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CHAP.V. De l'agréable vie que Guzman menoit, avec fes Confreres. Relation du Voyage qu'il fit à Gaëte. Hiftoire d'un Gueux qui mourut à Florence. page 365. CHAP. VI. De la compaffion que Guzman fit à un Cardinal, & quelle en fut la fuite.

page 375. CHAP. VII. Il devient Page de fon Eminence`, &fait mille efpiegleries. page 383.

Fin de la Table des Chapitres du Tome premier.

HISTOIRE

HISTOIRE

DE GUZMAN

D'ALFARACHE,

LIVRE I.

CHAPITRE I.

AVANT. PROPOS.

URIEUX Lecteur,j'avois tant

Cd'impatience de te conter mes

avantures, qu'il s'en eft peu, fallu que je n'aye débuté par là, fans faire aucune mention de ma famille. Ce que quelques pointilleux Dialecticien n'auroit pas manqué de me reprocher: N'alons-pas fi vîte, ami Guzman, m'auroit-il dit:commençons, s'il vous plaît, par la déTome I.

A

finition, avant que d'en venir au défini. Aprenez-nous d'abord quelles gens furent vos parens; enfuite vous nous entretiendrez à loifir de ces beaux faits dont vous avez une fi grande demangeaifon de parler.

Hé bien, pour faire les chofes dans l'or dre, je vais donc mettre fur le tapis mes parens. Si je te racontois leur hiftoire, je fuis feur que tu la trouverois plus réjoüiffante que la mienne; mais ne t'imaginepas que j'aille me donner carriere à leurs dépens, reveler tout ce que je fçais d'eux : Qu'un autre batte, s'il veut, les cartes & fe nourriffe de corps morts, comme la Hienne; pour moi, je prétends par respect pour la memoire de mes parens, paffer fous filence les chofes qu'il ne me conviendroit pas de dire. Je veux même farder fi bien celles que je rapporterai, qu'on dife de moi: Beni foit l'homme qui couvre ainfi les défauts de fes proches.

Véritablement leur conduite n'a pas toûjours été irreprochable, & quelquesunes de leurs actions, entr'autres, ont fait tant de bruit dans le monde, que j'entreprendrois en vain de les rendre blancs comme neige. Je démentirai feulement les glofes qui ont été faites fur le texte ; car Dieu-merci, on aime aujourd'hui à com

menter. Tout homme qui fait un conte, foit par malice, foit par vanité, y mêle ordinairement du fien, & toujours plus que moins. Telle eft la bonne nature de notre efprit: Il faut qu'il ajoûte des chofes de fon propre fonds à celles qu'on attend de lui. Je veux t'en citer un exemple.

J'ai connu à Madrid un Gentilhomme étranger qui aimoit les Chevaux d'Efpagne. Il en avoit deux fort beaux : un au bere & un gris-pommelé. Il auroit fouhaité de les emmener dans fa patrie; mais il ne lui étoit pas permis ni même poffible, à caufe qu'il étoit d'un païs trop éloigné; il voulut da moins les emporter en pein ture pour fa propre fatisfaction & pour les montrer à fes amis. Il chargea deux Peintres fameux d'en peindre chacun un, leur promettant, outre le prix dont ils conviendroient, de faire un préfent à celui qui s'en acquitteroit le mieux.

L'un de fes grands ouvriers peignit l'au bere merveilleufement bien & remplit le refte de fa toile de clairs & d'ombres. L'autre Peintre ne tira pas le gris-pommelé avec tant de perfection, mais en récompenfe il orna le haut de fon tablean d'arbres,de nuages,d'admirables lointains, d'édifices ruinez; & il peignit au bas une

campagne pleine d'arbriffeaux, de prairies & de précipices. On voyoit encore dans un endroit un tronc d'arbre d'où pendoit un harnois de Cheval & au pied une felle à la genette, fi bien repréfentée, que l'art ne pouvoit aller plus loin.

Quand le Gentilhomme vit ces deux tableaux, il fut avec raifon plus frappé de l'aubere que de l'autre, & commençant par payer celui-là, il donna fans marchander,ce que l'ouvrier lui demanda, avec une bague par-deffus le marché. L'au tre Peintre voyant l'Etranger fi liberal & croyant meriter encore mieux d'être récompensé que fon Confrere, mit fon ouvrage à un prix exceffif. Le Cavalier en fut furpris & lui dit : mon ami, vous n'y penfez pas. Pourquoi voulez-vous que j'achete plus cher votre tableau, qui fans contredit eft audeffous de l'autre ? Audeffous, répondit le Peintre! A la bonne heure pour le Cheval. Mon Confrere peut m'avoir furpaffé en cela; mais les feuls arbriffeaux & les ruines qui font dans mon tableau valent autant que le fien. Il n'étoit pas befoin, répondit le Gentilhomme, que vous fiffiez ces arbres & ces bâtimens ruinez; il n'y a que trop de tout cela dans mon païs. En un mot, je ne vous ai erdonné que de peindre mon Cheval.

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