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mon, il faut que je vous rapporte un trait assez singulier. Une femme de la cour, ayant permis qu'on lui dédiat un ouvrage, en voulut voir la dédicace avant qu'on l'imprimât; et ne s'y trouvant pas assez bien louée à son gré, elle prit la peine d'en composer une de sa façon, et de l'envoyer à l'auteur, pour la mettre à la tête de son ouvrage.

Il me semble, s'écria Leandro, que voilà des voleurs qui s'introduisent dans une maison par un balcon. Vous ne vous trompez point, dit Asmodée; ce sont des voleurs de nuit. Ils entrent chez un banquier; suivons-les de l'œil; voyons ce qu'ils feront. Ils visitent le comptoir; ils fouillent partout: mais le banquier les a prévenus; il partit hier pour la Hollande, avec tout ce qu'il avait d'argent dans ses coffres.

Examinons, dit Zambullo, un autre voleur qui monte par une échelle de soie à un balcon. Celui-là n'est pas ce que vous pensez, répondit le boiteux; c'est un marquis qui tente l'escalade, pour se couler dans la chambre d'une fille qui veut cesser de l'être. Il lui a juré très-légèrement qu'il l'épousera, et elle n'a pas manqué de se rendre à ses serments; car, dans le commerce de l'amour, les marquis sont des négociants qui ont grand crédit sur la place.

Je suis curieux, reprit l'écolier, d'apprendre ce que fait certain homme que je vois en bonnet de nuit et en robe-dechambre. Il écrit avec application, et il y a près de lui une petite figure noire qui lui conduit la main en écrivant. L'homme qui écrit: répond le Diable, est un greffier qui, pour obliger un tuteur très-reconnaissant, altère un arrêt rendu en faveur d'un pupille; et la petite figure noire qui lui conduit la main est Griffaël, le démon des greffiers. Ce Griffaël, répliqua don Cleophas, n'occupe donc cet emploi que par intérim; puisque Flagel est l'esprit du barreau, les greffes, ce me semble, doivent être de son département. Non, repartit Asmodée; les greffiers ont été jugés dignes d'avoir leur diable particulier, et je vous jure qu'il a de l'occupation de reste. Considérez, dans une maison bourgeoise, auprès de celle du greffier, une jeune dame qui occupe le premier appartement. C'est une veuve, et l'homme que vous voyez avec elle est son oncle, qui loge au second étage, Admirez la pudeur de cette veuve: elle ne veut pas prendre sa chemise devant son oncle; elle passe dans un cabinet, pour se la faire mettre par un galant qu'elle y a caché.

Il demeure chez le greffier un gros bachelier boiteux, de ses parents, qui n'a pas son pareil au monde pour plaisanter. Vo-lumnius, si vanté par Cicéron pour les traits piquants et pleins de sel, n'était pas un si fin railleur. Ce bachelier, nommé par excellence dans Madrid le bachelier Donoso, est recherché de toutes les personnes de la cour et de la ville qui donnent à manger; c'est à qui l'aura. Il a un talent tout particulier pour réjouir les convives; il fait les délices d'une table: aussi va-t-il tous les jours dîner dans quelque bonne maison, d'où il ne revient qu'à deux heures après minuit. Il est aujourd'hui chez le marquis d'Alcazinas, où il n'est allé que par hasard. Comment, par hasard? interrompit Leandro. Je vais m'expliquer plus clairement, repartit le Diable. Il y avait ce matin, sur le midi, à la porte du bachelier, cinq ou six carrosses qui venaient le chercher de la part de différents seigneurs. Il a fait monter leurs pages dans son appartement, et leur a dit, en prenant un jeu de cartes: Mes amis, comme je ne puis contenter. tous vos maîtres à la fois, et que je n'en veux point préférer un aux autres, ces cartes en vont décider. J'irai dîner chez le roi de trèfle.

Quel dessein, dit don Cleophas, peut avoir, de l'autre côté de la rue, certain cavalier qui se tient assis sur le seuil d'une porte ? Attendt-il qu'une soubrette vienne l'introduire dans la maison? Non, non, répondit Asmodée, c'est un jeune Castillan qui file l'amour parfait : il veut, par pure galanterie, à l'exemple des amants de l'antiquité, passer la nuit à la porte de sa maîtresse. Il racle de temps en temps une guitare, en chantant des romances de sa composition; mais son infante, couchée au second étage, pleure, en l'écoutant, l'absence de son rival.

Venons à ce bâtiment neuf qui contient deux corps-de-logis séparés : l'un est occupé par le propriétaire, qui est ce vieux cavalier qui tantôt se promène dans son appartement, et tantôt se laisse tomber dans un fauteuil. Je juge, dit Zambullo, qu'il roule dans sa tête quelque grand projet. Qui est cet homme-là? Si l'on s'en rapporte à la richesse qui brille dans sa maison, ce doit être un grand de la première classe. Ce n'est pourtant qu'un contador, répondit le démon. Il a vieilli dans des emplois très-lucratifs. Il a quatre millions de bien. Comme il n'est pas sans inquiétude sur les moyens dont il s'est servi pour les amasser, et qu'il se voit sur le point d'aller rendre ses comptes dans l'autre monde, il est devenu scrupuleux; il songe à bâtir un monastère; il se flatte qu'après une si bonne œuvre il aura la conscience en repos. Il a déjà obtenu la permission de fonder un couvent; mais il n'y veut mettre que des religieux qui soient tout ensemble chastes, sobres, et d'une extrême humilité. II est fort embarrassé sur le choix.

Le second corps-de-logis est habité par une belle dame qui vient de se baigner dans du lait, et de se mettre au lit tout à l'heure. Cette voluptueuse personne est veuve d'un chevalier de Saint-Jacques, qui ne lui a laissé pour tout bien qu'un beau nom; mais heureusement elle a pour amis deux conseillers du conseil de Cas tille, qui font à frais communs la dépense de la maison.

Oh! oh! s'écria l'écolier, j'entends retentir l'air de cris et de lamentations; viendrait-il d'arriver quelque malheur ? Voici ce que c'est, dit l'esprit: deux jeunes cavaliers jouaient ensemble aux cartes, dans ce tripot où vous voyez tant de lampes et de chandelles allumées. Ils se sont échauffés sur un coup, ont mis l'épée à la main, et se sont blessés tous deux mortellement. Le plus âgé est marié, et le plus jeune est fils

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