Imágenes de páginas
PDF
EPUB

deffus; il défigura fon fils de telle façon, qu'il en fit un monftre fans pareil. Ce malheureux enfant, en qui tout étoit contrefait, à l'exception de la langue & des bras aufquels on n'avoit pas touché, étant forti de l'enfance, alloit par les rues dans une efpece de cage fur un petit Afne qu'il conduifoit lui-même avec fes mains.

Si fon corps n'avoit pas la forme humaine, en récompenfe fon efprit étoit excellent. Il en donnoit des marques à mesure qu'il avançoit en âge. Il faifoit fur tout des reparties fi plaifantes & fi fpirituelles, que

tout le monde en étoit charmé. Il recevoit de grandes aumônes, qu'il ne devoit pas moins à la gentilleffe de fon efprit qu'à la pitié que fa perfonne infpiroit. Fait comme il étoit, il ne laiffa pas de vivre foixantedouze ans, après lefquels il tomba malade, & fentant bien qu'il mourroit de sa maladie, il rentra en lui-même, demanda pour Confeffeur un habile & bon Religieux qu'il connoiffoit; & s'étant entretenu avec lui de fes affaires tant fpirituelles que temporelles, il fit venir un Notaire, & lui dicta fon Teftament dans ces termes : Je laiffe mon Ame à Dieu qui l'a créée, mon corps à la terre,

je veux être enterré dans ma Parroiffe. Item, J'ordonne que mon Afne foit vendu, & que l'argent qui proviendra de cette vente foit employéà

payer les frais de mon Enterrement. Pour le Baft, je le légue au Grand Duc mon Seigneur, à qui il appartient de droit, & que je nomme Exécuteur teftamentaire, & mon héritier univerfel.

Ce Gueux mourut peu de jours après, & fon Teftament rendu public devint le fujet de tous les entretiens de la ville de Florence. Tout le monde ayant connu le défunt pour un homme qui avoit été toute fa vie un plaifant & un rieur, s'imaginoit qu'il n'avoit fait cet acte qui paroiffoit burlef que, qu'afin de faire encore après la mort rire le Public. Mais le Grand Duc en jugea tout autrement. Comme il avoit cent fois entendu parler du Teftateur & de fon bon efprit, il foupçonna que le Teftament n'étoit pas fans myftere. Pour s'en éclaircir, il fe fit apporter dans fon Palais le Baft dont il avoit ferité. Il ordonna qu'on le défît en présence de toute la Cour, qui ne fut pas peu furprise d'en voir fortir diverfes piéces d'or jufqu'à la valeur de trois mille fix cens écus de quatre cens maravedis chacun. On fçût après cela que c'étoit par l'avis de fon Confeffeur qu'il avoit ainfi difpofé de fon bien, dont le Grand Duc en Prince juste & pieux, fit un très-bon ufage, puifqu'il l'employa tout entier à fonder quelques Meffes à perpétuité pour le Teftateur.

CHAPITRE VI.

De la Compaffion que Guzman fit à un Cardinal, & quelle en fut la fuite.

U

N beau jour m'étant levé de grand matin fuivant ma coutume, j'allai m'affeoir à la porte d'un Cardinal qui paf foit pour un des plus charitables de Rome. J'avois pris la peine de faire enfler une de ́ mes jambes, fur laquelle on voyoit un ulcere à braver l'examen des plus clairvoyans Chirurgiens. Je n'avois pas oublié pour le coup de rendre mon vifage pâle. Je n'aurois pas été excufable de faire deux fois la même faute. Je frappai bien-tôt l'air des plus triftes accens que ma voix pouvoit former, & demandant douloureusement l'aumône, j'attendris plufieurs Domestiques qui entrerent ou fortirent. Ils me donnerent quelque chofe. Mais je ne faifois que pelotter en attendant partie. C'étoit au Maître que j'en voulois. Il parut enfin. Sitôt que je l'apperçûs, je redoublai mes cris, mes plaintes, mes démonftrations de douleur, & je l'apoftrophai dans ces termes: » O noble Chrétien, ami de JESUS» CHRIST, ayez pitié de ce pauvre pécheur

» affligé, qui fe trouve eftropié à la fleur de "fon âge. Que votre Eminence, Monfei»gneur, foit touchée de ma mifere, & » loüée foit la Paffion de notre Rédem» pteur.

Le Cardinal, qui étoit un faint homme, s'arrêta devant moi pour m'entendre, & ne regardant que JESUS-CHRIST dans ma perfonne, il dit aux Domestiques qui le fuivoient: Prenez ce Pauvre entre vos bras, emportez le dans mon appartement. Qu'on lui ôte ces vieux haillons qui le couvrent: Qu'on lui donne du linge blanc : Qu'on le mette dans mon propre lit, & qu'on m'en dreffe un autre dans la chambre prochaine. Ce qui fut exécuté fur le champ. O charité qui dois faire honte à tant de Prélats qui croyent que le Ciel leur doit encore du refte, quand ils font la moindre atten tion à la mifere d'un Pauvre ! Mon Cardinal ne fe contenta point de cela: Il fit venir les deux plus fameux Chirurgiens de Rome, leur recommanda d'examiner ma jambe, de faire tout leur poffible pour me guérir, & après leur avoir promis de les bien récompenfer, il fortit pour aller où fes affaires l'appelloient.

Sur la foi de cette promeffe, les Chirurgiens commencerent à confiderer mon ulcere, qui leur parut d'abord un mal incura

Scoin Scalp.

« AnteriorContinuar »