livre dont il fouhaitoit de fe défaire. Avicenne voyant que c'étoit de la Métaphyfique, le rejetta avec quelques fentimens de mépris & d'indignation, dans la penfée qu'il n'y avoit rien de plus obfcur ni de pluss

Je penfe avoir déja remarqué qu'en François il faut dire Ptolomée. S

inutile

inutile que cette connoiffance. Le Marchand redoubla fes inftances, & pour l'engager à prendre fon Livre, il le mit à un prix fort bas. Avicenne l'eut pour trois drachmes, & il reconnut que c'étoit un Traité d'Al-Farabe touchant la fin & l'objet de la Métaphysique. Erant retourné chés lui, il le lût, & le comprit fort bien: de forte que tout joyeux de fa bonne fortune, il fit l'aumône aux Pauvres en efprit de reconnoiffance envers Dieu. Vous voyés, Monsieur, qu'il n'eft pas impoffible de trouver parmi les Mahometans comme parmi les Païens, de quoi former à la jeuneffe Chrétienne des modéles, non feulement d'étude & de fcience, mais encore de piété & de vertus morales; & qu'il eft fort à craindre que Dieu ne fufcite un jour les enfans des Gentils & des Infidéles contre les enfans des Chrétiens en la maniére que JESUS-CHRIST a dit, que les Habitans de Tyr & de Sidon s'éléveroient au jour du jugement contre ceux de Galilée & de Judée. Pour finir ce que nous avons à dire d'Avicenne, nous remarquerons qu'il n'étoit encore âgé que de dixhuit ans, lorfqu'il mit fin à toutes les études dont nous venons de parler; qu'il perdit fon pere vers le même tems; que n'ayant plus rien à étudier que le train du monde, il voulut bien entrer dans les affaires & dans les emplois, & qu'il fe mit pourtant dès-lors à faire des Livres fur toutes fortes de fujets. Il mourut l'an de l'Hegire 428.qui revient à 1036. de notre Epoque, à commencer l'année le 25. jour d'Octobre,comme faifoit alors la 428. de l'Hegire, fi l'on n'intercale point d'Embolimées folaires (1). Avicenne avoit pour lors cinquante-huit ans : il fut enterré à Hamdan, dans la Province d'Ayrack. en Perse.

1 C'eft l'an Lunaire.

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MODERNE S.

Affons en Europe, & voyons fi l'on a été moins curieux dans cette partie de la Terre qu'en Afie ou en Afrique de cultiver l'enfance par les travaux de l'Etude. L'obfcurité & l'incertitude de l'histoire que nous avons pour les tems qui ont précédé le rétabliffement des Lettres & des beaux Arts ne nous permettent pas de faire beaucoup de fonds fur ce qu'elle nous a pû débiter touchant ce qu'il y a eu d'extraordinaire dans les études & l'éducation de la Tome VI. F

jeuneffe, jufqu'au fiécle de Petrarque. Nous pourrions encore fans nous faire beaucoup de tort, abandonner aux ennemis de l'Etude tout ce qui s'eft pû rencontrer dans la fuite jufqu'au tems du Prince de la Mirande & de Politien.

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HELI O T.

Left vrai que l'on apperçoit fur cette route un NICOLAS HELIOT, que l'on promenoit par la France comme le prodige. du quatorziéme fiécle. Il n'avoit pas vingt ans (1), lors qu'en 1343. (2) on le fit monter fur le théatre des fciences le plus exhauffé de l'Europe, qui étoit alors l'Univerfité de Paris, pour le faire voir au Public. La falle du Collége de Navarre fut choifie pour recevoir les preuves de fa capacité & de fon favoir. Il les donna dans des difputes & dans des réponses, qui parurent fi extraordinaires, qu'au rapport de Mr Naudé (3) toute l'Univerfité au milieu de fon étonne

1 Adolefcentulus.

2 Ce Nicolas Héliot que, fur la foi de Léon Allacci, Baillet fuppofe avoir vécu l'an 1343. vivoit l'an 1628. comme je le vais incontestablement prouver. Nous avons de Gabriel Naudé un traité panégyrique de antiquitate & dignitate Schola Medice Parifienfis, in-89. à Paris chés Jean Moreau, à la fuite duquel font neuf paranymphes compofés par le mème Naudé à l'honneur de neuf Licenciés en Médecine reçus Docteurs le 2. Juillet de la mème année 1628. en la Faculté de Paris. De ces neuf le fiziéme en nombre eft juftement ce Nicolas Héliot Parifien dont il s'agit. Naudé en général le repréfente très jeune, fans néanmoins fpécifier quel age préCifément il avoit du refte il l'éxalie à fa maniére autant qu'il peut, le comparant au Soleil par une allufion pué---rile d'Héliot à mazos, & l'oppofant feul à plufieurs jeunes favans plus célébres, tels que Pic de la Mirande, Tibére Ruffilien, Paul Scalik, Jaques Critton, Edouard du Monin, mème à celui que Paquier, dont il cite en marge les Recherches, dit ètre venu, l'an 1445, à Paris, où il difputa dans la falle du Collège de Navarre fur toutes fortes d'arts & de fciences, & s'y fit admirer par les Maitres les plus habiles. Efferant ce font les termes de Naudé, Itali Picum Mirandulanum, Calabri Tiberium Ruffilianum,

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A

Germani Paulum Scaligium, Scoti Jacobum Crit tonium, Galli Edoardum Moninum. Stupefcant alii ad iftius juvenis dæmonium potius quam iugenium, quem 20. circiter annos in aula Navarra a

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difputantem anno 1445. Philofophum, Medicum, J. U. prudentem, Theologum, linguarum peritum, artium omnium cum liberalium, tum mechanicarum fcientem, Parifienfis Academia vidit & admirata eft. Ego Heliotum unum his omnibus miraculis tanquam Deum opponam. On ne comprend pas comment, nonobftant des paroles fi claires, Leon Allacci page 146. de Les Apes Urbana avoit pu écrire ce qui fuit. Ni colaus Heliotus (ut tradit Gabriel Naudaus in Panegri de antiq.& digni. Schole Medica Parif. pag. 111.) 20. circiter annos natus, in aula Navarria difputans anno 1343. Philofophus„Medicus, J. U. prudens, Theologus, linguarum peritus, artium omnium, cum liberalium, tum mechamcarum fciens, cum fumma Academie Parifienfis admiratione compertus eft. Naudé, qui étoit alors à Rome, s'étant apperçu de cette bévue en avertit fon ami Leon, ce qui donna lieu à la correction qui fe voit à l'errata, où au mot Nicolaus Heliotus, on a substitué Alius juvenis. A quoi Baillet n'ayant pas pris garde a retenu tout au long cette faute qui

eft énorme.b

3. G. Naud. paneg. de ant. & dign. Schol Med. Parif. pag. 111. Item ex co L. All Ap. Urb. pag. 146.

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