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le magicien fit un talisman composé des plus puissants caractères de la cabale; moi je mis mon homme au service d'un grand ministre, dont le nom l'emporta sur le talisman.

Après avoir parlé de cette sorte, le démon ramassa toutes les pièces de la fiole cassée, et les jeta par la fenêtre. Seigneur Zambullo, dit-il ensuite à l'écolier, sauvons-nous au plus vite: prenez le bout de mon manteau, et ne craignez rien. Quelque périlleux que parût ce parti à don Cleophas, il aima mieux l'accepter que de demeurer exposé au ressentiment du magicien; et il s'accrocha le mieux qu'il pût au Diable, qui l'emporta dans le moment.

CHAPITRE III.

Dans quel endroit le Diable boiteux transporta l'écolier, et des premières choses qu'il lui fit voir.

ASMODÉE n'avait pas vanté sans raison son agilité. Il fendit l'air comme une flèche décochée avec violence, et s'alla percher sur la tour de San-Salvador. Dès qu'il eut pris pied, il dit à son compagnon : Hé bien, seigneur Leandro, quand on dit d'une rude voiture que c'est une voiture de diable, n'est-il pas vrai que cette façon de parler est fausse ? Je viens d'en vérifier la fausseté, répondit poliment Zambullo. Je puis assurer que c'est une voiture plus douce qu'une litière, et avec cela si diligente, qu'on n'a pas le temps de s'ennuyer sur la route.

Oh çà, reprit le démon, vous ne savez pas pourquoi je vous amène ici: je prétends vous montrer tout ce qui se passe dans Madrid; et comme je veux débuter par ce quartier-ci, je ne pouvais choisir un endroit plus propre à l'exécution de mon dessein. Je vais, par mon pouvoir diabolique, enlever les toits des maisons; et, malgré les ténèbres de la nuit, le dedans va se découvrir à vos yeux. A ces mots, il ne fit simplement qu'étendre le bras droit, et aussitôt tous les toits disparurent. Alors l'écolier vit, comme en plein midi, l'intérieur des maisons, de même, dit Luis Velez de Guevara, qu'on voit le dedans d'un pâté (*) dont on vient d'ôter la croûte.

Le spectacle était trop nouveau pour ne pas attirer son attention tout entière. Il promena sa vue de toutes parts; et la diversité des choses qui l'environnaient eut de quoi

(*) L'auteur du Diable boiteux espagnol.

occuper longtemps sa curiosité. Seigneur don Cleophas, lui dit le diable, cette confusion d'objets que vous regardez avec plaisir est, à la vérité, très-agréable à contempler; mais ce n'est qu'un amusement frivole. Il faut que je vous le rende utile; et pour vous donner une parfaite connaissance de la vie humaine, je veux vous expliquer ce que font toutes ces personnes que vous voyez. Je vais vous découvrir les motifs de leurs actions, et vous révéler jusqu'à leurs plus secrètes pensées.

Par où commencerons-nous? Observons d'abord, dans cette maison à main droite, ce vieillard qui compte de l'or et de l'argent. C'est un bourgeois avare. Son carrosse, qu'il a eu presque pour rien à l'inventaire d'un alcade de Corte, est tiré par deux mauvaises mules qui sont dans son écurie, et qu'il nourrit suivant la loi des douze tables, c'est-à-dire, qu'il leur donne tous les jours à chacune une livre d'orge; il les traite comme les Romains traitaient leurs esclaves. Il y a deux ans qu'il est revenu des Indes, chargé d'une grande quantité de lingots, qu'il a changés en espèces. Admirez ce vieux fou; avec quelle satisfaction il parcourt des yeux ses richesses:

il ne peut s'en rassasier. Mais prenez garde en même temps à ce qui se passe dans une petite salle de la même maison. Y remarquezvous deux jeunes garçons avec une vieille femme? Oui, répondit Cleophas. Ce sont apparemment ses enfants? Non, reprit le Diable; ce sont ses neveux, qui doivent en hériter, et qui, dans l'impatience où ils sont de partager ses dépouilles, ont fait venir secrètement une sorcière pour savoir d'elle quand il mourra.

J'aperçois dans la maison voisine deux tableaux assez plaisants. L'un est une coquette surannée qui se couche après avoir laissé ses cheveux, ses sourcils et ses dents sur sa toillette; l'autre, un galant sexagénaire qui revient de faire l'amour. Il a déjà ôté son œil et sa moustache postiches, avec sa perruque qui cachait une tête chauve. Il attend que son valet lui ôte son bras et sa jambe de bois, pour se mettre au lit avec le reste.

Si je m'en fie à mes yeux, dit Zambullo, je vois dans cette maison une grande et jeune fille faite à peindre. Qu'elle a l'air mignon! Hé bien, reprit le boiteux, cette jeune beauté qui vous frappe est sœur aînée de ce galant qui va se coucher. On peut dire qu'elle fait la paire avec la vieille coquette qui loge avec elle. Sa taille, que vous admirez, est une machine qui a épuisé les mécaniques; sa gorge et ses hanches sont artificielles, et il n'y a pas longtemps qu'étant allée au sermon elle laissa tomber ses fesses dans l'auditoire. Néanmois, comme elle se donne un air de mineure, il y a deux jeunes cavaliers qui se disputent ses bonnes grâces. Ils en sont même venus aux mains pour elle. Les enragés! Il me semble que je vois deux chiens qui se battent pour

un os.

Riez avec moi de ce concert qui se fait assez près de là dans une maison bourgeoise, sur la fin d'un souper de famille. On y chante des cantates. Un vieux jurisconsulte en a fait la musique, et les paroles sont d'un alguazil (*) qui fait l'aimable, d'un fat qui compose des vers pour son plaisir, et pour le supplice des autres. Une cornemuse et une épinette forment la symphonie; un grand flandrin de chantre à voix claire fait le dessus, et une jeune fille, qui a la voix fort grosse, fait la basse. Oh, Ja plaisante chose! s'écria don Cleophas en riant: quand on voudrait donner exprès un

(*) Un alguazil est ce que sont en France les commissaires, excepté qu'il porte l'épée.

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