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des emplâtres avec les drogues qu'ils jugerent les plus propres à l'entretenir dans l'état où elle étoit. Ils la banderent enfuite, l'envelopperent d'une ferviette puis voyant revenir le Cardinal dans ce moment-là, ils me prirent entre leurs bras, comme fi j'euffe été véritablement incommodé, & me recoucherent. Son Eminence inquiette & très-impatiente d'apprendre des nouvelles de mon ulcere, qui lui avoit paru fort dangereux, en demanda d'un air empreffé. Monfeigneur, lui dit gravement un des Chirurgiens, ce pauvre garçon eft dans une fituation déplorable. Il a déja la gangrene à la jambe; Nous efperons pourtant le tirer d'affaire, s'il plaît à Dieu. Mais il nous faudra du tems pour en venir à bout. Il est bien heureux, dit alors l'autre Chirurgien, d'être tombé aujourd'hui entre nos mains. Un jour plus tard il étoit mort; Et c'eft fans doute pour lui fauver la vie que le Ciel l'a envoyé à la porte de votre Emi

nence.

Ce rapport fit plaifir à Monfeigneur, qui leur dit qu'ils pouvoient employer tout le tems qu'ils voudroient, pourvû qu'ils me guériffent. Il les pria de nouveau de ne rien négliger pour y réüffir, pendant que de fon côté il auroit foin que je fuffe bien traité dans fa maifon. Ils lui promirent de répon

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dre à la confiance qu'il avoit en eux, & l'affurerent qu'ils ne manqueroient pas de me venir voir l'un & l'autre deux fois le jour, attendu qu'il leur faudroit, disoientils, raifonner ensemble fur chaque obfervation qu'ils pourroient faire fur mon mal. Ils fe retirerent après avoir parlé de cette forte. Ce qui me rendit l'efprit plus tran quille; car jufqu'à ce moment je m'étois toujours défié de ces deux bourreaux. J'avois craint qu'ils ne découvriffent ma fourberie, quoiqu'ils paruffent en vouloir être les complices. Les fripons me firent garder la chambre pendant trois mois, que je trou vai plus longs que trois fiécles, tant il est difficile de perdre l'habitude de jouer & de gueufer. J'avois beau être couché & nourri comme Monfeigneur même, tout cela ne m'empêchoit point de m'ennuyer d'être renfermé. Enfin, je preffai, je tourmentai fi fort mes Chirurgiens pour les obliger à finir cette Comédie, qu'ils céderent à mes importunitez. Ils cefferent d'entretenir l'ulcere, & quand ils virent ma jambe dans fon état naturel, ils en avertirent le bon Cardinal, qui admira une fi belle cure, & renvoya ces Charlatans après les avoir auffibien payez que s'ils l'euffent merité. Son Eminence pendant le cours de ma fauffe maladie m'étoit venu vifiter fort fouvent..

J'avois eu plufieurs entretiens avec ce faint Prélat, qui m'ayant trouvé une forte d'efprit qui le réjouiffoit, m'avoit pris en amitié. Pour m'en donner une marque éclattante; il voulut m'attacher à son service, & me mettre au nombre de fes Pages. Hon neur dont je fus trop ébloui pour le refuser.

CHAPITRE VII,

Il devient Page de fon Eminence, & fait mille Efpiégleries.

E voici donc tout à coup devenu ME Page. C'étoit avoir fait un un grand faut, quoique de fripon à Page il n'y ait que la main, ou pour mieux dire, quoiqu'à l'habit près ce foit la même chofe. Mais c'étoit tirer un poiffon hors de l'eau, que de m'arracher à la molleffe. La gueuferie étoit mon élément. Accoutumé aux foupes d'Egypte, je n'aimois que la taverne ; c'é toit-là mon centre. Je trouvois bien à déchanter dans une maison où tout ne fe faifoit que par compas & par mefure; où tantôt le flambeau à la main j'étois occupé à monter ou à defcendre, pour éclairer les perfonnes qui entroient ou qui fortoient & tantôt j'étois obligé de faire le pié de grüe dans une chambre où je demeurois

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debout deux heures entiéres en attendant les ordres qu'on me voudroit donner, Toujours prêt à fuivre les caroffes la nuit comme le jour, ou bien à fervir à table & à devorer des yeux tous les plats que je voyois deffus. En un mot, il falloit que je fusse dans une attention continuelle à rendre toutes fortes de fervices, & cela depuis le premier jour de Janvier jufqu'au dernier de Décembre.

Ah miférable efclave! me diras-tu. Quel profit tirois-tu de tant de peines pendant l'année helas te répondrai-je, j'étois valet de tout le monde. On me donnoit un habit, mais c'étoit moins pour m'en couvrir que pour faire honneur à mon Maître. Je ne gagnois que de la galle & des rhumes avec quelques bouts de bougies que je dérobois & vendois à des Savetiers. Encore avois-je befoin d'une grande adreffe pour faire impunément ces petits larcins. Malheur à nous fi nous étions pris fur le fait ; Nous étions fûrs d'avoir les étrivieres. Outre les morceaux de cire que nous détathions des flambeaux, nous mettions quelquefois la main fur des friandifes que nous nangions à la dérobée. Mais ces fortes de ours demandoient une fubtilité que tous 'nes camarades n'avoient pas ; & je me fou viens qu'un jour il arriva un accident defa

gréable

gréable à un Page des moins déniaifez: Le fot en deffervant s'avifa d'efcamoter quel. ques rayons de miel, qu'il enveloppa dans fon mouchoir à la hâte & fourra dans fa poche. Comme il faifoit alors une chaleur exceffive, le miel fe fondit, & commença de couler le long de la jambe du Page. Le hazard voulut que le Cardinal s'en apperçût, & fe doutant bien de ce que c'étoit, il se prit à rire de toute fa force. Enfuite s'adreffant à ce nigaud : Page, lui dit-il, Je vois fortir du fang de votre jambe. Quelle bleffure y avez-vous? A cette queftion; tous les convives qui étoient en affez grand nombre, jetterent les yeux fur la jambe du voleur, ainfi que les autres domeftiques de fon Eminence, & le pauvre diable de Page eut la confufion de remar quer que fon crime étoit découvert. Trop. heureux s'il en eût été quitte pour la honte d'effuyer toutes les rifées qu'il excita, mais il paya bien plus cher fes rayons dont le miel fut pour lui fort amer.

La plupart de fes Confreres étoient auffi neufs que lui quand je fus reçu parmi eux & comme je ne pouvois m'empêcher de fuivre mes anciennes habitudes, je m'occu pois à les redreffer. Je leur volois ce qu'ils avoient de meilleur, quelque foin qu'ils priffent de se garantir de mes griffes. Ce Tome I.

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