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La deffus le Peintre lui voulut perfuader qu'un Cheval tout feul n'auroit pû faire qu'un très-mauvais effet dans un fi grand tableau, au lieu que les ornemens dont il l'avoit accompagné lui donnoient beaucoup de relief. D'ailleurs, ajoûta-t’il, je n'ai pas cru devoir laiffer le Cheval fans felle & fans bride, & celles que j'ai faites font telles que je ne les troquerois pas contre d'autres toutes d'or. Encore une fois dit l'Etranger,je ne vous ai demandé qu'un Cheval,& je veux bien vous payer le vôtre comme bon. A l'égard de la felle & de la bride, vous n'avez qu'à les vendre à qui vous voudrez. Ainfi l'ouvrier, pour avoir plus fait qu'on n'avoit éxigé de lui, ne fut pas payé de fa peine.

Qu'il y a de Peintres femblables dans le monde! On ne leur demande fimplement qu'un Cheval, & ils veulent abfolument faire une felle & une bride. Encore une fois les Commentaires font à la mode & l'on n'épargne perfonne. Juge Lecteur, fil l'on a refpecté mes Parens.

CHAPITRE II.

Quels furent les Parens de Guzman & particulierement fon Pere..

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Es Ayeux & mon Pere étoient originaires du Levant; mais je les appellerai Gencis,attendu que s'étant venu établir à Genes, ils y furent agregez à la Noblef fe. Ils s'attacherent au Négoce du Change & du Rechange, Emploi ordinaire des Nobles de cette Ville. Il eft vrai qu'ils s'en acquitterent de façon, qu'ils furent bientôt décriez. On les accufa d'ufure. Ils prétoient, difoit-on, de l'argent à gros interêts fur de bonne argenterie pour un tems. limité, paffé lequel, les gages, fi l'on n'avoit pas été exact à les retirer, leur ref toient: Quelquefois même ils payoient de, défaites les perfonnes qui venoient pour, les reprendre dans le tems marqué, & l'on étoit prefque toûjours obligé de les арpeller en Juftice pour les r'avoir.

Mes Parens s'entendirent plus d'une fois reprocher ces infamies; mais comme ils étoient prudens & pacifiques, ils alloient toûjours leur train. Ils laiffoient parler les médifans. En effet, quand on fait bien pourquoi s'embarraffer du refte? Mon Pere frequentoit les Eglifes, portoit un Ro

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faire de quinze dixaines & dont les grains étoient plus gros que des noizettes. Il falloit le voir à la Meffe. Humblement prof terné devant l'Autel, les mains jointes & les yeux tournez vers le Ciel, il pouffoit des foupirs avec tant d'ardeur qu'il inspi roit de la dévotion à tous ceux qui fe trou voient autour de lui. N'eft-ce pas lui faire une horrible injuftice que de croire fur de fi beaux dehors, qu'il étoit capable des vilain trafics dont on l'accufoit. Ce n'eft point aux hommes, mais à Dieu feul qu'il appartient de juger du cœur d'un homme. J'avoue que fi pendant la nuit je voyois un Religieux armé d'une épée entrer par une fenêtre dans une maison suspecte, je pour rois le foupçonner de n'avoir pas de bonnes intentions; mais que l'on taxe d'hypo crifie un homme en lui voyant faire des actions Chrétiennes; c'eft une malignité que je ne puis fouffrir.

Quoique mon Pere fe fût bien promis de méprifer tous les bruits qu'on fai foit courir de lui dans Genes, il n'en eut pourtant pas toûjours la force. Pour les faire ceffer, ou du moins pour ne les plus entendre, il réfolut de s'éloigner de cette Ville. Il eut encore à la verité, un autre fujet de prendre cette réfolution: Il aprit que fon Correfpondant à Seville

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venoit de faire banqueroute & lui emportoit une fomme affez confiderable. A cette fâcheufe nouvelle, voulant courir après le fripon, il s'embarqua fur le premier Vaiffeau qui partit pour l'Efpagne. Mais pour fon malheur il rencontra des Corfaires d'Alger qui le firent Efclave avec toutes les perfonnes qui étoient avec lui.

Le voilà donc dans les fers fort affligé d'avoir perdu la liberté & de fe voir hors d'efpérance de ratraper fon argent. Dans fon defefpoir il prit le Turban, & par desmanieres infinuantes qui produifent par tout un bon effet, ayant eu le bonheur de plaire à une riche Dame d'Alger, il l'époufa.

Cependant on apprit à Genes qu'il avoit été enlevé par des Pyrates, & cette nou velle parvint jufqu'aux oreilles de fon Correfpondant à Seville. Ce voleur en eut d'autant plus de joye qu'il crut le Genois en efclavage pour toute fa vie. Ainfi fe tegardant comme débaraffé d'un homme qui étoit fon principal Créancier & fe voyant de l'argent de refte pour fatisfaire les autres, tant bien que mal, il ne tarda guere à s'accommoder avec eux. De forte qu'après avoir payé fes dettes, fuivant le tarif des banqueroutiers, il fetrouva plus en état que jamais de reprendre fon premier train.

D'une autre part, mon Pere fans ceffe occuppé de la banqueroute de fon Corref pondant, ne manquoit pas d'écrire en Es pagne toutes les fois qu'il en avoit occa fion. Il aprit un jour que fon débiteur avoit rajufté ses affaires & qu'il étoit dans une plus belle paffe qu'auparavant. Cela réjouit un peu notre Captif, qui fe flatta dès ce moment d'en tirer pied ou aifle. Il eft vrai qu'il avoit endoffé l'habit Turc & pris pour femme une Algerienne; mais rien ne lui paroiffoit plus aifé que de fortir de cet embaras. Il commença par perfuader à la Dame de faire de l'argent comptant de tous les effets, parce qu'il avoit envie, lui dit-il, de fe mettre en état de commercer. A l'égard des Pierreries qu'elle pouvoit avoir, il n'étoit nullement en peine de les lui ravir, fans qu'elle eût le moindre foupçon de fon deffein.

Lorfqu'il eut tout difpofé pour faire fon coup de ce côté là, il ne fongea plus qu'à s'affurer de quelque Capitaine Chrétien qui voulût bien par compaffion & pour quelque argent le jetter fur les côtes d'Efpagne, & il fut affez heureux pour en rencontrer un. C'étoit un Anglois, homme très-pitoyable & fort pieux, comme ceux de fa nation le font pour la plupart. Ils prirent ensemble de fi juftes inefures que

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