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du fecret que le vieux Cordouan m'avoit enfeigné.

Ayant donc mis ma jambe dans un état à me raporter, à ce qui me sembloit, autant qu'une bonne vigne, j'allai me poster avantageufement à la porte d'une autre Eglife. Là commençant d'une voix dolente à vouloir exprimer les douleurs que me caufoit mon ulcere, je m'attirai les yeux des perfonnes qui paffoient. Il me parut même que j'excitois leur compaffion, quoique mon vifage vermeil, car j'avois negligé de le rendre pâle, démentit mes plaintes & dût infpirer de la défiance; mais les bonnes gens n'y regardent pas de fi près, & je recevois plus d'aumônes feul que tous les autres Gueux qui étoient là & qui m'auroient voulu au Diable avec mon ulcere.

Le Gouverneur, pour mes pechez s'avifa de venir entendre la Meffe dans cette Eglife. Il jetta la vûë fur moi & me reconnut à la voix. Il lui auroit été impoffible de me démêler autrement, puisque j'avois alors la tête enveloppée d'une ferviette qui me defcendojt jufques fur le nez. C'étoit un homme qui avoit de l'efprit & beaucoup d'experience. Dès qu'il m'eut remis, je m'imagine qu'il dit en lui-même: Depuis quatre jours que j'ai vu ce drôle-là, fe peut-il qu'il lui foit venu un ulcere à la

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jambe? Il y a quelque chofe là-deffous approfondiffons un peu cela: Mon ami me dit-il; en m'adreffant la parole, vous êtes tout nud votre mifere me touche, fuivez-moi, je veux vous faire donner une chemise.

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J'eus l'imprudence de lui obéïr fans le foupçonner d'aucun mauvais deffein; car pour peu que je me fuffe douté de celui qu'il avoit, je te réponds que malgré les gens de fa fuite je me ferois dérobé au châtiment qu'il me préparoit. Lorfque nous fûmes arrivez chez lui, il m'envisagea d'un air fi froid & fi fevere que j'en conçus un malheureux préfage; puis il me demanda fi ce n'étoit pas moi qu'il avoit vû à la porte d'une Eglife la tête couverte de tigne. Je pâlis à cete queftion & n'eus pas la hardieffe de répondre que non. Là-dessus il voulut voir ma tête & n'y remarquant pas la moindre apparence de tigne, il me dit: Aprends-moi par quel remede fingu lier tu t'es guéri fi parfaitement du mal que tu avois il y a quatre jours. De plus,ajoûtat-il, je ne conçois pas comment, avec le vifage rubicond que je te vois, tu peux avoir un ulcere à la jambe : Seigneur, lui répondis-je, tout déconcerté, & ne fçachant ce que je difois, Je l'ignore.... Mais c'eft Dieu qui le veut ainfi.

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Je fus encore plus troublé quand je l'entendis ordonner à un de fes Laquais d'aller chercher un Chirurgien. Je compris ce que cela fignifioit, & j'aurois fait une tentative pour me fauver fi la porte n'eut pas été fermée; mais elle l'étoit, & il n'y avoit pas moyen de m'échapper.Enfin le Chirur gien arriva. Il examina ma jambe & tout habile homme qu'il étoit, il y auroit peut être été trompé, fi le Gouverneur ne lui eut dit tout bas les raifons qu'il avoit pour me croire un fourbe. Après celaleChirurgien eut peu de peine à découvrir la ve rité. Il obferva de nouveau l'ulcere & dit d'un air de capacité. Ce Mandiant n'a pas plus de mal à la jambe que j'en ai à l'œil. Qu'on m'apporte de l'eau chaude & je vous prouverai ce que j'avance. On fir auf fi-tôt chauffer de l'eau, avec quoi le Chirurgien me lava & frotta la jambe, qui devint en un inftant fi nette & fi faine que je n'eus pas le petit mot à dire pour m'excufer.

Alors le Gouverneur jugeant qu'il étoit de fon devoir de récompenfer mon adreffe, me fit donner la chemife qu'il avoit eu la bonté de me promettre. Elle me fut appliquée fur la peau dans le moment par un vigoureux Domeftique qui me compta trente bons coups de fouet pour les frais

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de mon voyage, Après quoi l'on me pria de fortir de la ville fur le champ, en ni'af furant que j'en recevrois bien davantage fi je m'avifois d'y revenir. Il y avoit du fuperflus à me défendre de remettre le pied dans Gaëte, il fuffifoit pour m'en ôter l'envie que j'y euffe été fi bien traité. Je m'é loignai donc promptement de cette maudite ville en ferrant les épaules, & je regagnai le plutôt qu'il me fut poffible les terres du Pape. Je donnai mille bénedictions à ma chere Rome dès que je l'apperçus. Je pleurai de joye en la revoyant & fouhaitai d'avoir les bras affez longs pour l'embraffer.

J'allai rejoindre mes camarades à qui je me gardai bien de faire part de mon équipée. S'ils l'euffent fçue ils fe feroient longtems mocqué de moi, d'avoir été de gayeté de cœur me faire foüetter à Gacte. Je leur dis feulement que j'avois parcouru par curiofité quelques Villages voifins; mais qu'il me fembloit que hors de Rome il n'y avoit point de falut pour les gens de notre efpece. J'avois effectivement fait une grande folie de quitter cette Ville de benediction,où nous étions fi bien nourris & où nous recevions tous les jours quelques menuës monnoyes. Grain à grain la Poule remplit fon ventre. Nous amaffions notre

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argent, & après l'avoir converti en or, nous le portions coufu à nos vêtemens fous des pieces qui cachoient quelquefois de quoi acheter un habit neuf. On pouvoit dire que nous étions tout coufus d'or. Il y avoit parmi nous de vieux coquins qui portoient fur eux des tréfors. Les Pauvres font avares & cruels; ils poffedent ces deux vices au fuprême degré. Je puis te citer un exemple fort fingulier de leur avarice & de leur cruauté, en t'apprenant l'Histoire d'un Gueux que j'ai connu; elle eft affez curieufe pour mériter d'être racontée.

Un pauvre Mandiant Genois, nommé Pantalon Caftelleto, s'étant marié à Flo rence, eut de fon mariage un fils qu'il fe propofa de mettre en état de vivre fans être obligé de travailler ni de fervir. Pour cet effet abufant de la facilité qu'il y a de difloquer & de rompre les membres délicats d'un enfant nouveau né, il eut la barbarie d'eftropier le fien. Peut-être, Lecteur, vas-tu m'arrêter dans cet endroit pour me dire que ce n'eft pas une chofe fort extraordinaire aux Gueux. J'en demeure d'accord, les Mandians de toutes les Nations du monde font fujets à cette inhumanité pour exciter la compaffion des peuples. Mais notre Pantalon, comme Genois, voulut furpaffer tous les peres là

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