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blesse de mon âge ne me permettoit pas de me fervir de mes mains auffi bien qu'eux, j'aurois eu peurde part à l'heritage du défunct, fi je n'avois pas eu dans ma Mere une perfonne fort propre à fuppléer à ce défaut. Mais c'étoit une femme d'Andaloufie, c'est tout dire. Elle n'avoit point attendu, , pour faire fon paquet, que le vieillard fût mort. Dès qu'elle l'avoit vû abandonné des Medecins, elle s'étoit faifie du plus beau & du meilleur, ne laiffant à mes coheritiers que des guenilles. Etant maîtreffe dans la maison & ayant les clefs de tout, il lui avoit été facile de divertir les effets les plus précieux. Le jour qu'il mourut, on fit un ravage effroyable dans fa maison. Dans le tems qu'il rendoit l'ame, on lui prit jufqu'aux draps de fon lit. Dans fes derniers momens tout fut pillé & enlevé. Il ne reftoit que les quatre murailles, lorfque les Parens arriverent la gueule, comme on dit enfarinée. Ils eurent beau regarder par tout, ils virent bien qu'on les avoit prévenus, & il leur fallut encore par honneur faire les frais des funerailles. Elle furent, je l'avouë, très modeftes & l'on n'y répandit point de larmes. On ne pleure pas les morts qui ne laiffent rien. C'eft aux heritiers feuls à paroître affli gez. Ils font payez pour cela.

Les Parens du Commandeur avoient pourtant compté fur une tiche fucceffion. Ils ne pouvoient comprendre comment un homme qui avoit plus de quinze mille livres de rentes en Bénéfices mouroit dans un état fi miferable. Ils avoient vû fa maifon meublée d'une maniere convenable à fa qualité. Ils ne douterent point qu'on n'eût volé fes effets. Ils firent faire, fur cela de grandes informations. Peine inutile! Ils eurent recours enfuite aux Monitoires qui furent affichez aux portes des Eglifes où ils font encore. Les Voleurs ont l'eftomac bon, ils ne rendent jamais ce qu'ils ont pris. Les Excommunications ne les épouvantent point. Après tout, ma Mere avoit une très-bonne raison pour poffeder fans inquietude les nippes du Commandeur: Car peu de tems avant qu'il mourut, il lui difoit quelquefois quand il vifitoit fon coffre-fort ou fes bijoux, ou qu'il faifoit emplette de quelque beau meuble: Tenez, mon cher cœur, tout ceci vous appartient. Quand ces donnations, qu'elle regardoit comme faites en bonne forme, n'auroient pas été capables de lui mettre la confcience en repos, elle croyoit qu'une jolie femme qui avoit pû fe refoudre à paffer quelques années avec un vieillard dégoutant, méritoit bien d'en

être l'heritiere. Auffi d'habiles Docteurs qu'elle confulta fur ce point leverent tous fes fcrupules, en l'affurant que c'étoit une chofe qui lui étoit dûë.

CHAPITRE IV.

Le pere de Guzman se marie & meurt pcu de temps après fon mariage. Suites de cette mort.

AB

PRE's la mort du Commandeur, à qui Dieu faffe mifericorde, fa chafte veuve eut un galand & moi un pere tout retrouvé dans la perfonne du Genois; qui devint à fon tour le patron de la cafe. Cette habile femme avoit eu l'adreffe de leur perfuader à tous deux en particulier que j'étois leur fils, tantôt en difant à l'un que j'étois fa vivante image, & tantôt en difant à l'autre que lui & moi nous nous reffemblions comme deux œufs. Heureusement je ne pouvois manquer d'ê tre d'un fang noble, foit que je duffe mon exiftance au Commandeur, foit que je fuffe de la façon du Genois. Pour du côté ma ternel, je fuis d'une nobleffe incontestable. J'ai cent fois oui dire à ma mere que mon ayeule qui toute fa vie s'étoit piquée

dc chafteté comme elle, comptoit parmi ses alliez tant d'illuftres Seigneurs, qu'on auroit pû faire de fa famille un arbre généalogique auffi grand que celui de la Maifon de Tolede.

Malgré tout cela, je ne voudrois pas jurer que ma difcrete mere n'eût point un troifiéme galand de race roturiere : une femme qui ne fe fait pas une affaire de tromper un homme, eft bien capable d'en tromper deux. Mais par inftinct ou fur la bonne foi de ma mere, j'ai toujours regardé le noble Genois comme le véritable auteur de ma naiffance. Je puis t'affurer que de fon côté, mon pere ou non, il nous aimoit ma mere & moi avec une extrême tendreffe. Il le fit affez connoître par la réfolution hardie qu'il s'avifa de prendre: il refolut d'époufer cette Dame, que l'on appelloit dans Seville la Commandeufe. Il n'ignoroit pas la réputation qu'elle avoit, ni qu'il alloit fe faire montrer au doigt dans la Ville. Qu'importe? c'étoit un homme qui fçavoit bien ce qu'il faifoit. Dès le tems qu'il lia connoiffance avec elle, fes affaires commençoient à fe gâter, & cette galanterie ne fervit pas à les ameliorer. LaDame qui étoit fort ménagere & encore plus friponne, avoit fibien fçu mettre à profit les faveurs qu'elle avoit accordées, B. iiij

qu'elle poffedoit au moins dix mille bons ducats. Avec une fomme fi confiderable mon pere fe fauva d'une nouvelle banqueroute, qu'il étoit fur le point de faire, & fe trouva plus en état que jamais de figurer parmi les gros Négocians. Il aimoit le fafte, l'éclat & le bruit. C'étoit là fa paffion dominante; mais comme il ne pouvoit la fatisfaire long-temps fans retomber dans le même embarras d'où l'argent de ma mere l'avo' tiré, il arriva quelques années après fon mariage, qu'il fe vit obligé de faire fa derniere banqueroute. Je dis fa derniere, car fe voyant alors fans reffource & dans l'impuiffance d'entretenir fa famille fur un bon pied, il aima mieux fe laiffer mourir de chagrin, que de furvivre à fa profperité.

La vie eut plus de charmes pour ma mere, qui foutint avec affez de fermeté le changement de notre fortune. Cependant la mort de mon pere l'affligea vivement. Nos maifons n'étoient plus à nous : il

avoit fallu les abandonner aux Créanciers. Il ne nous reftoit de tous nos biens que quelques bijoux avec une grande quantité de meubles affez beaux, ma mere en fit de l'argent & prit le trifte parti de fe retirer dans une petite maifon pour y vivre tranquilement. Ce n'eft pas qu'elle n'eut pû foutenir encore notre ménage par de

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